La magie d’Almourol

Une jeune fille habitant un village situé aux alentours du château d’Almourol était admirative du petit château d’Almourol, et elle voyait en ce petit bijou perdu au milieu du Tage, quelque chose d’inexplicable favorisant la chance.

La magie d’Almourol

A maintes reprises en effet, elle avait remarqué qu’en se rendant au préalable sur les berges du Tage afin de contempler le château pendant quelques minutes tout en pensant à un souhait, ses désirs semblaient ensuite favorisés et se réalisaient pour la plupart de façon positive.

Elle n’avait certes pas été exigeante dans ses souhaits et n’a jamais rien demandé de vraiment impossible, mais ces petites choses de la vie quotidienne qu’elle désirait voir évoluer de façon positive, se passaient plutôt bien lorsqu’au préalable elle prenait la peine d’aller contempler le château pendant une dizaine de minutes. On s’accroche à ce qu’on peut.

Le château la fascinait donc au point qu’elle se rendait dès qu’elle le pouvait sur les berges du Tage, et passait de longs instants à contempler le petit joyau de pierres renfermant une partie de l’Histoire du Portugal.


Un soir, alors qu’elle demeurait paisible sur une des berges du Tage contemplant Almourol depuis une dizaine de minutes, une vielle dame semblant venir de nulle part s’approcha d’elle. Et sans que la jeune fille ait pu prononcer le moindre mot, la nouvelle arrivante lui lança une phrase soudaine: « Pourquoi le désires-tu aux yeux verts ?

Interloquée, la jeune fille comprit de suite que la vieille dame lisait dans ses pensées, puisque justement, tout en regardant en direction du château, elle était en train d’imaginer les contours de son futur amoureux, et elle le l’imaginait justement ayant les yeux verts. Miracle ? Voyante ?

Non, lui répondit la vielle dame dont les traits reflétant une énorme sagesse étaient rassurants. Non, je ne suis pas voyante, ma petite fille. J’ai simplement hérité de « la magie d’Almourol ». Toi aussi tu en hériteras aussi un jour si tu continues à le regarder autant et aussi souvent. Ce n’est pas un mal, mais la magie d’Almourol permet de voir le futur, et ce n’est pas forcément souhaitable, car la magie du savoir réduit le piment de la vie. Il vaut mieux se fier au hasard et au cours normal des choses plutôt qu’à la certitude perçue par avance.

La jeune fille semblait n’avoir compris qu’à moitié les propos de son interlocutrice, mais avait cependant saisi qu’Almourol pouvait lui apporter la vision du futur. A son âge, allait-elle cependant « gober » ça ? se dit-elle toutefois intérieurement.

  • Si j’héritais de la magie d’Almourol, je pourrais donc connaître mon avenir ? demanda-t-elle à la vieille dame.
  • Bien sûr, ma petite fille. Mais ne crois pas que ce soit obligatoirement une bonne chose que de tout connaître à l’avance.
  • Pourtant j’en rêverais, répondit la jeune fille, qui au fond ne demandait qu’à posséder un jour le pouvoir lui permettant de voir l’avenir de façon aussi claire qu’elle voit le château d’Almourol à ce moment précis. Quelle aubaine ce serait…
  • Je m’en doute. Dit la vieille dame, lisant manifestement dans les pensées. Tous les humains rêveraient de ça. Mais crois-moi, ne cherche pas à posséder la magie d’Almourol, et préfère laisser faire la vie.

Bon, ajoute-elle de suite. Je m’aperçois que quoi que je te dise tu chercheras à acquérir sa magie et tu n’en feras qu’à ta tête. Je vois que ton plus grand désir actuel est de savoir si un jour tu auras un amoureux, un vrai, et à quoi il ressemblera? C’est bien ça ? Finit-elle par demander.

  • Oui, c’est exactement ça répond la jeune fille. Au fond, l’avenir je m’en moque un peu. Mais ce que je voudrais c’est uniquement savoir à l’avance comment sera mon amoureux, l’homme qui m’aimera vraiment et avec lequel je pourrai partager ma vie.
  • Soit, répondit la dame du tac au tac. Et si je te permettais de connaître cet aspect de ton avenir, me promettrais-tu de renoncer définitivement à acquérir la magie d’Almourol ?
  • Promis d’avance ! Lança la jeune femme, avec un air sûr d’elle. La vie est longue et je crois que vous avez raison de dire qu’il vaut mieux ne pas en connaître le tracé par avance. Mais concernant mon futur Amour, ça oui, je rêverais vraiment de savoir.
  • Très bien. Dans ce cas je vais t’expliquer la façon de t’y prendre et te permettre de savoir ce que tu veux savoir, et rien que cela. Mais dis-toi bien que pour ton bien, jamais tu ne devras trahir la promesse que tu viens de me faire. Tu ne reviendras donc désormais voir le château que pour ton plaisir, ou pour qu’il te porte chance, mais jamais pour tenter d’acquérir sa magie. C’est bien promis ?
  • Promis et encore promis ! Répond la jeune fille avec un air sérieux. Je n’ai jamais trahi une promesse et je compte garder cette ligne de conduite pendant toute ma vie. Et de toute façon je peux vous avouer que je ne savais même pas que Almourol pouvait transmettre la magie permettant de voir le futur. Je le contemplais simplement de temps en temps car j’ai constaté qu’il portait bonheur quand on vient le regarder.
  • Parfait. Répond la vieille dame. Sache que ce n’est que pour ton bien que je te demande cela. Almourol porte bonheur quand on le contemple, c’est vrai et je suis probablement la seule à savoir pourquoi. Mais je sais par contre par expérience, qu’acquérir sa magie, et donc connaître l’avenir par avance, n’apporte en fait rien et ne rend pas plus heureux. Donc, puisque tu es d’accord, écoute-moi bien…

Choisis de préférence un soir où le temps sera beau, traverse le Tage et rends-toi dans l’enceinte du château juste avant que le soleil se couche. Entre alors par la grande porte en pensant très fort à ce que tu veux savoir.

Grimpe ensuite doucement jusqu’en haut du donjon et attends le moment précis où le soleil se couchera. Ouvre grand tes yeux, et la vérité surgira. Ne m’en demande pas plus car tu comprendras par toi-même.


La jeune fille suivit le conseil de la vieille dame et se rendit au château quelques jours après. Elle jubilait tout en étant intriguée par ce qui pourrait l’attendre. Que verra-t-elle ? Que lui réservera l’avenir proche ? Proche ou lointain, au fait ? Comment savoir ? Qu’apprendrait-elle ? Y aurait-il une technique spéciale pour « entrevoir » ce qu’elle vient y chercher ?

Toutes ces questions lui permirent de grimper en haut du donjon sans même s’en rendre compte. Une fois en haut elle se mit à regarder tout autour en ouvrant grand ses yeux. Le soleil n’allait pas tarder à tomber et il n’était pas question de manquer « la vérité », sa vérité, ou en tout cas la réponse qu’elle attendait concernant son avenir amoureux.

Le soleil déclinait sur l’immensité du Tage, apportant au ciel une flamboyance rougeâtre d’une beauté à couper le souffle. On aurait dit que les Princes de l’infini s’étaient donné le mot pour construire un décor irréel justement ce soir-là. Le contexte et le paysage environnant paraissait empreints de magie. Les couleurs dansaient autour de cette vallée verdoyante du Tage.

La jeune fille était de plus en plus fébrile et guettait le moment exact où le soleil daignerait enfiler son pyjama. Ses yeux magnifiques avaient épousé la teinte des nuages, désormais peints par les pinceaux intrépides des rayons du soleil couchant.


Soudain, elle se sent curieusement faiblir. Ses jambes paraissent ne plus pouvoir la tenir debout. Elle s’accroche aux murs qui l’entourent pour parvenir à se maintenir droite. Le soleil s’estompe tandis qu’elle vacille inexplicablement.

Que lui arrive-t-il ? Ce moment de grande faiblesse est très mal choisi, pense-t-elle grâce à ses ressources cérébrales désormais devenues bien fragiles. Elle ne comprend rien de ce qui lui arrive mais a encore conscience qu’elle est en train de manquer le moment crucial, le fabuleux moment où la vérité va surgir d’on ne sait où…

Elle lutte maintenant pour garder les yeux ouverts mais ses jambes ne la tiennent plus. Elle pose un genou à terre, et le second ne tarde pas à suivre le mouvement. Sa vision s’amenuise au fil des secondes. Elle capitule et s’effondre sur le sol, inerte.

  • Comment vous appelez-vous ? Que vous est-il arrivé ?

La jeune fille allongée sur le sol ouvre les yeux lentement en entendant cette voix d’homme lui murmurer ces questions.

Que m’arrive-t-il ? Demanda-t-elle. Où suis-je ? Qui êtes-vous ?

  • Je vous ai trouvée là, inerte. répond le jeune homme attendri par le contexte, mais rassuré quant à l’état de la jeune fille, qui peu à peu reprend tous ses esprits, au point d’ailleurs qu’elle décide de se lever soudainement, mais mal lui en a pris car ses forces n’étant pas encore intactes, elle se retrouve dans les bras du jeune homme qui heureusement a pris a peine de l’aider.

Un éclat de rire commun vint déchirer le ciel et cette magnifique vallée verdoyante du Tage désormais plongée dans une quasi-pénombre, vu que le soleil s’est offert le luxe de se coucher.

Le jeune homme lui explique la raison de sa présence à Almourol, « finalement », dit-il,  » bien utile au vu des circonstances ».


Constance ! s’exclame la jeune fille. Constance est un mot qui résonne comme un sourire dans ma tête. J’adore le village de Constance (Constancia). C’est un village propice à l’amour. Il semble y régner plénitude et sérénité. Je suis originaire de là-bas. Elle ajoute en souriant « on dirait que je parle d’un lieu lointain alors que Constancia n’est qu’à quelques kilomètres. Je n’y habite plus mais j’y suis née », finit de dire la jeune fille.

C’est drôle car je suis aussi originaire de Constancia. Mais mes parents en sont partis alors que j’avais dix ans, dit le jeune homme.

Dix ans ? Tu es parti de Constancia à l’âge de dix ans ? Interroge la jeune fille qui curieusement se met à tutoyer son interlocuteur.

Oui, dix ans. Le jour exact de mes dix ans d’ailleurs. Répond le jeune homme.

Joao ! Crie la jeune fille comme si elle venait de trouver la réponse à une énigme d’une importance capitale ! Tu est Joao Alves, finit-elle de dire avec une certitude dans le regard ne souffrant pas la contradiction.

Ca fait bien douze ans que tu es parti de Constancia, n’est-ce pas ? demande-t-elle au jeune homme qui désormais sent sa mine blêmir peu à peu. La couleur verte et éclatante de ses yeux contraste avec la pâleur soudaine que prend son visage. D’un air perplexe, il marque un temps de pause et répond…

Oui, c’est ça. Douze ans que je suis parti vers une autre ville du Portugal, loin d’ici, et… – après trois secondes de silence il poursuit – … Douze ans que je pense à toi nuit et jour, Anabela ! fini-t-il de lancer, pratiquement les larmes aux yeux.


Le silence est désormais devenu le seul maître à bord d’Almourol, ce château soudainement devenu bien plus magnifique que d’habitude, plus précieux que tout au monde, plus magique que l’infinité du néant et que l’incertitude de l’existence.

Le grandiose lutte contre le merveilleux dans cet endroit transformé en une antre somptueuse de splendeur. Un parfum subtil de tendresse envahit le donjon d’Almourol et imprègne probablement de façon profonde l’histoire enfouie dans ces pierres qui sont parvenues à traverser le temps et à préserver des mystères dans ce château décidément fabuleux.

Almourol est devenu plus beau qu’un poème d’enfant, ce genre de poème qu’une petite fille de neuf ans écrit pendant une nuit entière à l’encre de ses larmes, afin de l’offrir à son petit amoureux le jour de ses dix ans, le jour-même où celui-ci se sépare d’elle probablement pour toujours, étant obligé de suivre ses parents vers un ailleurs qui les éloignera à jamais.

Certes, un garçon de dix ans est un homme, un vrai, un grand. Il sait donc se retenir de pleurer dans ce moment déchirant des adieux, quand sans avoir le choix, il est obligé de quitter sa petite fiancée, sa complice de jeux, sa confidente depuis toujours, celle avec qui ils s’étaient ensemble promis de ne jamais se séparer…

Insouciance de l’enfance et utopies de l’innocence contrariées par des brides injustes de vie.

Mais du haut de ses dix ans, ce grand homme qui parvenait à jouer aux adultes le temps du départ, une fois parti vers la destinée que la vie lui dictait, s’était arrêté de vivre, gardant enfoui en lui ce grand amour éternel mais impossible du fait de la distance qui les séparait. Que de nuits et d’oreillers ont été inondés en silence par la tristesse sortie de ses yeux d’enfant…

Que de souffrances en secret, que d’injustice ressentie… d’être ainsi par la force des choses séparé de cette petite princesse pour qui il éprouvait des sentiments d’une force incroyable – plus forts que l’amour des grands, se plaisaient-ils à se dire mutuellement à l’époque… lui et cette petite fille qu’il aimait tant…

Cette petite fille, qui de son côté avait cessé de vivre le jour du départ de son petit Prince, celle qui pensait à lui chaque jour que Dieu faisait, qui avait perdu toute trace de son complice de toujours, et en qui demeurait une sorte de secret espoir destiné à la hanter jusqu’à la fin de ses jours.


Ils sont là, tous deux face à face et agenouillés sur le sol de ce donjon magique d’Almourol, main dans la main, les corps tremblants, et ne comprenant pas vraiment la réalité de cet instant qu’ils n’auraient plus cru possible même dans leurs rêves les plus flous. Leurs regards brillent d’une intensité plus forte que le plus beau des feux d’artifice. Un sourire attendri les réunit dans une complicité retrouvée que le temps n’a visiblement pas réussi à détruire, et dont ils savent qu’elle sera dorénavant plus intense que jamais, et plus belle que l’absolu.

Les mots sont inutiles à cet instant car les images défilent de toutes parts dans les têtes de ces deux oisillons interloqués par l’incroyable contexte dans lequel ils baignent avec délectation. Ils ne demandant désormais à la vie que de ne plus jamais les séparer.

Il plane sur Almourol une quiétude bienveillante tandis que leurs lèvres ne vont pas tarder à se rejoindre… Elles se rapprochent, s’effleurent, doucement… lentement… dégustation intense et subtile d’un instant qui vaut bien plus que de l’or…

La magie du château n’a pas manqué son rendez-vous. Almourol est bel et bien un porte-bonheur, sans doute même le symbole de la chance absolue. Personne ne pourra en tout cas jamais convaincre du contraire les deux jeunes amoureux, qui quittent maintenant l’îlot d’Almourol et regagnent la rive dans la petite barque qu’avait empruntée la jeune fille pour se rendre au château.

La petite embarcation glisse sur les reflets encore visibles du Tage malgré la pénombre.

Au loin, sur la rive opposée, une ombre semble alors leur faire un signe amical, auquel les deux tourtereaux répondent en coeur par un « Merci » sorti on ne sait pourquoi de leur bouche exactement en même temps. Cette étonnante réaction, et qui plus est simultanée, ne semble pas les surprendre. Un éclat de rire commun et amusé s’ensuit, marquant les prémices d’un nouveau départ, le vrai, et d’une grande et radieuse histoire d’Amour, qui n’en doutons pas, a déjà un parfum d’éternité.

« Nous ne pouvons que croire que la magie d’Almourol ainsi que cette histoire ont un parfum d’éternité.

Cela fait désormais quinze ans que nous vivons une histoire d’amour hors du commun. Et nos sentiments ainsi que notre complicité, non seulement demeurent intacts, mais nous avons même tous deux l’impression que cela va en augmentant au fil du temps. C’est magique.

Nous habitons… Devinez où ? A Constancia, à quelques kilomètres du château d’Almourol. Nous avons deux enfants, qui on se demande pourquoi, se sont mis à aimer le château et en ont d’ailleurs fait leur mascotte sans même connaître notre histoire, que nous leur révélerons sans doute un jour …

… Pour qu’ils sachent qu’Almourol est magique, mais aussi et surtout pour qu’ils s’imprègnent de l’idée que dans la vie rien n’est jamais définitivement impossible ».