Rira bien qui rira le dernier

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Rira bien qui rira le dernier

Je ne sais pas quel roi d’Orient délaissait toutes ses affaires et passait son temps assis sous les fenêtres du palais à observer les gens qui passaient.

Un jour, il voit arriver une femme difforme, il ne peut pas s’empêcher d’éclater de rire.

 » Ah ah ! Je n’ai jamais vu une femme aussi vilaine, on dirait le diable en personne ! « 

La pauvre femme l’entend mais ne réagit pas, elle continue sa route.

Un jour passe, une semaine, un mois. Le roi, toujours assis sous sa fenêtre, voit tous les jours cette femme, et à chaque fois, il élève la voix, il se moque d’elle. Finalement, la femme perd patience, elle avance sous la fenêtre et dit :

 » Ris, ris donc ! on verra bien qui rira le dernier !

Puis elle passe son chemin.

Sache que cette femme était une magicienne qui avait le pouvoir de se transformer à volonté, tantôt en ange, tantôt en diable, que sais-je encore, en mille apparences. Elle pouvait aussi transformer le vilain en aimable et l’aimable en vilain, le fou en sage et le sage en fou. Tu vas voir comment cette femme va faire passer au roi sa mauvaise habitude de se moquer d’elle de plus en plus fort à chaque fois qu’il la voit.

Elle change son apparence, elle devient une jolie dame, elle va trouver la femme du roi.

 » Ô reine, dit-elle, je suis d’ici, mon mari est mort, j’ai beaucoup d’enfants, tu ne veux pas m’accepter comme servante ? Je viendrais tôt le matin, je ferais tout ton travail, le soir je rentrerais chez moi m’occuper de mes enfants. « 

 » Pourquoi pas ? dit la reine. Justement, j’avais besoin d’une servante. Tu as l’air d’une dame tout à fait respectable. Allez, viens me donner un bain, tu me peigneras, tu m’épouilleras, c’est mon huitième jour aujourd’hui. « 

Les voilà parties. La reine prend un bon bain, elle sort de l’eau. A peine la servante a-t-elle touché ses cheveux avec le peigne que la reine se transforme en une personne difforme, même le diable en aurait peur. Elle se voit dans la glace et s’écrie, furieuse :

 » ô roi, ô roi, viens vite !

Aussitôt la femme disparaît. Le roi arrive, il voit que le nez de sa femme s’est allongé, sa chevelure est devenue une tignasse rousse, sa figure a la couleur des cendres du foyer ; en somme elle est plus affreuse que la vilaine femme.

 » Femme, qu’est-ce qu’il t’est arrivé ?  » demande le roi.

La reine répond :

 » Une jolie dame est venue, elle m’a demandé de la prendre comme servante, elle m’a amenée au bain, et elle m’a à peine touchée que je suis devenue difforme. Vite, trouve moi un moyen… « 

 » Qu’est-ce que je peux faire, femme ? « 

 » Trouve cette femme ! « 

Le roi est embarrassé. Comment trouver cette femme dans la ville ? Qui est-elle ?

Laissons-les là et allons trouver la sorcière.

De retour chez elle, la sorcière se transforme. Elle redevient la femme difforme qu’elle était. Elle éprouve du remords. Elle retourne au château, elle veut entrer, les gardes ne la laissent pas passer.

 » Va-t-en, horreur, on ‘a pas besoin de toi ici.  » Ils crient, ils la frappent, ce tapage fait venir le roi.

 » Qu’est-ce qu’il y a, les enfants ? « 

Les gardes montrent la femme.

Le roi, qui était insensé, devient sage tout-à-coup. Il dit :  » laissez-la entrer ! « 

Le roi emmène la vieille femme, il s’assoit sur son trône, elle se tient devant lui ;

 » Que veux-tu ?  » dit le roi.

 » Roi, dit-elle, je suis la femme dont tu te moquais tous les jours. Tu vois maintenant ce qu’il t’arrive ? Si tu veux le savoir, c’est moi qui ai enlaidi ta femme, est-ce que tu ris encore ? « 

 » Ah  femme ! supplie le roi, donne-moi ta chance, retransforme ma femme comme elle était avant, je te donnerai un sac d’or ! « 

La femme se met à rire.

 » Pourquoi tu ris ?  » demande le roi.

Eh bien ! c’est mon tour de rire. Ecoute bien ce que je te dis, roi : tu te moquais de moi, tu me prenais pour une imbécile, ce que tu as fait à autrui t’arrive à toi. Je n’ai pas pitié de toi, mais j’ai pitié de ta femme. Appelle-la, et qu’elle redevienne la jolie reine qu’elle était.

Quant à toi, tâche de devenir raisonnable, et ne te moque plus des gens ! « 

La vilaine reine redevient la jolie reine, le roi veut dire quelque chose, mais la femme disparaît et l’on dit que, de ce jour, le roi ne se moque plus de personne.