Voici le poème (les lais) de Marie de France concernant le mythe arthurien. En voici la version conté en français moderne. Le cinquième lais est : Lanval.
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Je veux vous apprendre les aventures d’un autre Lai ; il fut composé au sujet d’un riche chevalier que les Bretons appellent Lanval.
Le roi Arthur, toujours preux et courtois étoit venu passer quelques temps à Carduel, pour châtier les Irlandois et les Pictes qui ravageoient ses possessions et particulièrement la terre de Logres. Aux fêtes de la Pentecôte , Arthur tint une grande cour plénière ; il fit des présents magnifiques, et répandit ses bienfaits sur les comtes, les barons et les chevaliers de la table ronde. Enfin il n’y en eut jamais une aussi belle, puisqu’il donna des terres et qu’il conféra des titres de noblesse. Un seul homme qui servoit fidèlement le monarque, fut oublié dans ses distributions. C’étoit le chevalier Lanval qui, par sa valeur, sa générosité, par sa bonne mine et ses brillantes actions, étoit aimé de tous ses égaux, lesquels ne voyoient qu’avec chagrin tout ce qui pouvoit lui arriver de désagréable.
Lanval étoit fils d’un roi dont les états étoient fort éloignés ; attaché au service d’Arthur, il dépensa son avoir avec d’autant plus de facilité que ne recevant rien et ne demandant rien, il se vit bientôt dénué de ressources. Le chevalier est fort triste de se voir dans une situation pareille; ne vous en étonnez pas , sire, il étoit étranger, et personne ne venoit à son secours; après y avoir mûrement réfléchi, il prend la résolution de quitter la cour de son suzerain. Lanval qui avoit si bien servi le roi, monte sur son destrier, et sort de la ville sans être suivi de personne ; il arrive dans une prairie arrosée par une rivière qu’il traverse. Voyant son cheval trembler de froid, il descendit, le dessangla, puis le laissa paître à l’aventure. Ayant plie son manteau, le chevalier se coucha dessus, et revoit tristement à son malheur. En jetant les yeux du côté de la rivière, il aperçoit deux demoiselles d’une beauté ravissante, bien faites et vêtues très richement d’un bliaud de pourpre grise. La plus âgée portoit un bassin, d’or émaillé , d’un goût exquis, et la seconde tenoit en ses mains une serviette.
Elles viennent droit à lui, et Lanval en homme bien élevé, se relève aussitôt à leur approche. Après l’avoir salué, l’une d’elles lui dit : Seigneur Lanval, ma maîtresse, aussi belle que gracieuse, nous envoie pour vous prier de nous suivre, afin de vous conduire près d’elle. Regardez, sa tente est tout près d’ici ; le chevalier s’empresse de suivre les deux jeunes personnes, et ne songe plus à son cheval qui paissoit dans la prairie. Il est amené au pavillon qui étoit fort beau et surtout très bien placé. La reine Sémiramis au temps de sa grandeur, et l’empereur Octave n’auroient jamais eu une plus belle draperie que celle qui étoit placée à droite. Au-dessus de la tente étoit un aigle d’or dont je ne pourrois estimer la valeur, non plus que des cordages et des lances qui la soutenaient. 11 n’est aucun roi sur la terre qui pût eu avoir un semblable, quelle que fût la somme qu’il offrît. Dans le pavillon étoit la demoiselle qui, par sa beauté, surpassoit la fleur de lys et la rose nouvelle quand elles paroissent au temps d’été. Elle étoit couchée sur un lit magnifique dont le plus beau château n’auroit pas seulement payé le prix des draperies. Sa robe qui étoit serrée, laissoit apercevoir l’élégance d’une taille faite au tour. Un superbe manteau doublé d’hermine et teint en pourpre d’Alexandrie , couvroit ses épaules. La chaleur l’avoit forcée de l’écarter un peu, et à travers cette ouverture qui lui mettoit le côté à découvert, l’œil apercevoit une peau plus blanche que la fleur d’épine.
Le chevalier arriva jusqu’à la demoiselle ! qui , l’appelant, le fit asseoir à ses côtés, et lui parla en ces termes : C’est pour vous, mon cher Lanval, que je suis sortie de ma terre de Lains, et que je suis venue en ces lieux. Je vous aime, et si vous êtes toujours preux et courtois, je veux qu îi n’y ait aucun prince de la terre qui soit aussi heureux que vous. Ce discours enflamme subitement le cœur du chevalier , qui répond aussitôt : Aimable dame , si j’avois le bonheur de vous plaire et que vous voulussiez m’accorder votre amour, il n’est rien que vous ne m’ordonniez que ma valeur n’ose entreprendre. Je n’examinerai point les motifs de vos commandements. Pour vous j’abandonne le pays qui m’a vu naître ainsi que mes sujets. Non, je ne veux jamais vous quitter , c’est la chose que je desire le plus au monde que de rester avec vous. La demoiselle ayant entendu le vœu que formoit Lanval, lui accorde son cœur et son amour. Elle lui fait un don précieux dont nul autre ne pourra profiter. Il peut donner et dépenser beaucoup , et se trouvera toujours fort riche. Ah! que Lanval sera donc heureux, puisque plus il sera généreux et libéral, plus il aura de l’or et de l’argent.
Mon ami, dit la belle, je vous prie, vous enjoins, vous commande même de ne jamais révéler notre liaison à qui que ce soit; qu’il me suffise de vous dire que vous me perdriez pour toujours, et que vous ne me verriez plus si notre amour étoit découvert. Lanval lui fait le serment de suivre entièrement ses ordres. Ils se couchèrent ensemble et restèrent au lit jusqu’à la fin du jour ; Lanval qui ne s’étoit jamais aussi bien trouvé, seroit resté bien plus longtemps, mais son amie l’invita à se lever, car elle ne vouloit pas qu’il demeurât davantage. Avant de nous quitter, je dois vous faire part d’une chose, lui dit elle ; lorsque vous voudrez me parler et me voir, et j’ose espérer que ee ne sera que dans des lieux où votre amie pourra paroître sans rougir, vous n’aurez qu’à m’appeler, et sur-le-champ je serai près de vous. Personne, à l’exception de mon amant, ne me verra, ni ne m’entendra parler. Lanval enchanté de ce qu’il apprend, pour exprimer sa reconnoissance embrasse son amie et descend du lit. Les demoiselles qui l’avoient conduit au pavillon, entrèrent en apportant des habits magnifiques, et dès qu’il en fut revêtu, il sembla mille fois plus beau. Après qu’on eut lavé (t), le souper fut servi. Quoique le repas fût assaisonné d’appétit et de bonne chère , Lanval avoit un mets à lui seul qui lui plaisoit beaucoup. C’étoit d’embrasser son amie et de la serrer dans ses bras.
En sortant de table on lui amène son cheval qui étoit tout apprêté, et après avoir fait ses adieux , il part pour retourner à la ville, mais tellement étonné de son aventure qu’il ne peut encore y croire, et qu’il regarde de temps en temps en arrière, comme pour se convaincre qu’il n’a pas été abusé par une illusion flatteuse..
Il rentre à son hôtel et trouve tous ses gens parfaitement bien vêtus. Il fait grande dépense sans savoir d’où l’argent lui vient. Tout chevalier qui avoit besoin de séjourner à Carduel pouvoit venir s’établir chez Lanval qui se faisoit un devoir de le traiter parfaitement. Outre les riches présents qu’il faisoit, Lanval rachetoit les prisonniers, vêtissoit les ménétriers, il n’eut pas un seul habitant de la ville , un étranger même, qui n’eût part à ses libéralités. Aussi étoit il le plus heureux des hommes, puisqu’il avoit de la fortune, qu’il étoit considéré et qu’il pouvoit voir son amie à tous les instants du jour et de la nuit.
Dans la même année, vers la fête de la saint Jean, plusieurs chevaliers allèrent se récréer dans le verger au-dessous de la tour habitée par la reine. Avec eux étoit le brave Gauvain qui se faisoit aimer de tous, et son cousin le bel Yvain. Seigneurs, dit-il, ce seroit mal faire que de nous divertir sans notre ami Lanval, homme aussi brave que généreux, et fils d’un riche roi. Il faut l’aller chercher et l’amener ici. Aussitôt ils partent , se rendent à l’hôtel de Lanval qu’ils trouvent, et à force de prières , ils parviennent à l’emmener avec eux. A leur retour la reine s’étoit appuyée sur l’une de ses croisées, derrière elle se tenoient les dames de sa suite. Ayant aperçu Lanval qu’elle aimoit depuis longtemps, Genèvre appelle ses suivantes, choisit les plus jolies et les plus aimables, il y en avoit au moins trente, et descend au verger pour partager les jeux des chevaliers. Dès qu’ils voient venir les dames, ils s’empressent d’aller à leur rencontre jusqu’au perron pour leur offrir la main. Pour être seul, Lanval s’éloigne de ses compagnons ; il lui tarde beaucoup de rejoindre son amie, de la voir, de lui parler, de la presser entre ses bras. Il ne peut trouver de plaisir là où n’est pas l’objet de son amour.
Genèvre qui cherchoit l’occasion de le trouver seul, suit ses pas, l’appelle, s’assied auprès de lui, et lui parle en ces termes : Lanval, depuis longtemps je vous estime, je vous aime tendrement, et il ne tient qu’à vous d’avoir mon cœur. Répondez-moi, car, sans doute, vous devez vous estimer heureux puisque je vous offre de devenir mon ami. Madame, daignez me permettre de ne pas vous écouter, je n’ai nul besoin de votre amour. J’ai long -temps servi le roi avec fidélité, et je ne veux pas manquer à l’honneur et à la foi que je lui ai promise. Jamais par vous ou par l’amour de toute autre femme je ne trahirai mon seigneur suzerain. La reine courroucée de cette réponse se répandit en invectives. Il paroît, Lanval, et j’en suis persuadée, que vous n’aimez guère les plaisirs de l’amour: aussi m’a-t-on souvent dit qu’à des femmes aimables, dont au surplus vous savez vous passer, vous préfériez des jeunes gens bien mis avec lesquels vous vous amusiez. Allez, misérable, allez, le roi a fait une bien grande sottise lorsqu’il vous retint à son service.
Piqué des reproches de Genèvre, Lanval lui fit dans la colère , une confidence dont il eut bien à se repentir. Madame, lui dit il, je n’ai jamais commis le crime dont vous m’accusez. Mais j’aime et je suis aimé de la plus belle femme qu’il y ait au monde. Je vous avouerai même , madame, et soyez-en persuadée , que la dernière de ses suivantes est supérieure à vous par la beauté, l’esprit, les graces et le caractère. Genèvre en fureur de cette réponse humiliante se retire dans sa chambre pour pleurer , elle se dit malade, se met au lit d’où elle ne sortira, dit elle, que lorsque le roi son époux aura promis de la venger. Arthur avoit passé la journée à la chasse , et à son retour, encore joyeux des plaisirs qu’il avoit goûtés, il se rendit à l’appartement des dames. Sitôt que Genèvre l’apercoit , elle vient se jeter aux pieds de son époux, et lui demande vengeance de l’outrage qu’elle dit avoir reçu de Lanval. Il a osé me requérir d’amour, «t d’après mon refus, il m’a injuriée et avilie. Il a osé se vanter d’avoir une amie d’une beauté incomparable, dont la dernière des suivantes valoit mieux que moi. Le roi enflammé de colère fit serment que si le coupable ne se justifioit pas à l’assemblée des barons, il le feroit pendre ou brûler.
En sortant de chez la reine, Arthur ordonna à trois barons de se rendre chez Lanval, qui étoit bien triste et bien chagrin. En rentrant chez lui il s’étoit aperçu qu’il avoit perdu son amie pour avoir découvert son amour. Seul et renfermé dans son appartement, il songeoit à son malheur. Un moment il appeloit son amie qui ne venoit point, puis il se mettoit à soupirer et à pleurer; souvent même il perdit l’usage de ses sens. C’est en vain qu’il demandoit pardon et crioit merci, sa belle refusa toujours de se montrer. Il maudissoit sa tète et sa bouche; son chagrin étoit si violent, qu’on doit regarder comme une merveille de ce qu’il ne s’ôta pas la vie. Il ne fait que gémir , pleurer , se tordre les mains, et donner les marques du plus grand désespoir. Hélas, que va devenir ce chevalier loyal que le roi veut perdre ! Les barons viennent lui intimer l’ordre de se rendre sur-le-champ à la cour, où le roi le mandoit pour répondre à l’accusation faite par la reine. Lanval les suit, le désespoir dans le cœur, et ne desirant que la mort ; il arrive en cet état devant le monarque.
Dès qu’il parut, Arthur lui dit avec emportement : Vassal (i), vous êtes bien coupable à mon égard, et votre conduite est répréhensible ? Quel étoit votre dessein en insultant la reine, et en lui tenant des discours déplacés. Vous n’aviez sans doute pas la raison bien saine lorsque, pour vanter les charmes de votre maîtresse , vous avez avancé que la dernière de ses suivantes étoit plus belle et plus aimable que la reine. Lanval se défendit sur la première accusation d’attenter à l’honneur de son prince, il raconta mot à mot la ‘conversation qu’il avoit eue avec la reine, et la proposition qu’elle lui avoit faite ; mais il reconnut la vérité de ce qu’il avoit dit à l’égard de sa dame, dont il avoit perdu les bonnes graces. Au surplus, il s’en rapportera entièrement au jugement de la cour.
Le roi toujours en colère, rassemble ses barons, pour nommer des juges choisis parmi les pairs de Lanval. Les barons obéissent, fixent le jour du jugement, ensuite ils exigent qu’en attendant le jour indiqué, Lan» val se constitue prisonnier, ou bien qu’il donne un répondant. Lanval étranger, n’avoit point de parents en Angleterre ; étant dans le malheur, il n’osoit compter sûr des amis, il ne savoit qui nommer pour répondant, lorsque le roi lui eut annoncé qu’il en avoit le droit ; mais Gauvain alla sur-le-champ s’inscrire avec plusieurs autres chevaliers. Sire, dit-il, nous répondons de Lanval, et nous offrons pour cautionnement nos terres et nos fiefs. La garantie ayant été acceptée, Lanval revint à son hôtel, suivi de ses amis qui le blâmoient et le reprenoient sur sa douleur extrême. Chaque jour ils venoient le visiter pour s’informer s’il prenoit des aliments, et bien loin de lui faire des reproches, ils l’engageoient à prendre quelque nourriture, car ils craignoient qu’il ne perdît entièrement la raison.
Les barons se rassemblèrent au jour désigné; la séance étoit présidée par le roi, qui avoit son épouse à ses côtés. Les pièges vinrent remettre l’accusé entre les mains de ses juges ; tous étoient peinés de le voir en cet état, et faisoient des vœux pour qu’il fût acquitté. Le roi expose les motifs de l’accusation, et procède à l’interrogatoire de l’accusé. On fait ensuite sortir les barons pour aller aux opinions; ils sont généralement peinés de la malheureuse position d’un gentilhomme étranger qui avoit une affaire aussi désagréable. D’autres, au contraire , pour faire leur cour au monarque, desirent le voir punir. Le duc de Cournouailles prit sa défense. Seigneurs, dit-il, le roi accuse un de ses vassaux de félonie, et parce qu’il s’est vanté de la possession d’une maîtresse charmante, la reine s’est courroucée. Veuillez bien observer que nul ici, à l’exception du roi, n’accuse Lanval ; mais, pour bien connoître la vérité, pour juger avec connoissance de cause, en conservant tout le respect dû au souverain, et le roi même l’accordera , je propose que Lanval s’oblige par serment à faire venir ici sa maîtresse, pour juger si la comparaison dont la reine est si fort offensée, est conforme à son dire. Il est vraisemblable que Lanval n’a pas avancé pareille chose sans être persuadé de la vérité. Dans le cas où il ne pourroit pas montrer sa dame, je pense que le roi doit le renvoyer de son service, et le congédier.
L’assemblée approuva la proposition , et les plèges se rendirent près de Lanval pour lui faire part de la délibération qui venoit d’être prise, et l’engagèrent à inviter sa maîtresse à se rendre à la cour, afin de le justifier et de le faire absoudre. Il leur répondit que la chose demandée n’étoit pas en son pouvoir. Les pièges s’en retournent porter la réponse de Lanval, et le roi animé par son épouse pressoit les juges de prononcer. Les barons alloient aller aux voix lorsqu’ils virent arriver deux jeunes demoiselles montées sur des chevaux blancs, et vêtues de robes en soie, de couleur vermeille. Leur présence fixe les regards de l’assemblée. Aussi Gauvain, suivi de trois chevaliers, s’en va tout joyeux trouver Lanval ; il lui montre les deux jeunes personnes, et le prie de lui indiquer laquelle est sa maîtresse, Ni l’une ni l’autre, répond-il. Elles descendent au bas du trône, et l’une s’exprime en ces termes : Sire, faites preparer et orner une chambre où ma dame puisse descendre, car elle desire loger dans votre palais.
Arthur accueille leur demande, et charge deux chevaliers de conduire les jeunes personnes a l’appartement qu’elles devoient occuper. Sitôt qu’elles eurent quitté l’assemblée , le roi ordonne qu’on reprenne sur-le-champ le jugement, et blâme les barons du retard qu’ils apportent. Sire, nous avons interrompu la séance à cause de l’arrivée de ces deux dames ; nous allons la reprendre et nous hâter. Déja, et c’est avec regret, on recueilloit les avis qui étoient fort partagés, lorsque deux autres jeunes personnes encore plus belles que les premières, paroissent. Elles étoient vêtues de robes brodées en or, et montoient des mules espagnoles. Les amis de Lanval pensent en les voyant que le bon chevalier sera sauvé et se réjouissent. Gauvain suivi de ses compagnons vient à Lanval, et lui dit : Sire, reprenez courage, et pour l’amour de Dieu, daignez nous écouter. Il arrive en ce moment deux demoiselles supérieurement vêtues et d’une beauté rare, l’une d’elles, doit être votre amie; Lanval lui répond simplement : Je ne les ai jamais vues, ni connues, ni aimées.
A peine étoient-elles arrivées que les deux demoiselles se hâtent de descendre et de venir devant le roi. Tous les barons s’empressent de louer leurs attraits, la fraîcheur de leur teint. Ceux qui étoieut du parti de la reine craignoient pour la comparaison. L’aînée des deux jeunes personnes qui étoit aussi aimable que belle, pria le roi de vouloir bien leur faire preparer un appartement pour elles et pour leur dame, qui desiroit lui parler. Le monarque les fit conduire vers leurs compagnes , et comme s’il eût craint que Lanval n’échappât à sa vengeance , il presse le jugement, et ordonne qu’il soit rendu sur-le-champ. La reine se courroucoit de ce qu’il ne le fût point encore.
On alloit donc prononcer lorsque de bruyantes acclamations indiquent l’arrivée de la dame qui venoit d’être annoncée. Elle étoit d’une beauté surnaturelle et presque divine. Elle montoit un cheval blanc si admirable, si bienfait, si bien dressé, que sous les cieux on ne vit jamais un si bel animal. L’équipage et les harnois étoient si richement ornés qu’aucun souverain de la terre ne pouvoit s’en procurer un pareil, sans engager sa terre et même la vendre. Un vêtement superbe laissoit apercevoir l’élégance de sa taille, qui étoit élevée et noble. Qui pourroit décrire la beauté de sa peau, la blancheur de son teint qui surpassoit celle de la neige sur les arbres, ses yeux bleus, ses lèvres vermeilles, ses sourcils bruns, et sa chevelure blonde et crêpée. Revêtue d’un manteau de pourpre grise qui flottait derrière ses épaules, elle tenoit un épervier sur le poing, et étoit suivie d’un levrier. Il n’y avoit dans la ville ni petit ni grand, ni jeune ni vieux, qui ne fût accouru pour la voir passer ; et tous ceux qui la regardoient étoient embrasés d’amour. Les amis de Lanval viennent sur-le-champ le prévenir de l’arrivée de la dame. Pour le coup, c’est’elle, c’est votre maîtresse, vous serez délivré enfin; car celle-ci est la plus belle femme qui soit au monde.
En écoutant ce discours Lanval soupira , il lève la tète et reconnoît l’objet dont son cœur est épris. Le rouge lui monte à la figure. Oui, c’est elle , s’écria-t-il, en la voyant ; j’oublie tous mes maux ; mais si elle n’a pas pitié de moi, peu m’importe de la vie, qu’elle vient cependant de me rendre. La belle dame entre au palais, et vint descendre devant le roi. Elle laisse tomber son manteau pour mieux laisser admirer la beauté de sa taille. Le roi qui connoissoit les lois de la galanterie, se leva à l’arrivée de la dame; toute l’assemblée en fit autant, et chacun s’empresse de lui offrir ses services. Quand les barons l’eurent assez examinée , et détaillé tous ses perfections , elle s’avanca et parla en ces termes : Roi, j’ai aimé un de tes vassaux, c’est Lanval que vous voyez là-bas. Il fut malheureux à ta cour, tu ne l’as point récompensé ; et aujourd’hui il est injustement accusé. Je ne veux pas qu’il lui arrive le moindre mal. La reine a eu tort ; jamais Lanval n’a commis le crime dont il est accusé. Quant à l’éloge qu’il a fait de ma beauté, on a exigé ma présence, me voici : j’espère que tes barons vont l’absoudre. Arthur s’empressa de se conformer aux volontés de la dame, et les barons jugèrent d’un commun accord que Lanval avoit entièrement prouvé son droit. Sitôt qu’il fut acquitté, la dame fait ses adieux et se dispose à partir malgré les pressantes sollicitations du monarque et de sa cour , qui vouloient la retenir. Dehors la salle étoit un grand perron de marbre gris, il servoit pour monter à cheval ou pour en descendre aux seigneurs qui se rendoient à la cour. Lanval monta dessus, et lorsque la dame sortit du palais, il sauta sur son cheval et sortit avec elle.
Les Bretons rapportent que la fée emmena son amant dans File d’Avalon où ils vécurent longtemps fort heureux. On n’en a point entendu parler depuis, et quant à moi, je n’en ai pas appris davantage.