Erec et Enide : le rôle des Femmes

Pour l’étude de ce texte, Erec et Enide, nous utiliserons l’édition de Jean-Marie Fritz, d’après le manuscrit BN. Fr 1376, Le livre de Poche, « lettres gothiques » n° 4526, 1992. Voici la première partie de l’étude : le rôle des femmes.

érec et énide la Folie d'Erec

La Dame exige respect et protection.

Qu’elle soit pucelle ou « dame », la femme se doit d’être respectée et protégée : ainsi, l’affront subi par la Reine Guenièvre lors de la chasse au cerf blanc impose à Érec de partir sans délai pour la venger, que cet affront ait été direct, ou indirect (c’est la « pucelle », la suivante, qui a été frappée).

De la même façon, les cris d’une pucelle en danger constituent pour un chevalier une obligation absolue de la secourir, quel qu’en doive être le prix : c’est ainsi qu’Érec partira à la poursuite de deux géants.

La Dame et le Chevalier : un couple indissociable.

De même qu’il ne saurait y avoir de « chevalier » sans dame (ainsi Érec n’est-il pas admis à la chasse tant qu’il n’a pas de dame), il ne peut y avoir de dame sans chevalier : avant d’avoir rencontré Érec, Énide n’est qu’une pucelle anonyme, soumise à l’autorité de son père, et en attente d’un époux. Tout au plus peut-elle repousser des prétendants qui ne lui agréent pas – dans une certaine mesure.

Mais il ne suffit pas d’être choisie par un chevalier pour devenir automatiquement une dame : ainsi, le portrait élogieux d’Énide, v. 2409-2429, résume les devoirs d’une « Dame » : elle doit être belle, sage, bonne, généreuse, et surtout d’une conduite irréprochable. Sa noblesse de cœur doit en somme se refléter parfaitement dans son apparence ; elle doit faire honneur à son chevalier. La cousine d’Énide, qui a enfermé son mari dans une « prison d’amour » qui l’empêche d’être pleinement un chevalier, ne saurait être une dame, et n’est jamais désignée que comme « pucelle ».

Un statut ambigu.

Le statut de la Dame semble assez ambigu : d’une part elle exerce une certaine autorité morale, et peut conseiller son mari : Guenièvre obtient ainsi le report de la cérémonie du baiser jusqu’au retour d’Érec ; mais en même temps, elle demeure dans un statut subalterne, qui lui impose l’obéissance : quand Érec exige qu’elle lui dise la cause de ses larmes, puis quand il lui ordonne de chevaucher devant lui dans ses plus beaux atours, devenant ainsi une cible qu’il défendra pour recouvrer son rang, elle ne peut qu’obtempérer ; et lorsqu’elle est amenée à lui désobéir, par exemple en l’avertissant d’un danger, elle se fait sévèrement blâmer.

Et si le premier roman de Chrétien constitue une exception, d’ordinaire, la Dame reste confinée au château, tandis que le chevalier se livre à la chasse, au tournoi, ou part à l’aventure…

On peut le voir avec la reine Guenièvre : elle peut intervenir dans des affaires qui concernent la vie de cour : elle conseille au Roi de différer le « baiser du cerf blanc », accueille Énide et lui offre ses propres vêtements, et participe à l’organisation du mariage, du moins pour ce qui concerne les femmes. Mais elle ne joue strictement aucun rôle politique auprès d’Arthur, qui règne et décide seul.

En somme, c’est pour sa Dame, et grâce à elle, que le chevalier acquiert et conserve son statut ; mais elle n’est guère pour lui qu’un but, et non une véritable compagne. Au Moyen-Âge, l’héroïsme n’est pas affaire de femme.

Des femmes plutôt malmenées

La femme comme proie

Si le rôle du chevalier est de protéger et secourir les femmes, c’est que celles-ci se trouvent bien souvent en grand danger. Plusieurs épisodes le montrent :

  • Énide, contrainte de chevaucher devant Érec, joue un véritable rôle d’appât, afin que son mari, en la protégeant, retrouve son statut de chevalier. Et de fait, lors de la rencontre avec les chevaliers brigands, ceux-ci voudront s’emparer tout à la fois des chevaux, et de la dame !
  • À plusieurs reprises, lorsque Érec se trouve absent ou en situation de faiblesse, Énide manque se faire enlever de force : par le comte Galoain d’abord, qui n’hésite pas à trahir les lois de l’hospitalité, puis par le Comte de Limors, qui voudra profiter de la mort supposée du chevalier pour s’emparer de sa Dame.
  • Il arrive aussi parfois que la jeune fille n’intéresse pas les brigands, et soit alors abandonnée en pleine forêt : ce sera le cas de la « pucelle » secourue par Érec lors de ses premières aventures.

Brutalités masculines

Pire encore : l’éthique chevaleresque souligne, par contraste, l’extrême brutalité de la société médiévale, notamment à l’égard des plus faibles, donc des femmes.

  • Le roman commence par un coup de fouet assené en plein visage à une jeune fille ;
  • Puis, à deux reprises, c’est Énide elle-même qui est menacée, et même frappée, d’abord par le Comte Galoain, puis par le Comte de Limors.

Conclusion

Les femmes ne sont donc jamais, ou presque jamais actrices de leur destin. Quand l’une d’elle prend le pouvoir (la pucelle de la « Joie de la Cour »), elle est condamnée, et finit par perdre toute influence : une fois Mabonagrain délivré, elle ne pourra plus que pleurer. De même, une fois révélée la « récréance » d’Érec, Énide n’aura plus d’autre choix que de suivre son chevalier.

Même l’orgueilleuse pucelle qui accompagne Ydier n’apparaît guère que comme un enjeu : qu’il perde ou gagne le combat, elle ne peut que subir…

Le Don Quichotte de Cervantès ne fera en somme que prolonger jusqu’à l’absurde cette situation : au fond, la « Dame de ses pensées » a-t-elle réellement besoin d’exister vraiment ?