Saint-Guénolé

En ce temps là, il y avait en Bretagne, deux saints apôtres, amis de Dieu… Kaourintin, premier évêque de Quimper (St-Corentin) et Saint-Guénolé, premier abbé de Landévennec… Souvent ils avaient prêché la foi à Is, et admonesté le roi sur les actes criminels, les injustices, les forfaits qui se commettaient au palais de la jeune fille.

Saint-Guénolé

On se moquait d’eux, et le roi affaibli par l’âge, n’avait plus assez d’autorité pour arrêter les désordres de la grande ville. Dieu se fatigua en voyant cet endurcissement et fit connaître à l’ange de Bretagne, son ami Guénolé que, sans tarder, la ville serait inondée par les eaux. Aussitôt Guénolé, monta à cheval, courût à la ville d’Is avec la pensée d’arrêter la colère de Dieu… Mais le temps de la pitié était passé, quand le saint arriva vers les minuit, les écluses étaient ouvertes et la mer faisait un bruit épouvantable en roulant sur les habitants, sur les maisons et les palais.

Guénolé à cheval, se fait suivre de Gralon. Le vieillard, toujours bon père, malgré les désordres de sa fille, prend à l’insu du saint abbé, la grande coupable en croupe sur son bidet de bataille. Les vagues de la mer arrivaient sur eux frémissantes, ils allaient être engloutis, quand une voix retentit : Gralon, Gralon, si tu ne veux périr débarrasse toi du démon que tu portes en croupe derrière toi.

L’avertissement était de Guénolé, l’ange de Bretagne.

Ha Guenolé enn eur grena
Ha gri : Gralon toll an diaoul-ez
Divar daillard da hin kane :

Aussitôt les flots s’arrêtèrent et l’on vit la punition du ciel.

Guénolé ne put sauver que Gralon… On voit encore sur le chemin, la trace du sabot du cheval sur le roc, où les abbés de Landévennec, avant de prendre leur charge, viennent prier et reconnaître Gralon comme fondateur du monastère.

Ahès, la mauvaise fille, fut changée en Mari-Morgan (qui chante sur la mer, ou écume de mer) moitié femme et moitié poisson, quand il fait clair de lune, on l’entend encore chanter sur les ruines de la ville engloutie.

Ses yeux ressemblent à deux étoiles, ses cheveux ont la couleur de l’or, son cou et ses doux seins sont aussi blancs que la neige, sa voix mélodieuse charme et endort. Les marins du pays, quand ils l’entendent, se disent avec frayeur : éloignons-nous, Ahès est sortie de son palais, le mauvais temps est proche, et si nous tardons, nous serons jetés sur les rochers, pour dormir de notre dernier sommeil.

Comme Sodome, Gomorrhe, Babylone, Is n’est plus, et les flots roulent sur ses ruines. Au lever du soleil, Gralon et Guénolé gravirent la montagne Menez-Hom, Gralon jeta un regard de pitié derrière lui.

Là où se trouvait Is, on ne voyait plus que la mer; il se jette à genoux pour remercier Dieu et la vierge : se relevant, il vit sur le couchant, Rûmen-Goulou ou Men-ru-ar-Goulou, sur cette pierre on faisait des sacrifices humains : chaque mois, un petit enfant que l’on arrachait à la mamelle.

Les yeux baignés de pleurs, levés vers le ciel, Gralon dit à son ami : sur cette pierre rougie consacrée à un Dieu barbare, je ferait bâtir une église, en l’honneur de la vierge, et là, où l’on verse du sang en l’honneur de Teutatès, la mère du vrai Dieu versera ses grâces sur les Bretons.

Il fut fidèle à sa parole… Les prêtres païens se révoltèrent, quand ils virent détruire le temple. Le roi les vainquit auprès d’Argol, à la tête des Bretons convertis. Sa prière terminée, le roi suivit Guénolé à Landévennec, abbaye qu’il avait fait construire. Il avait déjà donné son palais de Quimper à saint Corentin. A la place de ce palais, se trouve la belle cathédrale. Gralon passa le reste de ses jours à Landévennec, dans la pénitence la plus austère… Il allait souvent avec son ami à Rumengol, itron-varia-romedd-ol… Notre-Dame de tout remède.

La vierge lui apparut, et le bruit se répandit dans la Bretagne. Il mourut entre les bras de Guénolé, à son abbaye de Landévennec, qu’il avait fondée.

Il recommanda son âme à Dieu, disant avec confiance : Itron Varia Rumengol, mirit ouzin na zin da Gall… Madame Marie de Rumengol, jetez les yeux sur moi pour que je n’aille pas à perte.

Il y a longtemps de cette mort, et les bretons qui sont gens de foi et de coeur, ont le souvenir de leur vieux roi et de son ami Guénolé.

S’ils connaissaient mieux l’histoire de leur beau pays quand ils viennent au Dimanche de la Trinité, au pardon de Rumengol, on voyant la baie de Douarnenez, Menez-Hom, Landévennec, la chapelle élevée et miraculeuse, ils diraiont les larmes aux yeux :

Bras ar burzudou a zo bet
Bars an amzer treinenet :

Grands les miracles ont été
dans les temps passés.

Beaucoup diffèrent d’opinion, non sur l’existence de la ville d’Is, mais sur son emplacement.

Nul ne saurait ébranlor ces convictions du peuple, et laissons pour illusions à beaucoup de gens, que l’étymologie du mot Paris est par-et-is, c’est-à-dire, égal à Is.

A baoué e confondet Is
Neus quet cavet par da Paris.

Le roi Breton eut sa tombe à Landévennec, dans l’abbaye même… son souvenir se perpétua longtemps. Longtemps on vit les deux amis se promenant la nuit dans les cloîtres et sur les terrasses de l’abbaye, devisant les choses de Dieu… ne les voit-on pas encore ?

La poésie s’était emparé de l’image de ces deux ombres que l’on aperçevait de loin, marchant, devisant lentement, aux époques des grandes fêtes, cela annonçait de grands événements.

Lavar din ar Belek ?
Parrès Landévennec
A lein è di,
A vel roas e balé
Gralon a Guénolé
En abbati.

C’était toujours les prêtres qui les voyaient, semble dire le poète breton. La traduction française ne le dit pas.

Dis moi, si l’on découvre
Quand Landévennec ouvre
Son grand pardon,
L’ombre Auguste et chérie
De Guénolé qui prie
Avec Gralon.

C’était donc toujours aux époques des fêtes, des solennités, qu’on les apercevait cheminant et priant.