Voici l’histoire de l’anneau qui disait par ici. Il était une fois, une jeune fille très jolie et très pauvre qui allait souvent dans la montagne pour ramasser du bois. Il arriva qu’un jour, très absorbée par sa besogne, elle ne vit pas la nuit tomber. Alors elle prit peur et se perdit.
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ToggleL’anneau qui disait par ici
- Mon Dieu, se dit-elle, que vais-je devenir…
La nuit, humide et obscure, le chemin sans fin et difficile, la petite, minuscule et terrorisée… Elle s’élança, marcha et découvrit une lumière. Elle se dirigea vers elle et arriva à une maison. À la porte de la maison se tenait un géant.
Elle ne pouvait plus s’échapper, alors elle lui dit timidement :
- Je me suis perdue, je suis fatiguée et je ne sais où passer la nuit. Me feriez-vous la faveur de m’accueillir ?
Et le géant répondit :
- Ah ! mais oui, fillette, bien sûr que oui !
Le coquin !… Le géant était un coquin.
Il se dirigea vers la porte et dit :
- Ouvre-toi.
Ils entrèrent et le géant ordonna encore à la porte :
- Ferme-toi.
La porte se ferma. Ils se trouvèrent dans la cuisine. Un très grand feu brûlait dans la cheminée et une énorme marmite reposait sur un trépied tout aussi gigantesque. Le géant prit place près du foyer et la lumière du feu l’éclaira.
Alors la fillette le vit nettement : il était noir de peau, féroce de mine, avait de grandes dents et un seul oeil : sur le front, il n’avait qu’un seul oeil !…
La peur de la petite allait croissant, mais elle s’efforça de la dissimuler. Après l’avoir regardée avec un plaisir évident, le géant lui ordonna :
- Prépare-moi le repas dans cette marmite. Tu trouveras là un mouton…
Dorénavant, tu vivras avec moi, et si un jour tu essayais de t’échapper, au lieu de manger de la viande de mouton, je te mangerais, car tu es bien plus tendre.
La fillette lui obéit et s’activa aussitôt à la cuisine. Le géant sourit, et quand il vit qu’elle se résignait à son sort il alla dans sa chambre.
- Quand tu auras fini, lui dit-il, tu m’apporteras le repas au lit.
Il se coucha, s’endormit et se mit à ronfler avec fracas.
Le repas étant prêt, la petite en mangea sa part. Elle mit sur le feu un fer pointu qu’elle avait trouvé, puis elle fouilla toute la maison. Elle vit de nombreuses peaux de mouton accrochées contre les murs. Une porte dans la cuisine donnait sur un enclos. L’enclos était immense et la multitude de brebis élevées par le géant y paissait.
La gamine retourna près du feu, y prit le fer incandescent et se rendit dans la chambre du géant sur la pointe des pieds. Il dormait comme une marmotte et ses ronflements faisaient trembler toute la pièce. La fillette brandit le fer et lui enfonça dans l’oeil.
Le cri poussé par le géant dut s’entendre à mille lieues à la ronde. Il se martelait le front, la bouche et le nez avec ses poings ; il trépignait d’un bout à l’autre de la pièce. Il se répandait en coups et en glapissements, essayant de se venger de la gamine. Il lui sembla que la meilleure façon de l’empêcher de partir était de se placer devant la porte.
Ce que voyant, la fillette saisit une peau de mouton dont elle se recouvrit et se dirigea vers l’enclos. Elle atteignit la porte extérieure et l’ouvrit au moment où le géant s’y plantait, une jambe de chaque côté. Les brebis commencèrent à s’élancer entre les jambes de leur maître qui bafouillait :
- Je te trouverai… Je te trouverai…
Il les touchait toutes et disait :
- Une blanche… une noire… une blanche… une noire…
La fillette, cachée sous sa peau, se glissa entre les brebis, et le pauvre aveugle la confondit avec les autres bêtes. Il la palpa mais la laissa s’échapper, la peau lui restant entre les mains :
- Une blanche… une noire… et moi je suis dehors !
Le géant se mit dans une colère terrible. Il s’étranglait de rage, puis brusquement il sourit à la fillette. Il enleva un anneau de son doigt et le jeta à ses pieds, lui disant avec douceur :
- Puisque tu es si maligne, je te pardonne. Pour preuve de mon pardon, je t’offre mon anneau préféré.
L’anneau brillait dans l’herbe comme un ver luisant. La gamine, craignant un piège, le regardait sans oser le ramasser. Mais le géant semblait si calme et l’anneau brillait tellement que finalement la petite se baissa, le prit dans sa main et se le passa au doigt. Aussitôt, l’anneau se mit à chanter :
- Par-ici !… je suis par-ici !…
Le géant se dressa comme une furie et se précipita vers la fillette en proférant d’épouvantables malédictions.
L’anneau le guidait :
- Par-ici !… je suis par-ici !…
Et la fillette essayait en vain de la retirer tandis qu’elle s’enfuyait.
Au moment où le géant allait la rejoindre, elle arriva près d’une rivière au cours gonflé par les pluies. Elle se saisit du couteau qui lui servait à tailler les branches dans la montagne, et d’un coup sec se trancha le doigt orné de l’anneau. Elle le ramassa et le jeta dans la rivière. Plongé dans l’eau, l’anneau continuait sa chanson :
- Par-ici !… Je suis par-ici !…
Le géant, se laissant guider par la voix, entra dans le fleuve. L’eau bouillonnante l’emporta dans un tourbillon et il disparut en un instant.
La petite retourna à la maison du géant, réunit tout le troupeau et le mena jusqu’à sa propre chaumière.