Pour l’étude de ce texte, Erec et Enide, nous utiliserons l’édition de Jean-Marie Fritz, d’après le manuscrit BN. Fr 1376, Le livre de Poche, « lettres gothiques » n° 4526, 1992. Voici la sixième partie de l’étude : Géographie du récit.
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ToggleGéographie du récit
L’aventure individuelle devient, dans les romans de chevalerie, la caractéristique dominante du chevalier – par opposition à l’aventure collective des chansons de geste. Elle prendra, justement à partir de notre roman, la forme de l’errance. Ainsi, v. 2761- 2763, on nous dit :
Departi sont a quelque poinne
Erec s’en va, sa fame en moinne
ne sait quel part, en aventure
En réalité, son « voyage » prend la forme d’une série d’allers-retours, dont le point de départ et d’arrivée est la cour du roi Arthur, lieu d’ailleurs non fixe, puisque la Cour elle-même se déplaçait continuellement.
Un trajet, un voyage
- Point de départ : la cour du roi Arthur à Caradigan, et la forêt alentour
- Laluth, où Érec vainc Ydier et remporte l’épervier
- Retour auprès du roi Arthur
- Danebroc, le tournoi
- Carrant, lieu de la « récréantise »
- La forêt
- Le château du comte Galoain
- Le château de Guivret
- La forêt (rencontre de la cour d’Arthur, puis des Géants)
- Le château du comte de Limors
- Pénuris, château de Guivret
- Brandigan, la Joie de la cour
- Retour à la cour d’Arthur
- Nantes, lieu du couronnement
Les toponymes sont plus nombreux dans ce roman que dans tous ceux qui suivront ; on en trouve environ 68. Mais la plupart de ces noms ne correspondent pas à une localisation réelle ; les hommes du Moyen-Âge ne s’intéressent guère à la géographie. Ainsi, les toponymes de Brandigan, Laluth, Limors n’ont pas de référent dans la réalité.
D’autres noms peuvent être identifiés : Caradigan est peut-être Cardigan, au Pays de Galles, Danebroc serait Edimbourg, et bien sûr Nantes.
Mais la plupart des noms cités, notamment dans les énumérations, sont purement imaginaires. Nous avons l’impression d’une grande irréalité, puisqu’Érec se retrouve en Grande-Bretagne sans que jamais soit mentionnée une traversée en bateau !
Des lieux stéréotypés
Il faudra attendre la fin du XVIIIème siècle pour que le paysage commence à prendre une valeur propre ; auparavant il n’est qu’un décor. Et ici, les lieux sont tout juste mentionnés, jamais décrits. Ils n’ont qu’une fonction. La forêt est le lieu de toutes les mauvaises rencontres, nain, chevaliers pillards… La lande, réalité bretonne, s’y apparente : c’est là qu’Érec rencontre les Géants. Le château, enfin, est le lieu de sociabilité (pour le banquet et le tournoi), où le héros doit montrer sa courtoisie et sa vaillance.
Mais ces lieux sont extrêmement généraux et indifférenciés ; ils ne sont que des stéréotypes. Seuls deux lieux sont décrits avec précision, et ils sont d’ailleurs liés : le verger merveilleux (v. 5727-5778) et le château de Brandigan qui lui est contigu (v. 5381-5407). Mais il s’agit ici de lieux très particuliers, ceux de l’ultime épreuve.
Juxtaposition du réel et de l’imaginaire
L’exemple le plus flagrant est celui de Brandigan : à côté du château du Roi Evrain, présenté comme appartenant au réel, se trouve le verger merveilleux, sans solution de continuité. L’Autre Monde est donc présent, étroitement mêlé au nôtre.