Ystoria Trystan

Sur ces entrefaites, Trystan ap Trallwch et Esylld, femme de March ap Meirchion, se retirèrent en fugitifs dans le bois de Kelyddon, Golwg Hafddydd (Aspect d’un jour d’été), suivante d’Esyllt, et y Bach Bychan (le Petil Petit), page de Trystan, emportant avec eux des pâtés et du vin. Un lit de feuillages leur fut fait.

Trystan et Esylld

March ap Meirchion alla trouver Arthur pour se plaindre de Trystan et le prier de venger l’offense fait à son honneur [disant qu’il était, au point de vue de la parenté, plus près d’Arthur que Trystan, lui March ab Meirchion étant cousin germain d’Arthur, tandis que Trystan n’était qu’un neveu fils de cousin-germain. « J’irai avec ma famille, » dit Arthur, « pour chercher ou bien *** ou à t’obtenir satisfaction. »] Et alors ils allèrent entourer le bois de Kelyddon.

C’était une des particularités de Trystan, que quiconque lui tirait du sang mourait, que quiconque à qui il en tirait mourait aussi.

Quand Essylld entendit le tapage et les bruits de voix de tous les côtés du bois, elle se réfugia effrayée entre les bras de Trystan. Celui-ci lui demanda pourquoi elle s’était effrayée ainsi; elle dit que c’était par peur pour lui. Trystan dit:

« Essylld bénie, ne crains pas,
tant que je serai à ton côté
trois cents chevaliers ne t’enlèveraient pas,
ni trois cents chefs cuirassés. »

Et sur ce, Trystan se dressa levant son épée et marcha contre la première bataille aussi vite qu’il put, jusqu’à ce qu’il se rencontra avec March ap Meirchion. Celui-ci s’écria : « Je me tuerai moi-même pour le tuer lui », mais les autres nobles dirent : « Honte à nous si nous nous jetons sur lui. » Alors Trystan traversa les trois batailles sans dommage.

Kae le Long qui aimait Golwg Haf Ddydd se rendit à l’endroit où était Essylld et chanta cet englyn (épigramme) :

Kae :
Essylld bénie, goéland amoureux,
si j’ose m’entretenir avec toi :
Trystan s’est échappé.

Essylld :
Kae béni, si ce que tu me dis
dans ta conversation avec moi est vrai,
tu auras une amante précieuse.

Kae :
une amante précieuse je ne désire pas
pour ce que je t’ai dit ici :
c’est Golwg Haf Ddydd que j’aime.

Essylld :
si la nouvelle que tu viens de me dire
de ta bouche est vraie,
Golwg Haf Ddvdd sera tienne.

March ap Meirchiawn alla trouver Arthur une seconde fois et se lamenta auprès de lui de ce qu’il n’obtenait ni sang, ni satisfaction au sujet de sa femme : « Je ne vois qu’un conseil à te donner, » dit Arthur : « envoyer des musiciens à instrument à cordes pour lui faire entendre leur harmonie de loin puis des poètes avec des épigrammes de louange en son honneur et le faire sortir ainsi de sa colère et de son ressentiment. »

Ainsi firent-ils. En suite de cela, Trystan appela les artistes et leur donna des poignées d’or et d’argent. Puis on lui dépêcha le chef de la paix, c’est-à-dire Gwalchmai ap Gwyar. C’est alors que Gwalchmai chanta ce vieil englyn.

Gwalchmai :
Bruyante est la vague immense,
quand la mer est en son plein;
qui es-tu, guerrier impétueux.

Trystan :
Bruyants sont (ensemble) le feu et le tonnerre,
quoi qu’ils le soient aussi séparés :
au jour du combat, c’est moi qui suis Trystan.

Gwalchmai :
Trystan aux habitudes irréprochables,
je ne saurais trouver à reprendre à ta conversation :
Gwalchmai était ton compagnon.

Trystan :
Je ferais pour Gwalchmai
le jour où il aurait sur les bras la sanglante besogne,
ce qu’un frère ne ferait pas pour son frère.

Gwalchmai :
Trystan aux habitudes parfaites,
si mon poignet ne me refusait pas (son service),
moi aussi je ferais du mieux que je pourrais.

Trystan :
Je le demanderai pour adoucir
et non pour irriter :
quelle est la troupe qui est devant ?

Gwalchmai :
Trystan aux habitudes bien connues,
ils ne te connaissent pas :
c’est la famille d’Arthur qui t’a prévenu.

Trystan :
A cause d’Arthur je ne menacerai pas,
neuf cent rencontres je provoquerai :
si on me tue, je tue aussi.

Gwalchmai :
Trystan ami des dames,
avant d’aller à la besogne sanglante (sache-le) :
ce qu’il y a de meilleur, c’est la paix.

Trystan :
Si j’ai mon épée sur ma hanche,
et ma main droite bien en garde,
je ne suis pas en plus mauvaise posture qu’eux.

Gwalchmai :
Trystan aux habitudes brillantes,
dont l’effort brise leshampes des lances,
ne repousse pas un parent unique, Arthur.

Trystan :
Gwalchmai aux habitudes excellentes,
l’ondée inonde cent champs :
comme il m’aimera, je l’aimerai.

Gwalchmai :
Trystan aux moeurs d’avant-garde,
l’ondée inonde cent chênes :
accours t’entretenir avec ton parent.

Trystan :
Gwalchmai aux moeurs contrariantes,
l’ondée inonde cent sillons :
moi j’irai où tu voudras.

Alors Trystan se rendit avec Gwalchmai auprès d’Arthur, et Gwalchmai chanta cet englyn :

Gwalchmai :
Arthur aux moeurs courtoises,
l’ondée inonde cent têtes:
voici Trystan, sois joyeux.

Arthur :
Gwalchmai aux moeurs irréprochables,
qui ne se cachait pas au jour de bataille :
bienvenue à mon neveu Trystan.

Malgré cela Trystan ne souffla mot. Alors Arthur chanta ce second englyn :

Trystan béni, chef d’armée,
aime ta race en même temps que toi,
et moi comme chef de tribu.

Et Trystan ne souffla mot malgré cela; et Arthur chanta ce troisième englyn :

Trystan chef de batailles,
prends tout autant que le meilleur,
et sincèrement aime-moi.

Et maigre cela, Trystan ne souffla mot.

Arthur :
Trystan aux moeurs grandement sages,
aime ta race, elle ne t’apportera pas de dommage;
il n’y a pas de froid entre deux parents.

Et alors, Trystan répondit à Arthur :

Trystan :
Arthur, je prends tes paroles en considération,
et c’est toi d’abord que je salue ;
ce que tu voudras, je le ferai.

Alors Arthur lui fit faire la paix avec March ap Meirchion. Il s’entretint avec eux deux tour à tour, mais aucun d’eux ne voulait se passer d’Essylld. Arthur alors décida que l’un l’aurait pendant qu’il y a des feuilles sur les arbres ; l’autre quand il n’y en a pas : au mari de choisir. March choisit l’époque où il n’y a pas de feuilles, parce qu’alors les nuits sont plus longues. Arthur en informa Essylld qui s’écria : « Béni soit le jugement et celui qui l’a rendu! » Et alors, elle chanta cet englyn :

Trois arbres sont d’espèce généreuse:
le houx, le lierre et l’if,
qui gardent leurs feuilles toute leur vie :
je suis à Trystan tant qu’il vivra.