Le séducteur mythique Don Juan apparaît en 1630 sous la plume de Tirso de Molina. Il sera repris et recréé par de nombreux écrivains dont Molière, Lorenzo Da Ponte (auteur du livret Don Giovani pour Mozart), Byron, Hoffmann, Musset, Mérimée et Dumas.
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«Don Juan vit dans la jouissance de l’instant présent et s’impose comme l’individu s’opposant au Dieu qui l’a créé. Il incarne la puissance du désir érotique en s’opposant à la morale chrétienne qui exige que le mariage précède et encadre la satisfaction de ce désir. Don Juan représente la toute-puissance de l’individu face non seulement à toute oppression mais plus encore face à toute forme d’autorité, qu’elle soit divine ou sociale.»
La première version du mythe: «un personnage empli d’une sensualité souveraine»
La première version du mythe qui développe pleinement les caractéristiques du personnage est l’œuvre de Tirso de Molina, El burlador de Sevilla y Convidado de Piedra, paru en 1630. Don Juan est défini par cette œuvre comme un personnage défiant les autorités et la société de son temps en refusant de se soumettre aux codes moraux qui sévissent alors et en remettant à plus tard son repentir.
Personnage empli d’une sensualité souveraine, non pas athée mais peu intéressé par la religion catholique, il poursuit et trompe de nombreuses femmes avant de se repentir devant les flammes de l’enfer. Il symbolise un déchaînement érotique qui s’oppose au discours galant de l’amoureux transi.
Il vit dans la jouissance de l’instant présent et s’impose comme l’individu s’opposant au Dieu qui l’a créé. Il incarne la puissance du désir érotique en s’opposant à la morale chrétienne qui exige que le mariage précède et encadre la satisfaction de ce désir. Don Juan représente la toute-puissance de l’individu face non seulement à toute oppression mais plus encore face à toute forme d’autorité, qu’elle soit divine ou sociale.
Il s’oppose fondamentalement à la charité que prône l’église catholique et aux devoirs qu’impose la vie sociale. Il place l’individu au-dessus du général, de la société. Il a supprimé de sa vie les devoirs envers ses semblables, estimant que le seul devoir de l’homme est d’assurer à son moi un épanouissement sans limites.
«Don Juan devient, à travers la pièce de Molière un libertin athée, grand seigneur hypocrite».
À cette première version du Don Juan espagnol succède des variantes italiennes qui n’apportent pas d’importants changements en ce qui concerne la figure de Don Juan. Les œuvres françaises au dix-septième siècle de Villiers et Dorimon préparent la plus importante version du mythe de Don Juan depuis sa création, celle de Molière, qui parut en 1665.
Il devient, à travers la pièce de Molière un libertin athée, grand seigneur hypocrite. Il est un personnage cynique et froid qui ne recherche plus la simple jouissance de la vie mais désire manipuler les hommes qui l’entourent, déshonorer les femmes qui passent à sa portée et affirmer sa supériorité. Sa fierté s’appuie sur sa haute naissance. Plus que sa nature intrinsèquement sensuelle qui, chez le Don Juan de Tirso, séduisait immédiatement, le Don Juan de Molière met en œuvre une rhétorique de la séduction pour attirer la femme qu’il désire. Il utilise aussi la promesse du mariage.
On voit donc que le mythe subit une transformation importante car le personnage de Don Juan n’exerce plus une séduction immédiate mais il doit utiliser des moyens qui ne relèvent pas de sa nature propre.
Les Don Juan anglais du dix-septième et dix-huitième sont caractérisés par leur violence. On assiste à l’explosion des instincts. Ce ne sont plus seulement les instincts érotiques et sensuels mais toute forme d’instincts. Cette explosion s’érige en loi,
En 1787 paraît le livret de Lorenzo Da Ponte mettant en scène un Don Juan au féroce appétit de vivre, rassemblant les caractéristiques des aristocrates libertins du dix-huitième. Il se situe dans l’immanence temporelle, vivant dans l’instant et rejetant toute morale ou religion. Mozart crée son opéra Don Giovanni à partir du livret de Da Ponte et le représente pour la première fois à Vienne en 1788.
Le Don Juan musical s’accorde pleinement à un Don Juan épicurien et jouissant de chaque instant vécu. La musique traduit une sensualité souveraine et séductrice par sa force intrinsèque. L’apparition du commandeur à la fin de l’opéra est conservée.
Le Don Juan du dix-neuvième siècle: «un héros romantique séducteur autant qu’il est séduit»
Le Don Juan du dix-neuvième siècle est l’héritier du Don Giovanni de Mozart. La musique semble avoir fait perdre à celui-ci le cynisme et la perversion du héros moliéresque. Le Don Juan se donne dès lors comme un héros romantique séducteur autant qu’il est séduit. Il est romantique car il attire l’amour sans mettre en œuvre les ressources d’une séduction calculée. Il porte de plus en lui une image d’un absolu féminin dont la recherche devient une quête démesurée et mélancolique.
S’il quitte les femmes rencontrées et aimées, ce n’est donc pas en raison de la satisfaction de désirs purement sensuels mais soit en raison du destin, soit parce que l’idéal de la femme aimée, qu’il imagine comme unique ne peut jamais correspondre à la réalité. Ainsi que le remarque Gendarme de Bévotte, Hoffmann semble offrir la première figure d’un Don Juan romantique dans ses Fantasiesstücke in Callot’s manier parues en 1814.
Le titre est devenu «Don Juan, eine fabelhafte Begebenheit, die sich mit einem reisenden Enthusiasten zugetragen» (Don Juan, aventure fabuleuse arrivée à un Enthousiaste). Ce Don Juan rétablit le lien avec l’absolu et la beauté, il devient « le symbole de l’aspiration de l’homme vers la suprême beauté. »
Don Juan remplace l’absolu divin par l’absolu féminin et s’oppose de toutes ses forces à l’amour prosaïque et relativiste qu’impose la société bourgeoise. Don Juan est désormais l’incarnation de la rébellion de l’individu solitaire face à toute force coercitive, qu’elle soit sociale ou religieuse. Il se charge des aspirations romantiques qui agitent le siècle et perd en partie sa capacité à capacité à jouir réellement de ses conquêtes.
Les versions de ce Don Juan romantique se multiplient au sein de l’Europe du dix-neuvième. Le Don Juan de Byron en est un exemple particulier sur lequel nous reviendrons. Pouchkine écrit Le convive de pierre en 1830 dans lequel Don Juan atteint une grandeur surhumaine et presque divine. Musset offre en 1832, dans Namouna, une conception d’un Don Juan comme assoiffé d’une beauté que seule peut lui offrir la femme.
C’est un Don Juan poétique, éloigné de tout cynisme sordide, qui absolutise l’amour et y consacre son existence. La rédemption redevient possible, comme le montre les œuvres de Mérimée et de Dumas, les Âmes du Purgatoire, en 1834, et Don Juan de Maraña ou la chute d’un ange, en 1836. Ces deux œuvres réconcilient deux légendes, celle de Don Juan et celle de Don Miguel Mañara, qui vécut à Séville au dix-septième, eut une jeunesse débauchée mais fut ensuite d’une grande piété.
Le Don Juan ébauché au dix-neuvième siècle est donc un héros absolument romantique. Les auteurs qui s’attachent à ce sujet décident de mettre en valeur tel ou tel aspect particulier du mythe, créant ainsi un personnage aux multiples facettes mais qui reste cependant Don Juan».