Il y avait une fois un jeune garçon si robuste et d’un tel appétit qu’on lui avait donné le nom d’Hamalau (Quatorze). Il était la désolation de ses parents qui ne pouvaient venir à bout pour le rassasier, en sorte qu’un beau matin, n’ayant plus rien à partager avec lui, ils le mirent dehors, le laissant aller gagner sa vie à la grâce de Dieu.
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Hamalau s’en alla donc tout droit devant lui. Quand le grand air et la marche lui eurent bien creusé l’estomac, il s’arrêta devant la maison d’un laboureur et frappa bruyamment à la porte. La maîtresse de la maison se montra à la fenêtre :
– Qui est là ? Dit-elle.
– C’est Hamalau !
La bonne dame regarde à droite et à gauche et ne voit qu’une seule personne :
– Comment dites-vous ? Qui êtes-vous ?
– Hamalau.
La dame descend et ouvre, et Hamalau entre sans façon. Elle lui demande ce qu’il veut.
– Je viens savoir si avez besoin d’un serviteur, et vous offrir au besoin mes bras.
– Sans doute, sans doute ; nous avons besoin d’ouvriers en ce temps de moisson, et demain il nous faut couper le blé du grand champ, qui est à point. C’est une grosse besogne et qui demanderait un jour de travail à quatorze ouvriers.
– Quatorze ouvriers ? C’est justement mon affaire. Ne cherchez pas d’avantage, je me charge tout seul à couper votre blé dans la journée de demain ; pourvu que vous me prépariez le déjeuner des quatorze.
Quoiqu’un peu surprise, la maîtresse, pensant qu’il y avait encore économie pour elle, retint Hamalau comme ouvrier, sans attendre le retour de son mari.
Le lendemain, Hamalau prend une faux et se rend au champ. La maîtresse, ainsi qu’il était convenu, prépara un déjeuner pour quatorze personnes et le porta dès sept heures à Hamalau. Elle le trouve couché tranquillement sur l’herbe, la faux à côté de lui. D’ouvrage, point.
Elle lui dit avec un peut d’aigreur :
– Es-ce ainsi que vous travaillez ? Et vous imaginez-vous que je vous ai engagé pour ne rien faire ? Voilà un déjeuner bien gagné, sur ma foi. Mais écoutez bien. Si avant midi vous n’avez pas fait une part raisonnable de la besogne, nous nous parlerons, vous et moi.
– Là ! Là ! Ne vous fâchez pas ; mettez seulement ici le déjeuner. Après cela, nous parlerons tant que vous voudrez.
Ayant ainsi dit, Hamalau mange le déjeuner des quatorze et recommande à la maîtresse d’apporter à midi bien précis le dîner des de quatorze. La dame murmure un peu et s’en va.
Hamalau s’étend de nouveau sur l’herbe et dort jusqu’à onze heures. Alors, il prend sa faux et la fait fonctionner vigoureusement jusqu’à midi. A midi, la moitié du blé était en javelles sur le champ.
La dame arrive à l’heure juste avec le dîner et jette un coup d’œil de satisfaction sur l’ouvrage terminé. Hamalau mange les quatorze parts, recommande à la maîtresse d’apporter à cinq heures un goûter pour quatorze et s’étend sur l’herbe.
La dame arriva à l’heure juste avec le goûter. Elle trouve Hamalau couché et la besogne au même point qu’à midi. Elle se met de nouveau en colère.
– Pensez-vous que nous puissions vous nourrir pour rien ? La nuit va bientôt arriver ; comment espérez-vous en avoir fini avec ce champ ?
– Ce sera fini à l’heure dite ; n’ayez pas peur. Donnez-moi seulement le goûter, car je meurs de faim.
Il mange comme quatorze et se recouche sans faire attention aux doléances de la femme qui se retire en courroux. A sept heures, il se met à l’œuvre ; et à huit heures tout le blé était coupé.
Hamalau va réclamer son souper à la maîtresse. Elle le donna de bon cœur, le travail étant terminé suivant les conventions.
Sur ces faits, arriva le maître à qui sa femme raconta les merveilles de la vaillance et l’appétit d’Hamalau. Dès le lendemain, le maître et le valet vont couper de la fougère ; le soir, grâce à Hamalau, toute la fougeraie était rasée. Et ainsi de suite les autres jours. Hamalau suffisait à tous les travaux de la maison ; il labourait, semait, récoltait, nettoyait.
Mais il mangeait aussi comme quatorze, et ses maîtres par avance résolurent de se débarrasser de lui, ne pouvant lui donner son congé. En effet, à toutes les sommations de déguerpir, il répondait résolument :
– Je me trouve bien chez vous ; vous me plaisez tous les deux et je ne veux pas vous abandonner.
Il y avait, bien loin de la ferme, une forêt hantée par les loups et les ours. Les maîtres dirent à Hamalau :
– Tenez ; vous allez atteler les vaches au chariot et vous irez chercher à la forêt une charretée de bois.
Hamalau attela les vaches et les conduisit à la forêt. Il faisait chaud. Hamalau attacha les vaches à un arbre, se coucha à son aise sur l’herbe et s’endormit aussitôt. A son réveil il n’aperçoit plus qu’une vache.
– Bien sûr, dit-il, ce sont les ours qui l’ont mangée.
Il se met en chasse aussitôt et trouve un ours endormi. Il le prend par l’oreille et l’amène à côté du chariot ; il l’attelle, bon gré, mal gré, charge de bois sa voiture et revient à la maison. A la vue de l’attelage, les gens s’effraient. Ils le prient de donner la liberté à cet animal féroce :
– Non pas, non pas, dit Hamalau. Pourquoi a-t-il mangé notre vache ? Je veux le dresser à faire sa besogne.
Le lendemain il retourne à la forêt avec le chariot attelé de l’ours et de la vache. Comme la veille il attache les bêtes à un arbre, se couche à son aise sur l’herbe et s’endort. A son réveil, il ne trouve plus la vache ; les ours l’avaient mangée. Il se met encore en chasse et ramène un ours par l’oreille. Il l’attelle à côté de l’autre et charge le chariot de toute une forêt.
Jugez un peu le tapage que faisaient les deux animaux. Ils remplissaient les champs de leurs hurlements sauvages, et on aurait dit, tant il y avait de bois sur le chariot, qu’ils portaient leur charge en l’air. Ils arrivèrent ainsi à la maison, au grand effroi des maîtres « Quel homme ! Se disaient-ils ; il ne craint rien ; il se sert des ours comme de petits oiseaux. Quelque jour, s’il lui en prend envie, il se débarrassera de nous. »
Dans un coin de la forêt vivait un Tartare fort riche, qui possédait les plus belles vaches du pays. Il haïssait les chrétiens et mangeait tous ceux qu’il trouvait.
Les maîtres, comptant là-dessus, dirent à Hamalau :
– Les ours que vous nous avez amenés peuvent bien conduire notre chariot ; mais cependant nous avons besoin de nos vaches laitières. Vous irez donc chez le Tartare et vous lui en achèterez une belle paire.
Hamalau ne fait point d’objections et s’en va acheter les vaches. Le Tartare lui dit :
– Je te donnerai la plus belle paire de vaches, à ton choix, et tu garderas ton argent. Seulement il faut que tu me gagnes une partie de barres : les vaches sont l’enjeu. En parlant ainsi, le Tartare se croyait bien sûr de gagner ; car les hommes les plus forts étaient pour lui comme des mouches. Hamalau accepta le pari et, quoique le Tartare eût lancé fort loin sa barre de fer, il lança la sienne plus loin encore.
Qui fut bien surpris et bien contrarié ? Ce fut le Tartare qui perdait sa plus belle paire de vaches et était obligé de reconnaître qu’il avait rencontré son maître. Dans l’espoir de prendre sa revanche, il lui proposa une partie de lutte. Hamalau y consentit. Ils s’empoignent tous les deux et bientôt tombent par terre, le Tartare dessous, Hamalau dessus.
Le Tartare le pria bien humblement de lui laisser la vie, s’avouant vaincu et incapable de jamais lutter contre lui. Hamalau l’épargna et revint à la maison avec une paire de vaches magnifiques.
– Ha ! Ha ! Vous vouliez de belles vaches, dit-il à ses maîtres, que dites-vous de celles-là ? Regardez-les bien.
Mais les maîtres avaient plus de terreur que de joie de voir qu’il avait battu le Tartare. Cependant ils dissimulèrent.
– En vérité, je crois, dit l’homme, que rien sur terre, ni animaux, ni hommes, ne peut te résister. Mais ne craindrais-tu pas le diable, par hasard ? Car j’ai justement une commission à te donner pour lui.
– Donnez, donnez votre commission. Je me charge de la porter au, si vieux et si malin qu’il soit. Je ne le redoute pas.
Pour ce rendre chez le diable, Hamalau se fit faire par le forgeron une paire de souliers en fer, des tenailles solides et une barre, le tout en fer. Ainsi chaussé et armé, il va frapper à la porte du diable. Un jeune garçon l’entrouvre et lui dit :
– Fuyez au plus vite, car si le vieux diable arrive, il vous enfermera ici comme nous, qui sommes venus ici trompés et ne pouvons plus sortir.
Au même moment, le vieux diable arrive et, voyant Hamalau, il s’écrie :
– Ah ! Tu es là, Hamalau ! J’ai souvent entendu parler de toi et je désirais depuis longtemps faire ta connaissance. Tu feras la mienne aussi, mon bon ami ; car, puisque je te tiens, il faut que je te montre qui je suis. Tu ne feras plus parler le monde.
Là-dessus, le diable se jette sur Hamalau. Mais Hamalau l’attendait. De ses tenailles il saisit le nez du diable et l’empêche de faire un mouvement ; de sa barre de fer il lui casse les jambes. Ayant ainsi vaincu le diable, Hamalau s’en retourne paisiblement à la maison.
Les maîtres comprirent qu’il était inutile de lui imposer de nouvelles épreuves, puisqu’il était sorti des plus difficiles. Ils n’avaient point d’enfants ; ils l’adoptèrent pour fils et pour héritier, et tous ensembles vécurent heureux.