Voici l’histoire de Trégont-à-Baris.
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ToggleTrégont-à-Baris
Il y avait une fois, il y aura un jour,
C’est le commencement de tous les contes.
Il n’y a ni si ni peut-être,
Le trépied a bien trois pieds.
Du temps que le Seigneur Dieu voyageait dans la Basse-Bretagne, accompagné de saint Pierre et de saint Jean, un jour qu’ils cheminaient tous les trois, tout en causant, il leur sembla entendre les vagissements d’un petit enfant, dans une douve, au bord de la route.
Ils descendirent dans la douve et y trouvèrent, en effet, parmi les fougères, un petit enfant abandonné, un fort bel enfant. Ils l’emportèrent. Une vieille femme, qui n’avait pas d’enfant, se chargea de lui, et l’éleva comme s’il eût été son propre fils.
L’enfant venait bien. A quinze ans, c’était déjà un gars vigoureux et de bonne mine. Il voulut voyager. La vieille eut beau le sermonner et le supplier de ne pas la quitter, il fallut le laisser partir. Elle lui donna quelque peu d’argent, et il prit la route de Paris.
En arrivant à Paris, il alla tout droit demander du travail au palais du Roi. On le reçut, parce qu’il était un garçon de bonne mine, et même un joli garçon. Il ne fut pas longtemps sans être remarqué du Roi, qui le prit en affection. Si bien que les autres valets devinrent jaloux de lui, et cherchèrent les moyens de le perdre.
Un jour, qu’ils causaient entre eux de leurs affaires, quelqu’un dit :
— Je voudrais bien savoir ce qui est cause que le Soleil est si rouge, quand il se lève, le matin.
— Ce n’est pas aisé à savoir cela, répondirent les autres.
— Si nous disions au Roi que Trégont-à-Baris (on lui avait donné, je ne sais pourquoi, ce nom, qui signifie Trente-de-Paris) s’est vanté d’être capable d’aller demander au Soleil pourquoi il est si rouge, quand il se lève, le matin ?
— Oui, disons-lui cela.
Le premier garçon d’écurie alla donc trouver le Roi, et lui dit :
— Si vous saviez, Sire, ce qu’a dit Trégont-à-Baris ?
— Et qu’a-t-il donc dit ? demanda le Roi.
— Il a dit qu’il était capable d’aller demander au Soleil pourquoi il est si rouge, le matin, quand il se lève.
— Il n’est pas possible qu’il ait dit cela.
— Il l’a dit ; je vous l’affirme, Sire.
— Eh bien ! dites-lui de venir me parler, alors. Trégont-à-Baris se rendit auprès du Roi.
— Comment ! Trégont-à-Baris, vous avez dit que vous êtes capable d’aller demander au Soleil pourquoi il est si rouge, le matin, quand il se lève ?
— Moi, Sire ? Je n’ai jamais dit rien de semblable.
— Vous l’avez dit, mon garçon, on me l’a affirmé, et il faut que vous fassiez ce dont vous vous êtes vanté, ou il n’y a que la mort pour vous. Allez.
Voilà le pauvre Trégont-à-Baris bien embarrassé, je vous prie de le croire. — C’en est fait de moi ! se disait-il à lui-même. Il se mit pourtant en route, à la grâce de Dieu.
En sortant de la cour, il vit une magnifique jument blanche, qui vint à lui, et lui parla ainsi :
— Monte sur mon dos, et je te conduirai jusqu’au Soleil. Nous avons mille lieues à faire pour arriver, avant le coucher du Soleil, au premier château où nous passerons la nuit.
Trégont-à-Baris monta sur le dos de la belle jument blanche, et aussitôt celle-ci s’éleva en l’air avec lui. Ils arrivèrent auprès d’un château, au moment où le Soleil allait se coucher. Trégont-à-Baris descendit, sur le conseil de la jument, et frappa à la porte du château : dao ! dao !
— Qui est là ? demanda une voix de l’intérieur.
— Trégont-à-Baris ! Ma cavale et moi nous faisons trente et un !
On lui ouvrit et il entra, et il soupa avec la fille du maître du château.
— Où allez-vous comme cela ? lui demanda celle-ci.
— Ma foi, Princesse, je ne sais pas trop. On m’a commandé d’aller demander au Soleil pourquoi il est si rouge, le matin, quand il se lève, et je ne sais de quel côté me diriger.
— Eh bien ! si jamais vous arrivez au but de votre voyage, chez le Soleil, demandez-lui aussi, je vous prie, ce qui est cause que mon père est malade, depuis si longtemps, et ce qu’il faudrait faire pour lui rendre la santé.
— Je le lui demanderai, Princesse.
Le lendemain matin, dès que le Soleil fit levé, Trégont-à-Baris remonta sur sa jument blanche. Celle-ci s’éleva en l’air aussitôt, et les voilà partis, plus rapides que le vent.
Au coucher du Soleil, ils arrivèrent devant un second château, qui était à mille lieues du premier. Trégont-à-Baris fut bien reçu par le maître du château, qui l’invita, comme le premier, à souper à sa table.
— Et où allez-vous ainsi ? lui demanda-t-il.
— Ma foi, on m’a ordonné d’aller demander au Soleil pourquoi il est si rouge, le matin, quand il se lève, et j’y vais ; mais, je ne sais trop quel chemin prendre.
— Eh bien, si jamais vous arrivez chez le Soleil, demandez-lui aussi, je vous prie, ce qui est cause qu’un poirier que j’ai dans mon jardin est desséché et stérile, d’un côté, tandis que de l’autre côté, il produit des fruits, tous les ans.
— Je le lui demanderai, volontiers.
Le lendemain matin, il partit encore, de bonne heure, avec sa jument blanche.
— Comment ! ne sommes-nous pas encore près d’arriver ? demanda Trégont-à-Baris à sa cavale.
— Si, répondit-elle, nous n’avons plus que mille lieues à faire. Bientôt, nous arriverons près d’un bras de mer, où il nous faudra nous séparer, et tu me laisseras de ce côté de l’eau. Un passeur se trouvera là, qui te passera dans sa barque, pour franchir le bras de mer. Il te demandera où tu vas ; mais, ne le lui dis pas, et, en revenant, ne lui dis pas encore où tu auras été, jusqu’à ce qu’il t’ait déposé de ce côté de l’eau.
Ils continuèrent leur route, et arrivèrent bientôt au bras de mer. Trégont-à-Baris mit sa cavale au pâturage, dans un pré qui se trouvait là, et s’avança vers le passeur, qu’il aperçut sur sa barque.
— Si je ne suis pas indiscret, où allez-vous ainsi, seigneur ? lui demanda celui-ci, pendant qu’il lui faisait passer l’eau.
— Passez-moi toujours, et, au retour, je vous dirai où j’aurai été.
Le voilà de l’autre côté. Alors, il aperçut devant lui le château du Soleil, la plus belle merveille qu’eussent jamais contemplée ses yeux. Il s’en approcha, pour entrer. Le Soleil allait se lever, et, en le voyant venir, il lui cria :
— Éloigne-toi ! Éloigne-toi, vite, ou je vais te brûler ! Qu’es-tu venu faire ici ?
— Je suis venu, Monseigneur le Soleil, vous demander pourquoi vous êtes si rouge, quand vous vous levez, le matin.
— Je te le dirai. C’est qu’en ce moment, je passe sur le château de la Princesse au Château d’Or. Pars vite, maintenant, pour que je me lève. Va-t’en, ou je te brûlerai.
— Il faut que vous me disiez encore, auparavant, ce qu’il faut faire pour rendre la santé à un prince malade, qui demeure dans le premier château où j’ai passé la nuit, en venant ici, et que les médecins ne peuvent pas guérir.
— Il y a un crapaud sous le pied droit de son lit ; qu’on tue ce crapaud, et aussitôt le malade recouvrera la santé. Pars vite, à présent.
— Une dernière question, Monseigneur le Soleil. Je ne partirai pas que vous ne m’ayez encore dit ce qui est cause qu’un poirier, qui est dans le jardin du château où j’ai passé la seconde nuit, en venant ici, est tout sec et mort d’un côté, tandis que l’autre côté, il donne des fruits en abondance, tous les ans.
— C’est que, sous ce poirier, il y a une barrique d’argent, et le côté où se trouve l’argent est desséché et stérile, pendant que l’autre est vert et plein de vie. Pars vite, à présent, car je suis en retard.
Trégont-à-Baris salua et partit, ayant appris ce qu’il voulait apprendre, et alors le Soleil se leva.
Arrivé auprès du bras de mer, le passeur le prit sur sa barque, et, au milieu du passage, il lui demanda :
— Eh bien ! que vous a dit le Soleil ?
— Je vous le dirai, quand je serai de l’autre côté de l’eau.
— Dites-le-moi tout de suite, ou je vais vous jeter dans l’eau.
— C’est le vrai moyen de ne rien savoir ; ainsi, ce que vous avez de mieux à faire, c’est de me conduire de l’autre côté.
Et le passeur le conduisit de l’autre côté de l’eau.
— Dites-le-moi, maintenant que vous êtes passé, lui demanda-t-il encore.
— Je vous le dirai, une autre fois, si je repasse jamais par ici.
— Hélas ! me voilà encore pris ! s’écria le passeur. Ma malédiction sur toi ! Il y a cinq cents ans que je suis passeur ici, et tu pouvais me délivrer en répondant à ma question !…
— Oui, pour prendre ta place et rester là aussi longtemps que toi, plus longtemps peut-être… Merci ! Et il partit.
Il retrouva sa cavale où il l’avait laissée.
— Eh bien ! lui demanda-t-elle, t’en es-tu bien tiré ?
— Très bien.
— Monte sur mon dos, alors, et partons.
Au coucher du Soleil, ils étaient devant le château où ils avaient passé la seconde nuit, en allant. Trégont-à-Baris y fut bien accueilli et il soupa encore avec le maître du château, qui lui demanda :
— Eh bien ! avez-vous fait ma commission auprès du Soleil ?
— Oui, je l’ai faite.
— Et que vous a-t-il dit ?
— Il m’a dit que, sous votre poirier, il y a une barrique d’argent, et que c’est le côté de l’arbre où se trouve l’argent qui est desséché et stérile, tandis que l’autre est vert et fertile.
On abattit aussitôt le poirier, et l’on reconnut que le Soleil avait dit vrai.
Le lendemain matin, Trégont-à-Baris et sa cavale se remirent en route, de bonne heure, et, au coucher du Soleil, ils étaient devant le premier château où ils avaient passé la nuit, en allant. Trégont-à-Baris y fut encore bien reçu, et il soupa avec la fille du maître, car celui-ci était toujours malade sur son lit.
— Eh bien ! lui demanda-t-elle, avez-vous fait ma commission auprès du Soleil ?
— Oui, je l’ai faite, Princesse.
— Et que vous a-t-il répondu ?
— Il m’a dit que, sous le pied droit du lit de votre père, il y a un crapaud, et que votre père ne recouvrera la santé que lorsque le crapaud en aura été enlevé et tué.
On fouilla sous le lit et on trouva le crapaud, à l’endroit indiqué ; il fut tué, et aussitôt le maître du château recouvra la santé.
Le lendemain matin, aussitôt le Soleil levé, Trégont-à-Baris et sa cavale se remirent en route, et, vers le soir, ils étaient de retour à Paris, devant le palais du Roi.
— Eh bien ! Trégont-à-Baris, lui demanda le Roi, dès qu’il parut en sa présence, avez-vous réussi dans votre
voyage ?
— Parfaitement, Sire.
— Et que vous a répondu le Soleil ?
— Le Soleil, Sire, m’a répondu que ce qui fait qu’il est si rouge, le matin, quand il se lève, c’est le château de la Princesse au Château d’Or, quand il paraît dessus.
— C’est bien. Elle doit être bien belle, cette Princesse-là ?
Trégont-à-Baris retourna à son travail, comme devant, et, pendant quelque temps, ses camarades le laissèrent en paix. Cependant, ils cherchaient toujours quelque moyen de se débarrasser de lui. Un d’entre eux alla encore trouver le Roi, peu après, et lui dit :
— Si vous saviez, Sire, de quoi s’est vanté Trégont-à-Baris ?
— De quoi donc s’est-il vanté encore ?
— De quoi ? De vous amener ici, dans votre palais, la Princesse au Château d’Or !
— Vraiment ? Dites-lui de venir me parler sur-le-champ, car je suis bien désireux de voir cette Princesse-là.
On avertit Trégont-à-Baris qu’il fallait se rendre immédiatement auprès du Roi.
— Comment ! Trégont-à-Baris, lui dit le vieux monarque, vous vous êtes vanté de pouvoir m’amener ici, dans mon palais, la Princesse au Château d’Or ?
— Moi ? mon Dieu ! Je n’ai jamais rien dit de semblable, Sire.
— Vous l’avez dit, et il faut que vous le fassiez, ou il n’y a que la mort pour vous. Partez immédiatement.
Voilà notre pauvre Trégont-à-Baris bien embarrassé de nouveau. — Que faire ? se disait-il à lui-même. Si encore ma bonne cavale blanche venait, comme l’autre fois, à mon secours !
Il partit, le lendemain matin, de bonne heure. A peine fut-il sorti de la cour, qu’il vit venir â lui sa cavale blanche, qui parla ainsi :
— Monte vite sur mon dos, et partons, car nous avons un long voyage à faire.
Il l’embrassa de joie, puis monta sur son dos, et les voilà partis.
Ils arrivèrent au bord de la mer. En marchant sur la grève, ils virent un petit poisson, hors de l’eau, la bouche ouverte et près de mourir.
— Prends vite ce poisson et remets-le dans l’eau, dit la cavale blanche.
Trégont-à-Baris s’empressa d’obéir, et le petit poisson, sortant sa tête de l’eau, dit :
— Ma bénédiction soit avec toi, Trégont-à-Baris ! Je suis le Roi des poissons, et si jamais tu as besoin de moi ou des miens, appelle, et j’arriverai aussitôt.
Il entra alors dans une embarcation, qu’il vit là auprès, il traversa le bras de mer et se trouva devant le château de la Princesse, qui était tout en or. Il frappa à la porte, et la Princesse elle-même vint ouvrir.
— Bonjour à toi, Trégont-à-Baris ! lui dit-elle, en le faisant entrer. Tu viens ici me chercher pour aller avec toi à la cour du Roi de France.
— C’est ma foi vrai, Princesse.
— J’irai avec toi ; mais, tu vas passer la nuit ici, et demain matin, nous partirons.
Il passa la nuit dans le château, et le lendemain matin, ils partirent. La Princesse emporta la clé de son château ; mais, en passant la mer, elle la jeta au fond de l’abîme. Ils retrouvèrent la cavale blanche sur le rivage, ils montèrent tous les deux dessus, et prirent la route de Paris.
Quand le vieux Roi vit la Princesse au Château d’Or, il en fut si transporté de joie et de bonheur, qu’il faillit en perdre la tête. Tous les jours, c’étaient des festins et des jeux, à la cour, et il voulait se marier sur-le-champ à la Princesse. Celle-ci lui disait qu’elle ne demandait pas mieux, mais, à une condition, c’est qu’on lui apporterait son Château d’Or, auprès de celui du Roi, car elle ne voulait pas en habiter d’autre.
Voilà le Roi embarrassé. Comment apporter à Paris le château de la Princesse ? Était-ce possible ?
— Bah ! lui dit un de ses courtisans, celui qui vous a apporté la Princesse vous apportera bien son château aussi.
Trégont-à-Baris fut encore averti d’aller trouver le Roi.
— Ah ça ! Trégont-à-Baris, il te faut encore m’aller chercher le Château d’or de la Princesse, et me l’apporter ici, car la Princesse ne veut pas en habiter d’autre.
— Et comment voulez-vous, Sire ; que je fasse cela ?
— Tu t’y prendras comme tu l’entendras, mais, il faut que tu me l’apportes ici, ce château merveilleux, ou il n’y a que la mort pour toi.
Voilà notre pauvre Trégont-à-Baris plus embarrassé que jamais.
— Si ma cavale me vient en aide, peut-être me tirerai-je encore d’affaire, se disait-il à lui-même.
Le lendemain matin, en sortant de la cour du palais, il vit encore sa cavale blanche, qui l’attendait, et il lui conta tout.
— Retourne vers le Roi, lui dit-elle, et dis-lui qu’avant de te mettre en route, il te faudra un cheval chargé d’or et un autre chargé de viande.
Trégont-à-Baris demanda au Roi un cheval chargé d’or et un autre chargé de viande. On les lui donna, et aussitôt il se mit en route avec sa cavale blanche. Ils arrivèrent sur le rivage de la mer. Trégont-à-Baris chargea la viande dans un bateau, puis il partit, en laissant sur le rivage sa cavale et les deux chevaux. Il aborda sans tarder dans une île, où il vit quatre lions furieux qui se battaient et cherchaient à s’entre-dévorer, car ils mouraient de faim.
— Ne vous battez pas de la sorte, mes pauvres bêtes, leur cria-t-il ; suivez-moi, et je vous donnerai à manger.
Les quatre lions le suivirent jusqu’au bateau, et là il leur jeta de la viande à manger, à discrétion.
— Notre bénédiction soit avec toi, lui dirent alors les quatre lions, quand ils furent bien repus ; nous allions nous entre-dévorer, si tu n’étais pas arrivé, car la plus affreuse famine règne dans notre île. Si jamais tu as besoin de nous, appelle, et nous nous empresserons d’aller à ton secours.
— Ma foi, mes pauvres bêtes, j’ai grand besoin de secours, dès à présent.
— Que pouvons-nous faire pour toi ?
— Le Roi de France m’a ordonné de lui apporter à Paris le château de la Princesse au Château d’Or, et si je ne le fais pas, il n’y a que la mort pour moi.
— Si ce n’est que cela, ce sera bientôt fait.
Et les quatre lions coururent au Château d’Or, le déracinèrent du rocher sur lequel il se trouvait et le portèrent sur le bateau. Puis, avant de s’en aller, ils dirent encore à Trégont-à-Baris :
— Tu auras encore besoin de nous, Trégont-à-Baris, mais, en quelque lieu que tu sois, appelle-nous, et nous arriverons.
Le lendemain matin, quand le Roi ouvrit les yeux, il fut bien étonné de voir comme sa chambre était éclairée plus que d’ordinaire.
— Qu’est ceci ? dit-il.
Et il sauta hors de son lit et mit la tête à la fenêtre.
— Holà ! s’écria-t-il aussitôt, c’est le Château d’Or qui est arrivé ! Et il courut à la chambre de la Princesse, et
lui dit :
— Votre château est arrivé, Princesse ; venez voir.
— C’est vrai, dit la Princesse, quand elle le vit ; c’est bien lui, je ne puis le nier. Allons le visiter.
Et ils allèrent pour visiter le Château d’Or, et toute la cour les suivit.
— Mais, où est la clé ? demanda la Princesse, en trouvant la porte fermée. Ah ! je me souviens à présent qu’elle m’échappa de la main et tomba dans la mer, dans la traversée pour me rendre ici.
— On fera une autre clé, dit le Roi, et nous pouvons nous marier, sans autre délai.
— Oh ! il n’y a pas d’ouvrier au monde qui puisse fabriquer une clé capable d’ouvrir la porte de mon château ; il me faut absolument mon ancienne clé, et, jusqu’à ce qu’elle soit retrouvée, il ne faut pas me parler de mariage, car c’est dans mon château que je veux me marier.
— Mais, comment faire pour retrouver cette clé, au fond de la mer ?
— Si Trégont-à-Baris n’en vient pas à bout, il faut y renoncer, disait tout le monde.
Trégont-à-Baris fut encore chargé par le Roi d’aller à la recherche de la clé du château, et de la rapporter, sous peine de la mort.
Sa fidèle cavale et lui se remirent en route, le lendemain matin. Parvenus au bord de la mer, la cavale lui dit :
— Te rappelles-tu le petit poisson à qui tu as sauvé la vie, en le remettant dans l’eau ?
— Je me le rappelle très bien.
— Eh bien ! tu sais que c’était le Roi des poissons et qu’il te promit de te venir en aide, quand tu en aurais besoin. Appelle-le.
Et Trégont-à-Baris alla au bord de l’eau, et appela le Roi des poissons. Celui-ci accourut aussitôt, et dit, en sortant sa petite tête hors de l’eau :
— Qu’y a-t-il pour votre service, Trégont-à-Baris ?
— Il me faut, Sire, la clé du Château d’Or, que la Princesse laissa tomber au fond de la mer, quand elle passa par ici en se rendant avec moi à Paris.
— Si ce n’est que cela, ce sera bientôt fait. Aussitôt, le Roi des poissons appela tous ses sujets, chacun par son nom, petits et grands, et, à mesure qu’ils passaient, il leur demandait s’ils n’avaient pas vu la clé du Château d’Or. Aucun n’avait vu la clé.
» Tous avaient répondu à l’appel, à l’exception de la vieille, qui était toujours en retard. Elle arriva aussi, à la fin, tenant la clé dans la bouche. Le Roi des poissons la prit, la remit à Trégont-à-Baris, et celui-ci reprit aussitôt la route de Paris, avec sa cavale.
— Pour à présent, dit le Roi, en remettant la clé à la Princesse, vous n’avez plus de motif de retarder notre union, puisque j’ai réalisé tous vos désirs.
— C’est vrai, répondit-elle, à présent il faut faire les noces. Pourtant, il me faut encore une petite chose auparavant ; cela ne vous sera pas difficile, après tout ce que vous avez déjà fait pour moi.
— Parlez, Princesse, et vous serez obéie.
— Vous n’êtes plus jeune, Sire, et, avant de vous épouser, je voudrais vous voir revenir à l’âge de vingt-cinq ans.
— Et comment cela pourrait-il se faire ?
— Rien n’est plus facile ; vous avez fait des choses bien plus difficiles. Il suffit tout simplement d’avoir de l’eau de mort et de l’eau de vie.
— Mais où trouver ces eaux-là ?
— Cela vous regarde ; mais, je ne vous épouserai pas avant de les avoir.
Le vieux roi fit encore appeler Trégont-à-Baris, et lui dit qu’il lui fallait, pour dernière épreuve, de l’eau de mort et de l’eau de vie, et que, s’il ne les lui procurait, il devait se préparer à mourir.
Le lendemain matin, Trégont-à-Baris trouva encore sa cavale qui l’attendait, à la porte de la cour, et il lui dit ce que le Roi exigeait, comme dernière épreuve.
— Hélas ! dit la cavale, ce sera notre plus difficile épreuve ; mais, si nous y réussissons, ce sera fini, et on te laissera enfin en paix. Partons donc, car nous avons bien du chemin à faire.
Après avoir passé au-dessus d’un grand nombre de royaumes et de pays différents (car ils voyageaient toujours par les airs), ils arrivèrent enfin à leur destination, au milieu d’un bois où jamais homme n’était venu, peut-être.
— Voilà là-bas les deux fontaines, au pied de ces grands rochers que tu vois, dit la cavale à son compagnon. Une goutte par heure, une seule, tombe de chaque rocher dans chaque fontaine.
— Oui, je vois bien les deux fontaines ; mais, je vois aussi deux lions qui gardent chacune d’elles, et, si j’approche, sûrement ils me mettront en pièces.
— Appelle le Roi des lions à ton secours.
Il appela le Roi des lions, et celui-ci arriva aussitôt.
— Qu’y a-t-il pour ton service, Trégont-à-Baris ? demanda-t-il.
— Le Roi de France m’a envoyé lui quérir une fiole de l’eau de mort et une autre fiole de l’eau de vie ; mais, les quatre lions que je vois là-bas, auprès des fontaines, me mettront sûrement en pièces, si j’approche.
— Sois sans crainte, je vais dire un mot à ces camarades.
Le Roi des lions marcha vers les quatre lions qui gardaient les deux fontaines et leur ordonna de ne point faire de mal à Trégont-à-Baris. Celui-ci emplit tranquillement ses deux fioles, une de chaque fontaine, puis il remercia le Roi des lions et retourna à Paris, monté sur sa cavale blanche.
Le voyage avait duré trois ans, et si le Roi était vieux et cassé, à son départ, à présent il l’était bien plus encore, et pourtant il n’en était pas plus sage, et il ne parlait que de se marier, et ne cessait d’importuner la Princesse. Quand il vit revenir Trégont-à-Baris, avec les deux sortes d’eaux, il se mit à chanter et à danser de joie, comme un véritable enfant. Il demanda à être rajeuni sur-le-champ, afin de se marier plus vite.
On le déshabilla, on l’étendit sur le dos, sur une table, puis on versa sur son corps quelques gouttes de l’eau de mort. Il ne dit plus ni tu ni la ; il mourut instantanément. La Princesse au Château d’Or, dit alors :
— Enlevez vite cette charogne et jetez-la pour pourrir dans les douves du château ! Celui qui a eu toute la peine doit recevoir aussi la récompense. C’est Trégont-à-Baris qui sera mon époux.
On fit comme elle dit : le corps du vieux Roi fut jeté dans les douves du château, et Trégont-à-Baris épousa la Princesse au Château d’Or.
Il y eut des fêtes et des festins magnifiques. Vers la fin du repas, Trégont-à-Baris dit :
— Je n’ai qu’un regret.
— Lequel donc ? demanda la Princesse.
— C’est de ne pas voir ici, au milieu de nous, ma fidèle cavale blanche, qui m’a conseillé et accompagné, dans toutes mes épreuves.
Aussitôt, on vit paraître dans la salle, — personne ne sut comment, — une femme d’une beauté extraordinaire, bien plus belle que la Princesse au Château d’Or, qui était pourtant bien belle, et elle prononça ces paroles :
— C’est moi qui t’ai accompagné, Trégont-à-Baris, sous la forme d’une cavale blanche, dans tes travaux et tes épreuves ; je suis la Vierge Marie, envoyée pour te protéger par le Seigneur Dieu, celui qui te recueillit dans une douve, au bord du chemin où tu avais été abandonné.
Ayant ainsi parlé, elle disparut encore, on ne sut comment. Et mon conte est fini.