Marie de France : Yonec

Voici le poème (les lais) de Marie de France concernant le mythe arthurien. En voici la version conté en français moderne. Le septième lais est : Yonec.

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Yonec

Puisque j’ai commencé des Lais, je veux achever mon travail. Les aventures que je sais, je vous les conterai tout d’abord. Mon projet est avant tout de vous faire connoître le Lai d’Ywenec, fils du chevalier Eudemarec, les amours de son père et de sa mère, et sa naissance.

Il y avoit jadis en Bretagne un vieil homme fort riche, lequel étoit seigneur de Caerwent. Cette ville, célèbre par les événements malheureux qui s’y sont passés, est bâtie sur les bords de la rivière de Duglas. Notre vieux et riche personnage se maria dans le dessein d’avoir des enfants, auxquels ils transmettroit son immense héritage. La nouvelle épouse issue d’une grande famille, étoit aimable, sage et très-belle. Enfin elle avoit tant de bonnes qualités qu’on n’auroit pu trouver sa pareille depuis son pays jusqu’à Lincoln, et même en Irlande. Les parents commirent une grande faute en sacrifiant ainsi leur fille. Notre vieil homme qui étoit fort jaloux, mit tous ses soins à garder sa jeune femme ; pour cela il l’enferma dans une tour, et lui donna pour la surveiller davantage, moins que pour lui tenir compagnie, une vieille sœur qui étoit veuve depuis long-temps. Il y avoit bien d’autres femmes pour faire le service , mais elles se tenoient dans une autre chambre. La pauvre petite dame ne pouvoit ouvrir la bouche et dire un mot sans le consentement de son antique gardienne.

Plus de sept ans s’écoulèrent sans que le mari eût des enfants, sans que la dame sortît de la tour, et sans voir ses parents ou ses amis. Lorsqu’elle alloit se coucher, aucun chambellan ou domestique n’entroit dans sa chambre pour allumer les flambeaux. La pauvre femme devient si triste de sa position qu’elle passe des journées entières dans les soupirs et dans les larmes. Ne prenant aucun soin de sa personne, elle perd presque toute sa beauté et maudit ses attraits qui ont causé son malheur. Au commencement d’avril, saison où les oiseaux font entendre leurs doux chants, le seigneur s’apprêta de grand matin pour aller à la chasse. Avant de partir il ordonne à la vieille de se lever pour fermer les portes sur lui. Après avoir obéi, la vieille prend son livre de prières et se met à lire. La dame se réveille, et déja des pleurs inondent son visage ; elle est aperçue de la vieille qui n’y fait pas attention. Elle se plaignoit et soupiroit. Dieu ! que je suis malheureuse d’être au monde ! Ma destinée est de vivre dans cette prison, d’où je ne sortirai qu’après ma mort.

Je ne sais ce que peut avoir ce vieux jaloux pour me retenir en esclavage ; quelle folie et quelle sottise de toujours craindre d’être trahi ! Je ne puis aller à l’église ni entendre les offices. Si je pouvois du moins causer avec quelqu’un et me promener, j’oublierois les torts de mon époux dans les moments mêmes où j’en aurois le moins d’envie. Maudits soient mes parents et tous ceux qui m’ont fait contracter une pareille alliance! Le mien est si vigoureusement constitué que je ne puis espérer sa mort. Sans doute qu’à son baptême il fut plongé dans le fleuve d’enfer ; car ses veines pleines de sang, la force de ses muscles, appartiennent à un homme robuste. J’ai souvent entendu raconter que dans les temps anciens, il arrivoit souvent aux affligés d’avoir des aventures qui mettoient un terme à leurs chagrins. Les chevaliers trouvoient des maîtresses charmantes, et les dames n’étoient jamais blâmées pour faire choix d’un amant jeune, beau, vaillant et libéral. D’ailleurs personne, à l’exception d’elles, ne voyoit leurs amants. Je m’abuse peut-être, et peut-être aussi ne vit-on jamais aventure pareille. Ah! Dieu qui a tout pouvoir puisse-t-il combler mon desir !

Après avoir donné un libre cours à ses plaintes, la dame aperçoit près de sa fenêtre l’ombre d’un grand oiseau de proie, et ne peut deviner ce que ce peut être. Il entre dans la chambre en volant, et vient se placer auprès d’elle. Après s’être arrêté un instant, et pendant que la dame l’examinoit, l’oiseau prend la forme d’un jeune et beau chevalier. La dame surprise change de couleur, et se couvre le visage pour la grande frayeur qu’elle ressent. Le chevalier, qui étoit fort courtois, lui parla en ces termes : Madame, daignez vous calmer ; j’ai pris la forme d’un autour, qui est un oiseau bien élevé ; mon discours peut vous paroître peu clair, mais attendez, et vous serez instruite des motifs de ma démarche. Je suis venu en ces lieux pour solliciter la faveur d’être votre ami; depuis long-temps je vous aime et mon cœur vous desire. Je n’ai jamais aimé et n’aimerai jamais d’autre femme que vous ; et je vous l’avouerai, je ne serois point venu en ces lieux, je ne serois pas même sorti de mon pays, si vous ne m’aviez, vous même, fait le plaisir de me demander pour être votre amant.

La dame qui avoit repris courage découvrit sa figure, et répondit au chevalier. Seigneur, je consens à vous accepter pour être mon ami; mais au préalable je veux être certaine que vous croyez en Dieu. Le chevalier avoit tout ce qu’il falloit pour captiver une femme; il étoit dans la fleur de l’âge, beau et bien fait. Dame, vous avez parfaitement raison , je ne voudrois pour nulle chose au monde que vous ayez quelque soupçon sur ma foi. Je crois fermement au créateur qui mourut pour nous racheter du péché de notre père Adam, causé par le manger d’une pomme bien amère. Il a été, il est, Usera éternellement la vie et le refuge des pécheurs. Au surplus, si vous conceviez quelque doute, mandez votre chapelain ; dites-lui que très-malade, vous desirez entendre le service établi par Dieu lui-même, pour effacer les fautes des humains. Je prendrai votre figure et vos traits pour recevoir le corps du Seigneur, je réciterai mes prières, et j’ose espérer que vous serez entièrement convaincue de mes sentiments religieux). J’y consens, reprit la dame. En attendant le chevalier lui propose de se coucher sur le même lit. On cause, mais il se garde bien d’embrasser sa belle ou de faire ce que sa position semble pouvoir autoriser.

Revenue dans la chambre, la vieille trouve la dame réveillée, et lui fait observer qu’il est temps de se lever; elle lui propose même de lui apporter ses vêtements. La dame répond qu’elle est fortement indisposée, et que, bien loin de songer à s’habiller, par les douleurs qu’elle éprouve , elle a plutôt besoin des secours du chapelain. Souffrez en paix, madame, lui dit la vieille, votre mari étant allé à la chasse , personne , excepté moi, n’entrera céans. Je laisse à penser quel fut le désespoir de la dame. Pour en venir à ses desirs, elle feint de se trouver mal. La vieille effrayée de ce qu’elle voit, ouvre la porte, et court aussitôt chercherle prêtre. Celui-ci fait diligence, part, arrive et apporte avec lui l’eucharistie qui lui avoit été demandée. Le chevalier qui avoit pris la semblance de la dame, reçoit le pain et le vin du calice ; le chapelain sort, et la vieille court fermer les portes après lui. La dame se repose près du chevalier, et jamais vous n’avez vu un aussi beau couple. Après a voir assez ri, assez joué, et après qu’ils furent convenus de tous leurs faits, le chevalier prit congé pour retourner dans son pays.

La dame le prie avec tendresse de revenir souvent. Belle amie, je vous verrai toutes les fois que vous le desirerez, à toutes les heures du jour si cela peut vous plaire. Mais je vous en conjure, prenez garde à ne commettre aucune indiscretion qui puisse faire connoître notre intelligence. Méfiez vous particulièrement de cette vieille, laquelle vous guettant nuit et jour finira par jxous surprendre. Apercevant notre amour, elle en fera pari à votre époux, et si jamais le malheur arrive que nous soyons découverts, je suis forcé de vous avouer que je ne puis m’en défendre et qu’il me faudra mourir. En partant le chevalier laisse son amie dans la plus grande joie; le lendemain elle se lève avec plaisir, et pendant toute la semaine, elle fut d’une gaieté charmante. Pour plaire à son amant, elle soigne davantage sa toilette. Son esprit plus tranquille lui laisse reprendre ses attraits, et bientôt elle a recouvré toute sa heauté. La tour qu’elle habitoit et qui, naguère lui déplaisoit tant, devient pour elle un séjour agréable ; elle le préfère à tout autre, puisqu’elle peut voir son amant aussi souvent qu’elle le desire. Sitôt que son mari est absent, le jour, la nuit elle peut converser avec le cbevalier aussi long-temps qu’elle le desire. Que Dieu prolonge le temps heureux où elle peut jouir du bonheur d’être aimée !

Le vieux mari remarqua, non sans surprise, le grand changement qui s’étoit opéré dans le caractère et dans la conduite de sa femme. Il soupçonna que ses ordres étoient mal exécutés par sa sœur, c’est pourquoi la prenant un jour à part, il lui demanda la raison pourquoi sa moitié qui naguère étoit si triste, apportoit maintenant le plus grand soin à se bien vêtir. La vieille lui répondit qu’elle l’ignoroit absolument. Il est impossible de pouvoir parler à votre femme, elle ne peut avoirni amant, ni ami ; j’ai cependant observé comme vous qu’elle aime mieux sa solitude que par le passé. Je vous croie parfaitement, ma sœur, mais il faut agir de ruse pour éclaircir le mystère. Écoutez, le matin lorsque je serai levé et que vous aurez fermé les portes sur moi, vous ferez semblant de sortir et de laisser ma femme toute seule dans son lit. Cachez vous dans quelque coin d’où vous puissiez tout voir, tout entendre, et faites en sorte de découvrir le motif de son contentement. Ils s’arrêtent à ce conseil. Hélas ! quel malheur pour ces amants dont on conjure la perte !

Trois jours après cette détermination, le mari prétexte un voyage ; il prévient sa femme que le roi, par une lettre, l’a mandé à sa cour, mais qu’il reviendra bientôt. Il sort de la chambre en fermant la porte après lui. La vieille se lève et va se cacher derrière un lit d’où elle pourra s’instruire de tout ce qu’elle desire savoir. La dame étoit couchée, mais elle ne dormoit pas. Se croyant seule, elle desire la présence de son amant. Il arrive bientôt pour passer quelques instants avec elle, ils se réjouissent ensemble, et dès qu’il est heure de se lever, le chevalier s’en va. La vieille remarqua la manière dont l’amant entroit ets’iutroduisoit auprès de sa belle, et comment il la quittoit. Elle ne pouvoit cependant se rendre compte de cette métamorphose d’oiseau en homme et d’homme en oiseau. Dès que le mari, qui ne s’étoit guère écarté, fut de retour, la vieille lui raconta tout ce dont elle avoit été témoin. Dans sa colèrS il jure de se venger. Pour cela il fait sur-le-champ construire un piège qui doit donner la mort au chevalier. Ce piège consistoit en quatre broches d’acier fort pointues qui se replioient l’une sur l’autre en se fermant, et qui étoient plus tranchantes que le meilleur rasoir. Sitôt que cet objet de vengeance fut achevé, le mari le fait poser sur le bord de la fenêtre par où entroit le chevalier quand il venoit visiter sa dame. Ah Dieu ! pourquoi faut-il qu’il ne soit pas instruit du sort affreux qu’on lui prépare !

Le mari se leva le lendemain matin avant le jour ; il dit qu’il part pour aller chasser. La vieille sort du lit pour l’accompagner, puis elle revient se coucher parce que i’aurore paroissoit à peine. La dame s’étoit réveillée et savoit qu’elle étoit seule. Pensant à sou ami , elle veut le voir , lui parler , et son desir est aussitôt accompli. Il vient en volant contre la fenêtre, et sitôt qu’il s’appuie dessus , les broches se referment et le blessent dangereusement; l’une lui entre dans le corps , et son sang coule de tous côtés. Lorsque le chevalier s’apercoit qu’il est blessé à mort, il entre malgré le piège, et va contre le lit de la dame qu’il inonde de son sang. Elle considère les plaies de son ami , et ne peut revenir de sa surprise et de sa douleur. Tendre amie, c’est pour vous que je meurs. Je vous avois bien prévenue du sort qui m’étoit réservé. En écoutant son ami, la dame perdit connoissance et fut long-temps évanouie. Lorsqu’elle fut revenue , le chevalier la console ; il la supplie de ne pas trop s’affliger, parce qu’elle est enceinte d’un fils qui fera sa consolation. Vous le nommerez Ywenec. Preux et vaillant, il sera le vengeur de ses parents, et tuera le détestable auteur de tous nos maux.

Le sang qui ruisseloit de ses blessures ne permet pas au chevalier de pouvoir rester plus longtemps. Il fait ses adieux à son amante et part désolé. La dame le suit précipitamment en remplissant l’air de ses cris. Elle s’élance d’une croisée dans la campagne, tombe de plus de vingt pieds de haut, et par une espèce de miracle, elle ne se fait aucun mal. Sortant de son lit, Ja dame n’étoit vêtue que d’une simple chemise ; les marques de sang qui sortoient des bles-1 sures d’Eudemarec aident la dame à marcher sur ses traces. Elle entra dans une petite cabane où son amant avoit pris quelque repos. Cette cabane dont le plancher étoit arrosé de sang, n’avoit qu’une seule entrée. Elle le cherche dans l’obscurité et ne le trouvant pas , elle sort de la cabane, poursuit sa course, traverse une belle prairie dont, à son grand étonnement, l’herbe étoit couverte de sang, et laissoit néanmoins apercevoir la route qu’avoit suivie le chevalier. La dame arrive près d’une ville fermée de murs. Il n’yavoit aucune maison, aucune tour qui ne fût supérieurement construite, parce que les habitants étoient fort riches. Près de la ville se trouve le marais pour pêcher, la forêt pour la chasse et le port pour les vaisseaux. De l’autre côté, vers le donjon , étoit la rivière qui étoit fort rapide. C’est là qu’arrivoient les vaisseaux dont le nombre s’élevoit à plus de trois cents.

La dame entra dans la ville par la porte d’en bas qui étoit ouverte, elle traverse la rue principale, et la trace de sang l’aide à trouver le château où elle ne rencontre personne. L’escalier étoit tout taché de sang. Elle traverse successivement deux pièces, l’une petite, l’autre plus grande ; elles étoient occupées chacune par un chevalier qui dormoit, mais à la troisième, elle trouve le lit de son amant. Les soutiens sont en or émaillé, et l’on ne pourroit estimer la valeur des couvertures , des chandeliers et des cierges qui brûlent nuit et jour, parce qu’ils valent tout l’argent d’un royaume. Sitôt qu’elle fut entrée la dame reconnoît son amant ; toute effrayée du spectacle qu’elle aperçoit elle perd l’usage des sens. Le chevalier qui l’aime tendrement lui prodigue des secours malgré la douleur qu’il éprouve de ses blessures. Sitôt qu’elle fut revenue, le chevalier cherche à la consoler , et lui dit : Belle amie , au nom de Dieu, je vous en conjure, sortez d’ici, car je mourrai vers le milieu de la journée. Le chagrin qu’éprouveront mes gens sera si grand que si vous étiez trouvée ici vous pouriez être insultée. Mes chevaliers n’ignorent pas qu’ils me perdent par suite de notre amour, et j’éprouve pour vous beaucoup » d’inquiétude.

La dame lui répondit : je veux mourir avec vous, cher amant, puisqu’en retournant chez mon mari, je suis certaine qu’il me tuera. Rassurez-vous, belle dame, prenez cet anneau d’or; tant que vous le garderez, votre mari ne pensera point à vous et ne vous fera plus souffrir. Le chevalier prend son épée, la donne à la dame en lui recommandant de ne la remettre à personne, et de la garder soigneusement pour leur fils lorsqu’il sera en état d’en faire usage , et qu’il aura été armé chevalier. Vous vous rendrez alors à une fête, accompagnée de votre mari. Vous serez reçus dans une abbaye où vous verrez un grand tombeau, et on vous parlera de la fin du chevalier qu’il renferme, vous remettrez alors mon épée à votre fils ; vous lui raconterez l’histoire de sa naissance, de nos malheurs, de ma mort, et l’on verra l’effet de sa vengeance. Après avoir terminé ses instructions, Eudemarec donne à son amie un bliaut d’une étoffe précieuse, l’en fait revêtir, et la prie de le laisser seul.

La dame désolée s’en va emportant avec elle l’anneau et l’épée qui doit un jour la venger. Elle n’étoit pas éloignée d’une demi-lieue de la ville, qu’elle entendit sonner les cloches et s’élever des cris perçants jetés par les gens du château, qui venoient de perdre leur seigneur. Par la douleur qu’elle éprouve en apprenant la mort de son ami, la dame tomba quatre fois pâmée ; et lorsque les sens lui furent revenus, elle se repose un moment dans la cabane quelle avoit visitée le matin ; continuant à marcher elle arriva au château de son époux, qui la laissa depuis parfaitement tranquille. La dame accoucha d’un fils qu’elle nourrit et qu’elle nomma Ywenec. Dans le royaume on n’auroit pas trouvé son pareil en beauté, en prouesse, en courage et en générosité^. Lorsqu’il eut atteint l’âge exigé, il reçut la chevalerie. Or, écoutez ce qui lui arriva dans la même année.

On célébroit à Carlion et en plusieurs autres villes la fête de saint Aaron. Selon la coutume du pays, le mari, outre plusieurs de ses amis, s’y rendit avec une suite nombreuse, sa femme et le jeune Ywenec. Connoissant peu la route qu’ils devoient tenir, ils avoient avec eux un jeune homme qui dirigeoit leur marche, et qui les conduisit dans une ville superbe qu’ils ne connoissoient pas. On y distinguoit une riche abbaye où le jeune homme qui les guidoit les fit loger. La société fût reçue et traitée dans la chambre même de l’abbé. Les voyageurs préviennent qu’il partiront le lendemain à l’issue de la messe. L’abbé les conjure de vouloir lui accorder une journée. Il veut leur montrer les salles du chapitre, le réfectoire, les appartements ; et, en raison de ce qu’ils avoient été parfaitement reçus, les voyageurs consentent à prolonger leur séjour. Après le dîner, les étrangers visitent la maison, et entrent dans la salle du chapitre.

On y voyoit un grand tombeau couvert d’une tapisserie précieuse richement brodée en or en haut, en bas et sur les côtés. Le tombeau étoit entouré de vingt cierges allumés que portoient des chandeliers également en or; les encensoirs au services du défunt étoient d’améthyste. Les voyageurs prièrent leur guide de bien vouloir leur apprendre le nom et l’histoire du personnage que renfermoit le tombeau. Les religieux répandent des larmes et racontent en pleurant que c’est le corps du plus vaillant, du plus beau et du plus aimé des chevaliers nés et à naître. Celui-ci a été notre roi et jamais on n’en vit un plus affable. Il fut tué à la suite de ses amours avec une dame de Caerwent ; et depuis cette époque, la terre est sans seigneur. Nous attendons avec impatience l’arrivée d’un fils qu’il a eu avec sa maîtresse, lequel d’après ses dernières volontés doit lui succéder.

Lorsque la dame eut entendu ce discours, elle appelle Ywenec et lui dit : Vous savez, beau fils, pourquoi Dieu nous a conduit ici ; voivi le tombeau de votre père, et voilà son meurtrier. Elle lui remet en même temps l’épée d’Eudemarec qu’elle portoit toujours avec elle. Yvenec connut le secret de sa naissance, l’histoire des amours de ses parents, l’assassinat dé son père. Après ce discours la dame tomba morte sur le tombeau de son amant. Ywenec voyant que sa mère n’existoitplus, vient contre le vieillard, prend sa bonne épée , et lui fait voler la tête de dessus les épaules. Il vengea en un seul coup les malheurs des auteurs de ses jours. Sitôt que la nouvelle de cet e’vénement fut répandue dans la ville, le corps de la dame fut placé et renfermé dans le cercueil de son amant. Dieu veuille les avoir en sa miséricorde. Le peuple reconnut Ywenec pour son roi avant qu’il ne sortît de l’église.

Les personnes qui eurent connoissance de cette aventure en firent longtemps après un lai pour rappeler les chagrins et lesdouc leurs que supportèrent deux tendres amants.