Les peuples scythes pratiquaient le nomadisme. Selon Hérodote, « La Scythie a donc la forme d’un grand quadrilatère ; deux de ses côtés s’étendent le long de la mer et l’espace qu’elle occupe vers le milieu des terres est parfaitement égal à celui qu’elle a le long des côtes. En effet, depuis l’Istros jusqu’au Borysthène, il y a dix journées de chemin ; du Borysthène au Palus Maiotis, il y en a dix autres : et depuis la mer, en remontant par le milieu des terres jusqu’au pays des Mélanchlaines, qui habitent au-dessus des Scythes, il y a vingt jours de marche.
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Or je compte deux cent stades pour chaque journée de chemin. Ainsi la Scythie aura quatre mille stades de traverse le long des côtes et quatre mille autres stades à prendre droit par le milieu des terres. Telle est l’étendue de ce pays. »
Ce texte mêle curieusement la géométrisation et les méthodes plus traditionnelles, et imprécises, de mesure de l’espace, caractéristiques du genre des itinéraires et des périples et basées sur le nombre de jours de voyage.
Dans une autre description (II. 32), Hérodote décrit la superposition des différentes zones de la Libye, de la Méditerranée au désert, la terre du sable, sans eau, dépourvue de tout.
La schématisation crée un effet de mise en ordre et de hiérarchie : la géographie débouche sur l’anthropologie, avec un parcours dans la profondeur du continent africain, qui conduit aussi de la civilisation à l’espace vide du désert, en passant par la zone des bêtes sauvages. (1)
Les steppes de Scythie
Certains voyageurs européens et chinois n’ont vu dans la steppe qu’un affreux désert où seuls pouvaient survivre les derniers des sauvages. « Le climat – dit au XIIIe siècle Jean de Plan Carpin après avoir parcouru la steppe mongole – est étrangement irrégulier. Le vent y souffle en tempêtes glaciales au point qu’il est difficile de monter à cheval.
En résumé, le territoire est immense et différent [de nos pays]. Il est infiniment plus misérable que nous ne pouvons le décrire ». Pourtant, dans Taras Boulba, Nicolas Gogol a chanté la steppe ukrainienne, l’ancienne Scythie d’Hérodote, comme une mer d’herbe et de fleurs :
« Alors tout le sud jusqu’à la mer Noire elle-même était un désert verdoyant et vierge. La charrue ne passait jamais dans les vagues infinies des plantes sauvages. Seuls les chevaux qui s’y cachaient comme dans une forêt les foulaient. Rien dans la nature ne pouvait être plus beau.
Toute la surface de la terre formait un océan vert et or, dans lequel jaillissaient des milliers de fleurs variées.
L’air était empli d’un millier de cris d’oiseaux divers. Les éperviers planaient immobiles dans le ciel, les ailes déployées, les yeux fixes dardés sur l’herbe. Le cri d’un vol d’oies sauvages passant au large retentissait sur Dieu sait quel lac lointain. Que le diable vous emporte, steppes, mais que vous êtes belles ! »
De tous les peuples décrits par Hérodote, les Scythes sont sans doute parmi les plus étranges et les plus fascinants. Ils sont l’incarnation même du genre de vie nomade, tant Hérodote a déployé les implications de cette condition dans tous les aspects du quotidien et du social.
Les nomades ne vivent pas dans des maisons, ignorent les labours et les semailles. Ils incarnent donc l’envers de la vie en cité. Ignorant l’agriculture, ils ne peuvent être des mangeurs de pain et, dans les Histoires, tous les peuples nomades se distinguent par des régimes alimentaires aberrants du point de vue de la norme grecque :
- buveurs de lait et mangeurs de fromages (les Galactophages) : Libyens, Massagètes, Scythes ;
- mangeurs de poissons : les Massagètes (I. 216) ;
- mangent cuit ou cru (les Indiens ou Boudins) ;
- carnivores, mais pas tous : certains Indiens herbivores ; les Boudins mangent des aiguilles de pin ;
- Androphages : mangeur d’hommes. Les plus sauvages.
Le nomadisme des Scythes constitue un atout stratégique majeur face aux armées de Darius qui veulent conquérir leur territoire : « Ces avantages consistent à ne point laisser échapper ceux qui viennent les attaquer et à ne pouvoir être joints quand ils ne veulent point l’être : car ils n’ont ni villes ni forteresses. Ils traînent avec eux leurs maisons ; ils sont habiles à tirer de l’arc étant à cheval. Ils ne vivent point des fruits du labourage, mais de bétail, et n’ont point d’autres maisons que leurs chariots » (IV. 46).
L’une des particularités de la religion des Scythes nomades est de vénérer au premier rang la déesse Hestia, puis Zeus et Gê (la Terre ; IV. 49). La présence d’Hestia est pour le moins paradoxale, puisqu’elle incarne précisément l’espace sédentaire de la maison et du foyer domestique, l’élément de continuité et d’enracinement de la souche familiale.
Les Scythes nomades ont néanmoins une forme de foyer domestique : le roi emporte chaque jour, de campement en campement, son propre foyer, recréant ainsi symboliquement un lieu d’enracinement et un centre pour son pouvoir.
Chez les Scythes, Hestia est donc la déesse du foyer royal, lieu du serment solennel que prêtent les Scythes, centre symbolique de leur société toujours mobile. Hérodote décrit en fait le paradoxe du foyer d’une cité nomade…
Les Scythes évoqués dans la Bible
Les textes du prophète Jérémie qui évoquent l’invasion de cavaliers venus du Nord doivent se rapporter, au moins en partie, aux ravages des Scythes :
« Devant la clameur du cavalier et de l’archer, toute la ville est en fuite (4, 29). Moi, j’amènerai sur vous de très loin une nation. (…)
C’est une nation durable, c’est une nation très ancienne, une nation dont tu ne sais pas la langue et ne comprends pas ce quelle dit. Son carquois est un sépulcre béant ; c’est une nation de héros (5, 15-16).
Voici qu’un peuple arrive du Nord, une grande nation se lève des confins de la terre ; ils tiennent fermement l’arc et le javelot, ils sont barbares et impitoyables ; leur bruit est comme le mugissement de la mer, ils montent des chevaux, ils sont prêts à combattre comme un seul homme contre toi, fille de Sion » (6,22-23).