Les polyphonies de la semaine sainte

Les manifestations de la Semaine Sainte sont de loin les plus importantes du calendrier religieux. Ce sont de grands moments de piété et de ferveur populaire. Elles sont les plus intéressantes du point de vue musical. Certaines petites villes sont particulièrement célèbres, tout particulièrement dans la partie nord ouest de l’Ile : Aidomaggiore, Bonnanaro, Cuglieri, Santu Lussurgiu et surtout Castelsardo, qui concentre le plus grand nombre de confréries et le répertoire le plus riche et le plus original.

Polyphonies en Semaine Sainte

Ces confréries sont très anciennes et connues au moins depuis le XVIIème siècles. Selon Tonino Cabizzosu ( Chiesa e Società, Cagliari, Edit. 3T) les confréries sont « une forme associative regroupant des laïques et ayant pour but premier leur formation personnelle. Celle-ci s’exprime de deux façons : à travers des formes dévotionnelles et à travers un service de charité sociale ».

Leur activité se concentre autour de la pratique du chant à de nombreuses occasions : cérémonies religieuses du calendrier liturgique et funérailles, et de l’administration de la confrérie. Celle-ci élit, lors de ses assemblées, son Prieur, accueille ses « novices », organise l’exercice du chant et la transmission du répertoire.

De décembre aux Rameaux, tous les confrères se retrouvent le dimanche après midi dans leur église pour une répétition, la « prova ». Celle-ci dure au moins deux à trois heures, arrosée de vin et souvent accompagné de produits locaux : pain, saucisses, fromages…

Le chœur est ouvert mais le rôle du Prieur est prépondérant pour la Semaine Sainte car c’est à lui que revient la mission de sélectionner, le dimanche qui précède les Rameaux, ceux qui chanteront à cette occasion. Ce choix est délicat car il doit répondre à la fois à des critères de qualité et d’expérience, mais aussi préparer l’avenir en intégrant des jeunes et garder un certain équilibre social.

Lors de cette Semaine Sainte le répertoire s’exécute par groupe de quatre chanteurs selon un registre naturel du bas à l’aigu : bassu, contra, bogi, falzittu (ce sont les noms donnés à Castelsardo, les dénominations peuvent changer selon les lieux). Les grands moments de la Semaine Sainte sont le Lundi (Lunissanti) et le Jeudi, le Vendredi revêt une forme exceptionnelle sous la forme d’un Miserere particulier qui se chante en marchant vite, fuggi fuggendo, (en fuyant) au cours duquel deux chœurs, non limités à quatre exécutants, se répondent en alternance.

Le Prieur et tous les confrères sont très rigoureux sur la qualité qui nécessite de leur part des d’être un bon chanteur : avoir de l’oreille (les chants se transmettent oralement et les chanteurs connaissent toutes les voix même s’ils sont spécialisés dans l’exécution d’une), une bonne voix, une grande discipline (présence régulière), une grande rigueur pour ne pas changer de partie en cours d’interprétation. Lorsque le chœur est en parfaite harmonie il fait apparaître une cinquième voix fusionnelle dite « quintina ». Celle-ci se situe dans le registre des voix de femme. Cette voix immatérielle est très recherchée par les chanteurs. Elle entre dans la symbolique de la Semaine Sainte.

La plupart des chants sont en latin et reprennent des textes liturgiques, ainsi les « Miserere » (psaume 50), les « Stabat Mater », un Stabat Mater est attribué à Jacopone da Todi (mort en 1306), à Castelsardo se chante un « Jesus » d’origine inconnue, parfois le texte latin a subi quelques altérations du fait de la transmission orale. Certains cantiques sont en sarde.

Castelsardo, Lundi Saint, émission de France Musique du lundi 30 avril 2012.
Cuglieri, Jeudi Saint, émission de France Musique du lundi 7 mai 2012.
Cuglieri, Vendredi Saint, émission de France Musique du lundi 7 mai 2012.

Ces chants accompagnent les processions et les scènes qui illustrent la Passion qui sont jouées à la fin de l’office soit à l’intérieur même de l’église, soit sur le parcours entre deux églises. La grand messe du dimanche de Pâques met fin à ces manifestations. Le lundi de Pâques, Pasquetta, est une fête familiale et amicale qui donne lieu à un repas, souvent un pique-nique au cours duquel on mange des viandes rôties à la broche : cochon de lait (porchetto), agneau, etc. arrosé de bons vins, qui se conclue par les dolcetti sardi (gâteaux à la pâte d’amande ou au fromage ou au miel, etc.).