L’Expédition de Connle Ruad

Voici l’histoire de l’expédition de Connle Ruad, du cycle historique irlandais.

Expédition de Connle Ruad

Pourquoi dit-on Art l’Unique? Cela n’est pas difficile à expliquer.

Un jour , Connle Ruad, fils de Conn Cetchathach était à côté de son père sur les hauteurs d’Usnech. Soudain il vit une femme magnifiquement vêtue qui s’approchait de lui. Connle lui adressa la parole : D’où viens-tu, femme? dit-il. — Je viens, répondit la femme, des terres des vivants, du pays où l’on ne connaît ni la mort, ni le péché, ni le scandale.

Nos festins prolongés n’ont pas besoin de préparation ; jamais une querelle ne trouble nos belles réunions. Nous habitons le grand Sid ; aussi on nous appelle le peuple des Side. « Avec qui parles-tu, dit Conn à son fils? » Car personne ne voyait la femme, excepté le seul Connle. La femme répondit :

Il cause avec une femme jeune, jolie, de noble naissance,
Qui n’a à craindre ni mort, ni vieillesse.
J’aime Connle Ruad. Je l’invite à venir à Mag Mell
où règne un roi Boadach l’immortel ;
nulle plainte, nul malheur dans son pays, depuis qu’il a pris le pouvoir.

Viens avec moi, Connle Ruad, au cou coloré, éclatant comme la lumière!
Il faut qu’une couronne d’or soit placée sur la tête,
comme emblème éternel de ta dignité royale.
Si tu le veux, jamais ne se flétrira ton corps,
sa jeunesse, sa beauté jusqu’au jugement favorable.

Conn adressa la parole à son druide, dont le nom était Coran. Ils avaient tous entenda ce que disait la femme, mais ils ne la voyaient pas.

Je t’implore Coran aux chants célèbres,
à la vaste science,
un ordre rigoureux m’est donné,
il est plus fort que ma volonté
et plus fort que ma puissance.
Jamais je n’ai livré pareil combat
depuis que j’ai pris le pouvoir.

Plus forte que toutes les armes,
une forme invisible me tourmente
et chante autour de mon fils pour l’enlever par sorcellerie d’auprès de moi,
le roi d’Irlande, et des charmes magiques de femme l’entrainent.

Alors le druide chanta contre la voix de la femme, afin qu’on ne l’entendît pas, et aussi pour que Connle ne la vit plus.

Mais la femme en partant, chassée par le chant magique du druide, avait donné une pomme à Connle. Celui-ci fut jusqu’à la fin du mois sans boire ni manger. Aucun mets ne lui plaisait, sinon sa pomme. La pomme ne diminuait pas ; chaque fois qu’il en mangeait, elle restait intacte. Puis Connle devint soucieux : il pensait à la femme qu’il avait vue. Le jour où le mois fut terminé, il était avec son père à Mag-Archomman, lorsqu’il vit devant lui la même femme qui lui dit :

Connle, toi qui es assis
à une place élevée parmi les mortels qui passent,
toi qui attends la mort si redoutée,
des êtres immortels t’invitent à venir vers eux ;
tu es un héros pour le peuple de Tethra,
il veut te voir chaque jour
dans les assemblées de tes ancêtres
au milieu de ceux que tu as connus
et qui te sont chers.

Lorsque Conn entendit la voix de la femme, il dit à ses gens : « Appelez le druide, qu’il vienne vers moi, voici qu’aujourd’hui la voix de cette femme se fait encore entendre. » La femme lui répondit :

Conn Cetchathach,
l’art du druide n’a plus de puissance,
dans peu de temps il atteindra le Grand rivage.
Le Juste viendra bientôt
avec de nombreux et illustres compagnons,
et sa loi détruira les sortilèges des druides,
ces péchés inspirés par la bouche
du démon noir et trompeur.

Conn s’étonnait que Connle ne répondît rien à personne si ce n’est : « la femme est venue. » — As-tu compris, lui dit-il, ce qu’a dit la femme, Connle? Connle loi répondit : Ce qu’elle demande m’est facile à exécuter ; une chose me retient : c’est que j’aime ma famille. Cette femme me cause bien du tourment.

Alors la femme répondit et parla ainsi :

Tu m’aimes, qu’importe que les tiens te regrettent !
Dans une barque de verre, nous pourrons atteindre le Sid de Boadach.
C’est une terre étrangère où il n’est pas difficile d’aller.
Je vois le soleil brillant qui baisse; quoique notre pays soit loin, nous y arriverons avant la nuit.
C’est la terre du plaisir pour quiconque la parcourt.
Notre race ne se compose que de femmes et de jeunes filles.

A cette réponse de la femme, Connle quitta les siens et sauta dans la barque de verre. Son père et ses amis le virent s’éloigner peu à peu. Ils regardèrent tant que leurs yeux purent l’apercevoir. Connle et la femme disparurent sur l’étendue de la mer et, depuis, jamais on ne les a revus, on ne sait où ils sont allés.

Comme Conn et les siens restaient assemblés pensifs, ils virent s’avancer vers eux Art, le fils de Conn. « Art est fils unique aujourd’hui, dit Conn, il est vraisemblable qu’il n’a plus de frère.» — « Tu as bien dit », répondit Coran. « Ce nom, Art Oenfer sera toujours le sien et ne le quittera pas à l’avenir, à partir d’aujourd’hui. »