Voici l’histoire du Basa Jaun aveugle.
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ToggleLe Basa Jaun aveugle
Deux soldats du même quartier, ayant obtenu leur congé, s’en revenaient ensemble à la maison. En traversant une grande forêt, la nuit les surprit. Mais au crépuscule ils avaient aperçu une fumée dans une certaine direction, ils se dirigèrent de ce côté-là et trouvèrent une mauvaise cabane. Ils frappèrent à la porte; on demanda dedans:
– » Qui est-là ? »
– » Deux amis ».
– » Que voulez-vous ? »
– » Un logement pour cette nuit. »
La porte s’ouvrit; on les laissa entrer, et la porte se referma. Les soldats, quel que fût leur courage, furent effrayés de se trouver en présence d’un Basa Jaun: tout le portrait d’un homme, mais couvert de poils et avec un seul oeil au milieu du front. Le Basa Jaun leur donna à manger. Après leur souper, il les pesa et dit au plus lourd:
– » Toi pour ce soir, l’autre pour demain »
Et tout aussitôt il perça le plus gras de part en part d’une grande broche, sans même lui oter ses vêtements; il attacha les membres à la broche, le fit rôtir à grand feu et le mangea. L’autre demeura tout effrayé, ne sachant que faire pour conserver sa vie. Le Basa Jaun, bien repu, s’endormit. Aussitôt, le soldat prit la broche qui avait servi à faire rôtir son camarade, la fit rougir dans le feu, l’enfonça dans l’oeil et l’aveugla. Le Basa Jaun, hurlant, courut partout pour trouver l’étranger; mais le soldat s’était tout de suite caché dans l’étable, au milieu du troupeau de moutons du Basa Jaun, ne pouvant sortir parce que la porte était fermée.
Le lendemain matin, le Basa Jaun ouvrit la porte de l’étable et, voulant s’emparer du soldat, fit passer les moutons qui sortaient entre ses jambes un à un; mais il était venu à l’esprit du soldat qu’il devait écorcher un mouton et se revêtir de sa peau, afin que l’aveugle ne l’attrapât point. Comme il touchait tous les moutons, la peau de l’un d’eux lui resta dans les mains, et il pensa que l’homme avait passé par-dessous. Le soldat s’échappa mais le Basa Jaun, qui lui courait après comme il pouvait, lui cria:
– » Tiens, prends cet anneau, afin que quand tu seras chez toi tu puisses raconter quelle merveille tu as faite ! » Et il lui jeta l’anneau.
Le soldat le ramassa et le mit à son doigt; mais l’anneau se mit à parler et à dire:
– » Je suis ici ! je suis ici ! »
Le soldat courait, l’aveugle courait; c’était comme une seule et même pièce. Le soldat, épuisé, craignant que le Basa Jaun l’attrapât, pensa, en arrivant auprès d’une rivière, à y jeter l’anneau, mais il ne put le sortir de son doigt. Alors, il se coupa le doigt et le jeta avec l’anneau dans la rivière. L’anneau, du fond de l’eau, continuait à crier:
– » Je suis ici ! je suis ici ! »
Le Basa Jaun, entendant cet appel, entra dans l’eau et s’y noya. Le soldat passa alors la rivière sur un pont et s’échappa bien heureux à sa maison.