L’Or de Chat

L'Or de Chat or de chat

Voici l’histoire de l’or de Chat. Au pays de Saint-Malo, il y avait naguère plus de fées dans la mer et sur les grèves qu’on ne comptait de bergères à garder les moutons dans les landes et sur les caps. Si j’ai bien compris la leçon des vieilles légendes, ce sont ces fées malouines qui ont légué aux filles de l’endroit le goût des belles robes.

L’or de Chat

Les rubans d’argent clair qui brillent à la surface des eaux de la baie, dans le calme qui suit les tempêtes, ces rubans qu’on nomme sentes de la Vierge ont d’abord été les longues traînes des manteaux merveilleux dont aimaient se pouiller les Dames de la Mer. Mais ces coquettes, comme vous l’allez voir, n’avaient pas trop de méchanceté.

Un soir de lune, sur les mielles de Paramé, une troupe de fées se livraient à la danse ronde, qui est leur passe-temps favori depuis toujours. Il arrive que douze jeunes gens étaient en fête, la même nuit. Quand ils furent un peu chauds de boire, une folie leur monta dans la tête; ils décidèrent d’aller inviter à la contredanse, farauds qu’ils étaient, les belles fées des grèves. Celles-ci ne crurent pas devoir refuser. Une fée est femme et toujours secrètement flattée de la recherche des hommes.

Mais, au cours de la danse (qui étaient donc les sonneurs?), elle s’aperçurent que les garçons avaient le souffle court et les jambes de laine. Alors, elles entrèrent en fureur. D’un coup de leur baguettes, elles changèrent les malappris en six gros matous noirs et six chattes blanches. Doit-on croire que, dans la douzaine de jeunes gens, il y avait la moitié de filles? La légende ne le dit pas clairement. Si c’était vrai, cela montrerait aussi que les fées sont jalouses.

Mais quand elles virent les pauvres animaux miauler de détresse en tournant autour de leurs queues, la bonté naturelle des fées de Saint-Malo leur attendrit le coeur. Elles promirent aux farauds de les rétablir dans leur forme première aussitôt qu’ils auraient filé, pour chacune d’elles, un manteau d’or et une robe d’argent tissés dans le seul mica de la grève.

La tâche n’eut pas été longue ni difficile, car des yeux de chat eussent tôt fait de trier, au long du sable étincelant sous la lune, les milliers de miroirs blancs et jaunes dont ils devaient lever les habillements des Dames de la Mer. Mais les fées leur précisèrent qu’ils ne pourraient filer que pendant où les douze coups de minuit sonneraient à Saint-Malo.

Les six matous et les six chattes se mirent au travail sans attendre. Chaque nuit, entre le premier et le douzième son de cloche, un ronflement s’élevait sur les grèves, doux et régulier. Ceux qui marchaient de ce côté pouvaient voir, à certains endroits, des coulées d’or et d’argent, comme si l’eau des sables ruisselait de paillettes. Sous leurs peaux de chat, c’étaient les douze Malouins (peut-être six Malouines!) qui filaient à perdre haleine l’écaille des micas.

Depuis ce temps, quand un minet somnole auprès de l’âtre et ronronne, assis sur sa queue, on dit qu’il file son rouet. Et, si les filles de la maison le prennent volontiers sur leurs genoux et le caressent à main douce, c’est sans doute qu’elles en attendent une robe d’argent et un manteau d’or.

Lorsque toutes les fées furent habillées de pied en cap, on dit qu’elles frappèrent les chats de leur baguette et en refirent des humains. On ne dit pas s’ils retrouvèrent leurs amis et leur parents ou si plusieurs siècles avaient passé sur leur tête. M’est avis qu’ils se gardèrent, désormais, d’aller sur la grève quand ils étaient chauds de boire et même sans avoir bu.

Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il est très rare de voir de vrais chats s’égarer sur le sable de mer. À Saint-Malo, pourtant, argent de chat est resté le nom du mica gris. Quand ce mica s’allume d’un reflet blond, il devient  “l’or de chat”, dont se tissait le manteau d’apparat des Dames de la Mer.