Voici l’histoire du songe du pastoureau. Un jeune pastoureau, Ramon, aimait une plantureuse bergère; chaque matin il quittait Sahorre à la tête de son troupeau, escorté par un chien vigilant, et se dirigeait vers les pacages du Canigou. Il s’endormait souvent au pied d’un arbre, tout en pensant à sa fiancée, abandonnant en toute confiance ses moutons à la garda de son dogue.
Contenus
ToggleLe songe du pastoureau
Or, un jour qu’il était plongé dans une douce somnolence, vint à passer une belle jeune fille tout habillée de blanc qui s’arrêta devant lui pour le contempler; la divine vision disparut lorsque Ramon se réveilla, aux aboiements de son chien.
Le berger passa la main sur ses yeux comme pour chasser un cauchemar affreux et ressaisir ses vagues pensées. Tout d’un coup il se souvint avoir rêvé qu’un gouffre plein de glace le séparant de Véronique, sa bien-aimée, et qu’il tombait lui-même au fond d’un précipice pour avoir voulu se rapprocher d’elle. Le froid et les cris de Véronique, pensa-t-il, l’avaient réveillé en sursaut…
Ce songe passa comme passent les nuages sombres sur un ciel clair et serein; Ramon, ne lui attribuant aucune importance, ne le confia d’ailleurs à personne.
Le dimanche suivant les sons aigus, nasillards et trainants du flaviol et de la prima rassemblèrent jeunes gens et jeunes filles sur la place publique de Sahorre. Los balls succédèrent aux contrâpas et les couples sautaient, voltigeaient, se plaisant à ce manège naïf qui fait du bal une sorte de dépit amoureux, une pastorale mimée.
Ramon et Véronique, les deux fiancés, se plièrent particulièrement à ce jeu d’amour qui donnait à la danse un caractère aussi original que naïf, et, au milieu des rires joyeux, tendrement enlacés, ils se juraient une fidélité éternelle.
Brusquement surgit au milieu des danseurs une brune Espagnole, d’une rare beauté, qui exécuta une danse lascive et gracieuse, comme au pays des guitares et des castagnettes. Un cercle d’admirateurs se forma autour d’elle, et l’inconnue aux cheveux d’ébène charma ses nombreux spectateurs. Ramon lui-même était presque séduit. Mais, après la danse, les couples se dispersèrent et Ramon songeait à rentrer au logis, lorsque la séduisante Espagnole apparut à son côté.
Elle fit tant et si bien, la divine charmeuse, que le pauvre berger, éperdument amoureux, consentit à la suivre n’importe où, malgré tout. Et tous deux s’acheminèrent vers les cimes neigeuses du Canigou.
Après avoir marché toute la nuit, le couple s’arrêta dans une grotte pour prendre quelque repos. Mais Ramon, s’arrachant soudain aux caresses de sa compagne, reprit le sentiment de la réalité : devant ses yeux passa la vision du passé, l’image de celle qu’il avait lâchement abandonnée à Sahorre. Il crut entendre résonner à ses oreilles les rires moqueurs des jeunes filles du village, les sanglots de ses parents et les plaintes de sa fiancée. L’Espagnole redoubla ses cajoleries, essaya de lui faire oublier ses premières amours.
— « Je suis fée, avoua-t-elle, je te vis un jour endormi auprès d’un arbre et je t’aimai. Dès lors, je n’eus d’autre pensée et d’autre but que de te plaire et de te posséder. Sous le déguisement d’une Espagnole, j’ai réussi à l’arracher à ta fiancée. Si tu m’aimes, reste auprès de moi et tu seras le plus heureux des hommes. Demande ce que tu voudras et tes désirs seront exaucés. »
— Je veux revoir ma fiancée et mon village, répondit Ramon. Je préfère la douce voix de ma mie, je préfère le bêlement plaintif de mes moutons à toutes les richesses que tu pourrais m’offrir. »
En vain la fée s’efforça de reprendre le cœur de l’inconstant amoureux, pour montrer sa puissance surnaturelle, elle toucha du pied un perce-neige qui prît soudain la forme d’un œillet et l’offrit à Ramon. Le berger, dédaigneux, refusa cette fleur et s’éloigna rapidement vers Sahorre.
— « Eh bien, puisque tu me repousses, sois maudit, s’écria la fée désespérée ».
Et tout aussitôt, Ramon fut transformé en une statue de neige que le vent démolit et dispersa dans les vallons. Ainsi finit, glacé, cet amant trop ardent.