Le Petit Hôtel d’Allen

Voici l’épisode dit du Petit Hôtel d’Allen du Cycle Fenian.

Petit Hôtel d’Allen

Il y eut un banquet animé, beau, énorme, donné par Find fils de Cumall, petit-fils de Baiscné, à Allen la grande, en Leinster. Quand le banquet fut prêt à servir, les nobles et les seigneurs des Fénians vinrent y prendre part. Voici les plus nobles et les plus honorés devant Find : Goll l’aimable, l’actif fils de Morna, Ossian fils de Find, Oscar fils d’Ossian, Mac Lugach à la terrible main, Diarmaid à la face lumineuse, Cailté fils de Ronan, les vigoureux enfants de Dubdirma, les enfants de Smol et la race de Dubdaboirenn, Goll Gulban, le rapide Corr et ses fils Conn, Donn, Aed et Anacan, Ivor faiseur de prodiges, fils de Crimthann sanglant et victorieux, et deux fils du roi de Leinster qui étaient en même temps pupilles de Find, et Coirell petit-fils de Conbran. Il vint avec eux au banquet deux fils du roi d’Écosse et une foule violente et folle de fils de rois et de seigneurs du monde entier. De plus, tous les Fénians d’Irlande y vinrent.

Find s’assit dans le siège du champion au milieu de l’hôtel; l’aimable Goll fils de Morna, dans l’autre siège, et les nobles de leur maison de chaque coté d’eux. Chacun prit place alors, selon son rang et son pays, à l’endroit fixé et convenable, comme ç’avait été leur habitude en tout lieu et en tout temps auparavant.

Puis les serviteurs se levèrent en vraie foule pour servir et approvisionner l’hôtel; ils prirent des cornes à boire ornées de joyaux, avec des gemmes de pur cristal, artistiques et élégantes, à chaque gobelet brillant, plein d’art et de beauté, et on distribua des boissons fortes, fermentées, liqueurs exquises, très douces, à ces bons guerriers. La gaîté s’éleva chez les jeunes gens, la folie et l’esprit chez les héros, la douceur et la modestie chez les femmes, le savoir et le prophétisme chez les poètes.

Alors un héraut se leva tout droit vivement et secoua une rude chaîne de fer pour réprimer les serfs et les rustres; il secoua une longue chaine de vieil argent pour réprimer les nobles et les seigneurs des Fénians ainsi que les poètes. Et tous écoutèrent en un silence profond Fergus à la belle bouche; le poète de Find et des Fénians se leva et il chanta des ballades, des chansons et de bons poèmes des ancêtres et du vieux temps devant Find fils de Cumall, et Find, Ossian. Oscar et Mac Lugach récompensèrent merveilleusement le poète par les plus beaux trésors et richesses.

Ensuite, il alla devant Goll fils de Morna et lui raconta les Hotels et les Destructions, les Razzias et les Courtises de l’ancien temps, de manière que son art rendit joyeux et de bonne humeur les fils de Morna. Alors Goll dit: « Où est ma courrière?

– Me voici, O roi des Fénians, dit-elle.

– M’as-tu apporté mon tribut manuel de Norvège?

– Je l’ai apporté. en vérité », dit-elle, et en disant cela elle se leva promptement et elle jeta, comme la masse d’un porc énorme, ou la charge d’un héros vigoureux, vif et brave, de bel or raffiné, au milieu de l’hôtel devant Goll.

Il délia l’enveloppe qui contenait ce tribut et répandit les précieux trésors sur le sol en présence des assistants. Goll récompensa Fergus comme il avait coutume et il n’y avait pas de poète savant et disert, ni de bon poète laborieux, ni de harpiste au chant mélodieux, ni d’antiquaire instruit et précis, ni aucun homme de science en Irlande ou en Écosse, qui fût dans l’hôtel d ‘Allen cette nuit-là, auquel Goll ne fit largesse d’or, ou d’argent, ou d’autres choses précieuses.

Find prit la parole et dit : « O Goll, depuis combien de temps as-tu ce tribut sur les Norvégiens, alors que j’ai sur eux mon propre tribut et qu’il y a un guerrier à garder mon tribut et mes impots, ma chasse et mon butin, et ce guerrier c’est Ciaran fils de Lathairné, héros dur, duelliste et vigoureux dont la maison compte dix centaines de vaillants soldats? »

Alors Goll répondit au fils de Cumall, car il avait compris que Find était en colère contre lui et le jalousait, et il dit: « O Find, il y a longtemps que j’ai ce tribut sur les Scandinaves; c’est l’époque où ton père me força à la guerre et à la lutte; le roi d’Irlande alla avec ses provinciaux à la suite de Cumall contre moi; il me fallut leur laisser l’Irlande. Je me rendis en Bretagne, je m’emparai du pays,je tuai le roi et je massacrai les siens; mais Cumall m’en chassa. De là, je passai en Finnlochlann; le roi de Finnlochlann tomba sous mes coups ainsi que sa maison; mais Cumall m’en chassa. De là, je vins en Écosse, le roi d’Écosse tomba sous mes coups; mais Cumall m’en chassa. De là, je vins dans le pays des Saxons; le roi des Saxons tomba sous mes coups, ainsi que sa maison; mais Cumall m’en chassa. Je vins à la bataille de Cnucha et là, ton père tomba sous mes coups; c’est à cette époque que j’ai obtenu ce tribut des Scandinaves, dit Goll. Je t’ai emmené avec moi pour aller à la forteresse du roi des Scandinaves, et quinze hommes en même temps que toi. La femme du roi de Scandinavie te donna son amour et tu fus dans une prison souterraine pendant un an; un jour était fixé pour te mettre à mort toi et les tiens; et, par ta main , O Find, je suis allé à la forteresse du roi de Scandinavie, j’ai tué le roi Eogan le grand; j’ai massacré les siens, je leur ai pris leur or et leur argent et j’ai imposé un roi aux Scandinaves, Tiné à la grande force, fils de Triscall; je l’ai obligé à lever pour moi un tribut sur les Scandinaves, et le voilà, dit Goll. De plus, O Find, reprit-il, ce n’est pas un tribut manuel que tu as chez eux, mais une indemnité de roi des Fénians et de protecteur, et je ne veux pas l’amoindrir. Aussi, O Find, ne sois pas jaloux de moi à cause de ce tribut-là, car si j’avais quelque chose de plus que cela, c’est à toi et aux hommes d’Irlande que je le donnerais. »

Find lui répondit avec colère et bravoure. « O Goll, dit-il, tu as avoué dans cette histoire que tu es venu de la ville de Beirbé à Cnucha et que là tu as tué mon père; il est audacieux à toi de me le raconter.

– Par ta main, dit Goll, si tu m’apportais le déshonneur comme l’a fait ton père, je t’infligerais le même traitement que j’ai infligé à Cumall.

– O Goll, dit Find, ma puissance serait bien bonne, de te le laisser pour compte! Car j’ai dans ma maison cent braves guerriers à opposer à chacun de ceux qui composent la tienne.

– C’est ainsi qu’était ton père, dit Goll, et j’ai vengé sur lui mon déshonneur et je ferai de même sur toi si tu m’enlèves mon tribut. « 

Cairell Cneisgell (à la peau blanche), petit-fils de Baiscné, parla et dit: « O Goll, dit-il, il y a bien des hommes que tu as réprimés dans la maison de Find fils de Cumall. »

Conan le chauve, le maudit, fils de Morna, parla et dit : « Je jure par mes armes, dit-il, que, quelque petite que soit la maison qu’ait Goll, il n’a jamais été sans avoir avec lui cent un hommes et que chacun d’eux te réprimerait.

– Est-ce que tu es de ceux-là, O Conan aux propos retors, à la tête pelée? dit Cairell.

– J’en suis, O Cairell brun, aux ongles égratigneurs, à la peau ridée, à la faible force », dit Conan, et je vais aller te prouver que Find était dans son tort.

Alors Cairell se leva et frappa Conan d’un coup de poing hardi et furieux. Conan ne répliqua pas respectueusement, car il donna un autre coup à Cairell, droit au milieu du front et dans les dents. Là-dessus, ils s’administrèrent des coups enragés, très rapides, vraiment venimeux dans le corps et sur la peau, l’un à l’autre, en sorte que, à la suite de ce pugilat, les poitrines et les seins de ces braves furent longtemps déchirés.

Alors se levèrent les deux fils d’Oscar fils d’Ossian, Echtach et Ilann; ils firent des toits épais de leurs boucliers autour d’eux et ils donnèrent à Conan, dans la mêlée, des coups profonds et difficiles à guérir. Quand les deux fils de Goll fils de Morna virent Conan dans cet embarras, ils se levèrent et blessèrent dans un combat les fils d’Oscar.

Alors se leva le lion vigoureux, plein de bravoure et le dragon rapide, furieux, irrésistible, Oscar le vaillant fils d’Ossian, et il mit son beau vêtement d’or sur son corps charmant; une belle plaque artistique à son cou; son grand bouclier de héros à sa main gauche; son glaive dur à lame droite dans son autre main. Il alla impétueusement, courageusement au secours des siens et de son frère Cairell. Sans dégainer son glaive, il recourut aux coups de marteau – il avait un marteau à chaque main – pour cette attaque soudaine. Conan dit à Oscar : « Je remercie les dieux que tu te rencontres en vrai duel avec moi, O Oscar, dit-il, car je trancherai le fil de ta vie. »

Alors Oscar et Conan s’abordèrent l’un l’autre et leur rencontre finit par la défaite de Conan auquel Oscar arracha un cri de détresse. Conan regarda Art Oc fils de Morna, et ce guerrier tout-puissant se leva et blessa Oscar. Ossian le très fort, fils de Find, ne put supporter cela et blessa Art. Garbfoltach fils de Morna se leva et blessa Ossian. Le hardi Mac Lugach se leva, endossa son harnais de combat et de dure lutte et blessa Garbfoltach. Garadh à la large poitrine, fils de Morna, se leva et blessa Mac Lugach. Alors se leva Faelan fils de Find, avec ses trois cents frères en même temps que lui, et il entra vigoureusement et bravement dans la mêlée et par lui les fils de Morna furent chassés de leur place.

Alors se leva le lion plein de bravoure, le guerrier majestueux, au grand esprit, le dragon rapide, furieux, l’ours gai, et le courroux aux coups persistants et le pilier de bravoure et la colonne solide du combat, Goll l’aimable, l’énergique aux joues de pourpre, à l’esprit clair, fils de Morna, et il mit sur lui son harnais de bataille et de duel: un beau pectoral, orné de fleurs, autour de son cou; son vêtement magnifique, bordé de blanc, sur sa belle peau; son glaive à la pointe aiguisée, très solide et frappant bien, dans sa main aux ongles bruns; son grand bouclier guerrier, à bosse, à la main gauche. Il alla hardiment, furieux, irrésistible, dans l’hôtel et il ne laissa pas un cierge étincelant ni une torche enflammée, brillante, dans le grand hôtel sans l’éteindre, ni une table sans en faire de petits morceaux béants.

Alors Find poussa son cri de bataille, « le héros du bois « , de toute sa force et il dit aux Fénians d’Irlande d’exterminer et de mettre à mort, sans faire de quartier, les fils de Morna.

Alors les Fénians firent des palissades épaisses, solides, indissolubles, avec leurs boucliers tout autour d’eux. Find se mit à la tête de ces braves et ils commencèrent à se briser mutuellement les os sans faire de quartier. Alors un transport de colère s’empara de Goll; pour protéger les siens, il fit de lui-même un bouclier solide, infrangible; alors les vaillantes troupes et leurs grands chefs devinrent furieux; les guerriers, enragés, et les combattants, plus nombreux; et les combattants étaient couverts de blessures à la suite du combat violent, haineux, empoisonné que se livraient les grands héros les uns aux autres. Beaucoup de sang coulait à flots des cotés des fils des nobles; des blessures profondes, inguérissables couvraient la foule destructive et inséparable. L’endroit était mauvais pour un faible et un malade, ou pour une femme délicate aux doigts longs ou pour un vieillard chargé d’ans lointains, qui se fût trouvé dans le petit hôtel d’Allen, cette nuit-l, à écouter gémir jeunes et vieux, plébéiens et nobles, en détresse, affaiblis, moribonds, jetés à terre et taillés en pièces. Et ils furent en cette manière depuis le commencement de la nuit jusqu’au lever du soleil le lendemain, sans se faire quartier les uns aux autres.

Alors, se leva le poète prophétique à la parole incisive, l’homme de vers, richement récompensé, Fergus à la belle bouche, et les hommes de science des Fénians en même temps que lui; et ils entonnèrent leurs lais, leurs bons poèmes et leurs chants panégyriques à ces héros pour les retenir et les adoucir.

Alors, à la musique des poètes, ils cessèrent de se hacher et broyer et ils laissèrent tomber leurs armes sur le sol. Les poètes ramassèrent les armes et ils firent la réconciliation entre eux. Toutefois Find dit qu’il ne ferait pas la paix avec le clan de Morna avant qu’il eût la sentence du roi d’Irlande, celle d’Ailbé fille de Cormac Mac Art fils de Cond Cetchathach, celle de Cairbré Lifechair héritier d’Irlande, la sentence de Fithal et de Flathri et avant que l’approbation du jugement fût donnée par Finntan fils de Bochna. Goll dit qu’il lui accorderait tout cela. Ils s’engagèrent, sous la caution des poètes, à établir solidement cette paix et ils se fixèrent un jour, dans une quinzaine à partir de ce moment, sur la prairie de Tara.

On examina alors les pertes des Fénians, et voici ceux qui manquaient de la maison de Find; onze cents hommes et femmes, et il y eut beaucoup de dames gracieuses, très nobles, et de femmes jolies, bien faites, de jeunes filles aimables, aux douces paroles, de héros pleins de bravoure et de vaillance à tomber là; et il y eut beaucoup de nez blessés, d’yeux arrachés, d’oreilles hachées, de jambes coupées jusqu’à l’os, de mains déchirées, de corps lacérés, de cotés troués chez ceux qui restaient vivants de la maison de Find fils de Cumall, en ce temps-là.

Quant à Goll et à sa bonne maison, le clan de Morna, il ne leur manquait que onze hommes et cinquante femmes. Ce n’était pas que les femmes eussent été tuées, mais elles étaient mortes de peur et de saisissement. Tous ceux qui pouvaient guérir furent soignés. Et on fit des fosses très profondes et très larges pour tous ceux qui étaient morts des deux cotés.

Puis la grande salle d’Allen fut nettoyée et chacun y prit place selon sa noblesse et son pays. Ils mirent quatorze jours à cet arrangement, et au bout de ce temps ils allèrent à Tara. Cormac et Cairbré, Ailbé et Fithal, Flathri et Finntan fils de Bochna s’assirent au lieu du jugement. Find s’avança d’abord pour raconter son histoire. Mais Goll dit: « O Find, dit-il, ce n’est pas à toi que nous donnerons à raconter l’affaire qui est entre nous; car tu ferais de la vérité avec du mensonge, du mensonge avec de la vérité, contre moi; nous confions ensemble l’affaire à Fergus. Qu’il jure par ses dieux de faire justice entre nous! »

Find y consentit et Fergus garantit de faire justice. Alors il raconta que c’était Cairell qui avait donné un coup de poing à Conan, le premier; que les deux fils de Goll étaient venus au secours de Conan; qu’Oscar était venu à l’aide de sa maison; et que là-dessus les Fénians d’Irlande et le clan de Morna s’étaient levés les uns contre les autres, et qu’ils s’étaient mis à se briser les os les uns aux autres sans quartier, depuis le commencement de la nuit jusqu’au lever du soleil le lendemain, et que les pertes de la maison de Find fils de Cumall, en cette occasion, avaient été de onze cents hommes et femmes et que celles du clan de Morna avaient été de onze hommes et de cinquante femmes, et que, de plus, il y avait un grand nombre de blessés des deux cotés à la suite de cette ruée.

« Je m’étonne du peu de perte du clan de Morna, dit Cormac, étant donné le nombre qu’ils avaient en face d’eux. » Fergus dit que c’était Goll qui était venu comme un bouclier protéger les siens, « et voilà, O roi d’Irlande, dit-il, l’histoire de cet hôtel ». Flathri dit: « Des dommages au clan de Morna, dit-il, car c’est contre eux que l’agression a été commencée.

– Ce n’est pas la décision d’un fils de juriste, dit Cormac; car tout guerrier doit obéissance à son seigneur.

– C’est vrai pour une contusion, dit Flathri, mais non en cas de versement de sang. » Fithal dit: « Dispensons le clan de Morna de payer des dommages à ceux qui ont commencé l’agression et de plus dispensons Find, à cause de l’étendue de ses pertes, de payer des dommages. »

Finntan fils de Bochna dit : « Voilà un jugement de fils de juriste! »

Cormac et Cairbré louèrent cette sentence.

Ensuite les Fénians furent convoqués sur le terrain; on leur exposa le jugement, et la paix fut ainsi faite entre eux. Telle est l’histoire de Petit Hotel d’Allen.