Llywarch Hen

Red Book of Hergest V

I

Qu’elle soit rouge, la crête du coq;
qu’elle [s’élève] perçante sa voix de sa couche triomphale;
la joie de l’homme, Dieu la loue.

II

Qu’il soit joyeux, le porcher, quand souffle le vent;
que l’ami du silence soit le bienvenu.
Que toujours le malheur [fonde] sur le méchant.

III

Qu’il soit habile à prévenir, le sergent;
qu’il soit un tourment, le mal; et qu’ils soient amples les vêtements;
que celui qui aime le barde soit très-généreux.

IV

Qu’il soit brave, le chef, et qu’il soit libéral;
qu’il soit loup contre le loup sur la brèche;
et qu’il ne tourne son visage vers [personne] à qui il n’ait fait un don.

V

Qu’ils soient vifs, les coursiers, aux confins de la montagne;
que le chagrin [habite] dans mon coeur;
qu’il soit libertin l’inconstant.

VI

Qu’il soit dans la lumière, le cavalier;
qu’il soit dans l’ombre, le voleur;
elle est [facilement] séduite, l’épouse du riche;
il est camarade du loup, le berger paresseux.

VII

Qu’elle marche avec des béquilles, la vérité;
qu’elle courre, l’erreur; que le fils de la science soit désireux [d’apprendre];
que le libertin ait deux paroles.

VIII

Qu’elle soit brune, la vache; qu’il soit gris, le loup;
et vif le cheval [nourri] d’orge,
[le cheval qui a] du grain tendre pressé dans ses flancs.

IX

Qu’il soit courbe, le piège; qu’il soit dur, le cachot;
[qu’il soit] vif dans les combats,
le cheval [qui a] du grain tendre pressé dans son coffre.

X

Que l’étourdi soit inconstant;
que le sourd soit incertain; que le fou soit batailleur;
heureux celui qui voit son ami!

XI

Qu’il soit profond, le lac; qu’elle soit aiguë, la grande lance;
que la joue du guerrier malade s’enflamme au cri de guerre;
qu’il soit le bonheur du sage, le Dieu qui l’élève!

XII

Qu’il soit piquant, l’ajonc; qu’il soit errant, l’étranger;
qu’il soit rude, le héros;
que le fou aime à rire!

XIII

Qu’il soit mouillé, le sillon; qu’elles soient nombreuses, les cautions;
qu’il soit débile, le malade; qu’il soit joyeux, l’homme bien portant;
qu’il soit grognon le bichon; qu’elle soit bourrue, la vieille femme.

XIV

Qu’il soit lamentable, le cri [de la douleur];
qu’elle soit mouvante, l’armée; que le parasite soit badin;
que le guerrier soit brave, et qu’elle soit [couverte] de gelée, la montagne.

XV

Qu’il soit blanc, le goéland; qu’elle soit bruyante, la vague;
qu’il aime à se cailler, le sang, sur la lance [de frêne];
que la gelée soit grise; que le coeur soit un lion.

XVI

Qu’elle soit verdoyante la plaine;
qu’il soit sans reproche, l’orateur;
que la lance repousse la lance dans la mêlée;
que la femme méchante mérite le blâme.

XVII

Que la poule gratte; que le lion cause du tumulte;
que le fou aime à batailler;
qu’il soit brisé, le coeur, par la douleur.

XVIII

Que la beauté soit convoitée par plusieurs;
que la tour soit blanche; qu’il soit noir le harnois;
que le glouton soit avide; que les clercs soient intercesseurs.

XIX

Qu’il soit détesté le méchant;
que la vieillesse soit indigente;
qu’il soit délicieux, l’hydromel, dans le banquet.

XX

Qu’il soit grognon, le bichon; qu’il soit venimeux le serpent;
qu’on passe le gué à la nage, malgré les lances:
l’adultère ne vaut pas mieux que le voleur.

XXI

Que la mer soit verte, que la vague brise avec fracas;
qu’il soit gémissant celui qui est dans la douleur;
qu’il soit triste le vieillard en peine.

Red Book of Hergest VI

Le Vent

I

D’ordinaire le vent [souffle] du sud; d’ordinaire les dons [abondent] dans le lieu saint;
d’ordinaire l’homme débile [est] très svelte;
[il est] ordinaire à l’homme de demander des nouvelles,
ordinaire à l’enfant à la nourrice [de demander] des friandises.

II

D’ordinaire le vent souffle de l’est; d’ordinaire l’homme à la poitrine proéminente est fier;
le merle [chante] parmi les épines;
d’ordinaire, devant l’oppression, [s’élève] un grand cri;
d’ordinaire, dans les recoins, on trouve de la chair à corbeaux.

III

D’ordinaire le vent [souffle] du nord; d’ordinaire les dames [sont] douces,
d’ordinaire l’homme est beau, en Gwéned;
d’ordinaire le prince préside à la fête; d’ordinaire, après le repas, la torpeur.

IV

D’ordinaire le vent [souffle] de la mer;
d’ordinaire la vague est orageuse;
[il est] ordinaire à la laie de se nourrir d’ordures;
ordinaire aux pourceaux de déterrer des racines sauvages.

V

D’ordinaire le vent [souffle] de la montagne;
d’ordinaire [il y a] des flaques d’eau dans le pays [plat];
d’ordinaire on trouve du chaume dans les marais;
d’ordinaire l’homme de religion se nourrit de laitage;
d’ordinaire les arbres [ont] des feuilles et des rameaux.

VI

D’ordinaire, l’aire de l’aigle [est] à la cime du chêne,
et les hommes jasent à l’assemblée,
et l’oeil de l’amant [est] sur celle qu’il aime.

VII

D’ordinaire, [tout] le jour, le feu brille pendant l’humidité de l’hiver,
entouré des guerriers au langage très libre;
d’ordinaire, le foyer du félon [se change] en solitude.

VIII

Le roseau [est] fragile et l’inondation [règne] dans la vallée.
Le Saxon et l’argent sont alliés.
[C’est une] âme dure [que celle] de la marâtre!

IX

La feuille tournoie au gré du vent;
malheur à ce qui en a le destin!
Elle est vieille, [quoique] née dans l’année.

X

Quoiqu’il soit petit, il a une demeure artistement [bâtie],
l’oiseau, dans le fond des bois:
de même âge sont bonheur et bonté.

XI

Froide, humide [est] la montagne;
froide, humide la neige; fie-toi à Dieu; il ne te trompera pas;
trop de prudence ne fait pas de longue blessure.

Red Book of Hergest VII

Les Calendes de l’hiver

I

Aux calendes d’hiver, grain dur, feuille tombante;
mare pleine dès le matin, avant qu’on sorte.
Malheur à qui se fie à l’étranger!

II

Aux calendes d’hiver, intérieur brillant;
à la fois vent et tempête:
c’est un travail très lourd que de cacher un secret.

III

Aux calendes d’hiver, les chevreuils [sont] maigres;
la tête du bouleau jaunit; la maison d’été [devient] veuve.
Malheur à qui fait un reproche pour une bagatelle!

IV

Aux calendes d’hiver se courbe le bout des branches;
le désordre [sort] habituellement de la tête du méchant;
là où il n’y a pas de don [du génie], il n’y aura pas d’instruction.

V

Aux calendes d’hiver, rude température;
[c’est] le contraire au premier mai;
hormis Dieu, il n’y a point de devin.

VI

Aux calendes d’hiver, la plume des oiseaux est blanche,
le jour court, les coucous gémissent:
la miséricorde est le premier devoir de Dieu.

VII

Aux calendes d’hiver, [il fait] dur, [il fait] sec;
le corbeau est noir de jais; plus rapide [la flèche s’élance] de l’arc;
quand le vieillard tombe, la lèvre du jeune homme rit.

VIII

Aux calendes d’hiver, les cerfs pâtissent.
Malheur au malade, quand les astres ont fourni une courte carrière!
en vérité, mieux vaut bonté que beauté.

IX

Aux calendes d’hiver, point de feu de broussailles [sur les monts];
charrue dans le sillon, boeuf à l’ouvrage:
sur cent, rarement un ami.

Red Book of Hergest VIII

I

Le buis sert de béquille; le frêne est noueux;
les sarcelles fréquentent le lac; la vague blanchit sur la grève;
plus forte que cent [hommes] est l’affliction du coeur.

II

[Pendant] les longues nuits, l’océan est bruyant;
le tumulte est ordinaire dans le combat:
le mal et le bien ne font point société.

III

Le rameau vigoureux du bouleau à la tête verte
tire mon pied de l’entrave:
ne confie point ton secret au jeune homme.

IV

Le rameau vigoureux du chêne, dans le bois,
tire mon pied de la chaîne:
ne confie pas un secret à la jeune fille.

V

Le rameau vigoureux du chêne feuillu
tire mon pied de prison:
ne confie point un secret au bavard.

VI

Le rameau vigoureux de la ronce couverte de mûres,
et le merle sur son nid, et le conteur,
ne se taisent jamais.

VII

Il pleut au-dehors! la fougère est mouillée;
le sable de mer est blanchi;
l’écume [des flots] est gonflée;
la plus belle lumière [c’est] l’intelligence de l’homme.

VIII

Il pleut au-dehors! [Mon] abri (est] très étroit,
la bruyère jaunissante, le panais maigre.
Dieu, roi du ciel, pourquoi as-tu créé un pleureur [comme moi?]

IX

Il pleut au-dehors! mes cheveux sont humides;
le malade est gémissant;
la montagne à pic; l’Océan sombre; la mer salée.

X

Il pleut au-dehors! il pleut dans l’océan;
le vent siffle dans la cime des roseaux;
tout jeu sans gain est stérile.

Red Book of Hergest IX

Les Splendeurs

I

[Elle est] bien éblouissante, la cime des frênes [fleuris]
qui sont longtemps blancs quand ils croissent dans le torrent:
le coeur malade [voit] durer longtemps sa douleur.

II

[Elle est] bien éblouissante, la surface du torrent,
à l’heure longue de minuit: tout homme intelligent doit être honoré:
la femme doit apporte le sommeil à la douleur.

III

[Elle est] bien éblouissante, le cime du saule [en fleurs];
le poisson est joyeux dans le lac; le vent siffle dans l’extrémité des menues branches:
la nature l’emporte sur l’instruction.

IV

[Elle est] bien éblouissante, la cime de la bruyère [en fleurs];
fie-toi au sage; et défie-toi du fou:
il n’y a de devin que Dieu.

V

[Elle est] bien éblouissante, la tige du trèfle;
l’homme sans courage est gémissant; les envieux [sont] exténués:
d’ordinaire les soucis [fondent] sur l’homme faible.

VI

[Elle est] bien éblouissante, la cime du roseau [fleuri]:
l’envieux [est] plein de colère, rarement se trouve-t-il [quelqu’un] qui le satisfasse:
c’est le fait de l’homme discret d’aimer loyalement.

VII

[Elle est] bien éblouissante, la crête des montagnes pendant l’hiver, ennemi du sommeil:
le roseau [est] fragile; lourde est l’oppression:
devant la faim, il n’y a pas de timidité.

VIII

[Elle est] bien éblouissante, la crête des montagnes [exposées] au froid violent de l’hiver:
le roseau est fragile; l’écume couvre l’hydromel:
les besoins sont amers dans l’exil.

IX

[Elle est] bien éblouissante, la cime du chêne;
amer [est] le bourgeon du frêne; devant les canards, s’ouvrent les vagues:
puissante est la tromperie:
depuis longtemps les soucis [habitent] dans mon coeur.

X

[Elle est] bien éblouissante, la cime du chêne;
amer [est] le bourgeon du frêne, doux le panais, rieur le flot:
la joue ne cache point le trouble du coeur.

XI

[Elle est] bien éblouissante, la tête de l’églantier [fleuri];
nécessité n’a pas de loi; que chacun retrouve son foyer:
le pire des défauts, c’est l’incivilité.

XII

[Elle est] bien éblouissante, la du genêt [fleuri];
l’amoureux converse [longuement];
jaunes d’or [sont] les branches bien nourries [du genêt];
le gué [est peu profond: d’ordinaire l’homme heureux dort bien.

XIII

[Elle est] bien éblouissante, la tête du pommier [fleuri];
tout homme heureux est bien accueilli,
[il est] insupportable aux autres, et, après l’amour, indiscret.

XIV

[Elle est] bien éblouissante, la tête du pommier [fleuri];
tout heureux est bien accueilli;
dans les longs jours, les mares (sont] tièdes:
un voile [s’étend] sur l’aurore du prisonnier aveugle.

XV

[Elle est] bien éblouissante, la tête du coudrier [fleurissant] sur le mont Digoll:
tout fou est irréprochable.
C’est l’oeuvre d’un héros que d’obtenir un armistice.

XVI

[Elle est] bien éblouissante, la tête du roseau [en fleur];
d’ordinaire les mares [sont] endormies,
et les jeunes gens (occupés] à s’instruire: il n’y a que le fou qui rompe sa foi.

XVII

[Elle est] bien éblouissante, l’aigrette de l’iris;
que tout héros soit un grand buveur;
que la parole de la famille soit sacrée:
d’ordinaire le menteur manque à sa parole.

XVIII

[Elle est] bien éblouissante, la surface de la bruyère;
d’ordinaire l’insuccès suit la timidité; l’onde brise avec violence sur la rive;
d’ordinaire l’homme véridique tient parole.

XIX

[Elle est] bien éblouissante, l’extrémité des joncs;
elle est douce, ma vache; elles coulent, mes larmes aujourd’hui;
il n’y a pas de consolation pour l’homme.

XX

[Elle est] bien éblouissante, la crête de la fougère;
jaune [est] la fleur du souci;
la mer sans barrière pour les aveugles; les enfants coureurs, remuants.

XXI

[Elle est] bien éblouissante, la cime du cormier;
d’ordinaire les soucis [habitent avec] le vieillard,
comme les abeilles dans la solitude:
[A personne] qu’à Dieu n’appartient la vengeance.

XXII

[Elle est] bien éblouissante, la cime du chêne-vert;
violente la tempête, fragile la broussaille:
d’ordinaire le folâtre rit trop.

XXIII

[Elle est] bien éblouissante, le dôme du bosquet de coudrier; ainsi de la fougeraie.
Voici les feuilles poussées aux chênes:
quiconque voit ce qu’il aime est heureux.

XXIV

[Elle est] bien éblouissante, la cime du chêne;
froides et bouillonnantes sont les eaux:
que la vache cherche la tige du bouleau!
que la flèche fasse une blessure au superbe!

XXX

[Elle est] bien éblouissante, la cime du houx dur, lorsqu’il ouvre ses feuilles dorées.
Quand chacun dort sur son matelas,
Dieu ne dort pas, lui, lorsqu’il donne assistance.

XXXI

[Elle est] bien éblouissante, la cime d’un saule fragile et tendre;
le coursier, dans les longs jours [d’été est] mou:
qui aime autrui ne le dédaigne pas.

XXXII

[Elle est] bien éblouissante, la pointe des joncs;
ramés [sont) les arbres:
quand il s’est retiré sous ses draps, le galant a l’esprit superbe.

XXXIII

[Elle est] bien éblouissante, la tête de l’aubépine [en fleur]:
hardi est l’oeil du coursier:
d’ordinaire l’amant [est] reconnaissant;
bonne aventure au messager pressé!

XXXIV

[Elle est] bien éblouissante, le feuille du cresson;
le cheval est belliqueux; le bois est la parure du sol;
l’esprit rit à qui l’aime.

XXXV

[Elle est] bien éblouissante, le cime du buisson [fleuri];
le cheval est précieux;
c’est une bonne [chose] que l’intelligence unie à la force:
que l’incapable soit sans puissance!

XXXVI

[Elle est] bien éblouissante, la cime des bosquets;
les oiseaux sont un bel ornement; le long jour est un don du soleil;
la miséricorde est le premier devoir de Dieu.

XXXVII

[Ils sont] bien éblouissants, les sillons, et bien harmonieux les bois;
violemment le vent souffle [parmi] les arbres;
n’intercède pas pour l’homme endurci, c’est inutile.

XXXVIII

[Elle est] bien éblouissante, la tige du sureau [en fleur];
impatient est le chanteur solitaire;
d’ordinaire l’homme violent opprime,
et le vice ôte le bien des mains.

Red Book of Hergest X

Le chant du coucou

I

Assis sur la montagne, [je sens] mon esprit guerrier abattu;
et aussi ne me pousse-t-il plus en avant; mes jours [seront] courts désormais;
ma demeure est en ruines.

II

Le vent est coupant; la vie, une lourde pénitence;
quoique le bois reprenne sa robe d’été,
je suis terriblement malade aujourd’hui.

III

Je ne suis point à la chasse, je n’ai point de limiers;
je ne puis me promener:
tant qu’il lui conviendra, que le coucou chante son chant!

IV

Le coucou babillard chante avec le jour
ses mélodieux appels dans les vallées de Kiok:
« mieux vaut le riche que le pauvre, [dit-il.] »

V

Au havre de Kiok chantent les coucous
sur les branches fleuries;
malheur au malade qui les écoute dans leur joie!

VI

Au havre de Kiok les coucous chantent;
leur chant affecte désagréablement mon esprit;
que ceux qui les entendent ne soient point malades aussi!

VII

N’ai-je pas entendu le coucou [chanter] sur l’arbre entouré de lierre?
N’ai-je pas laissé [tomber] mon bouclier?
Ce que j’aimai m’est odieux; ce que j’aimai n’est plus.

VIII

Sur la colline, de la cime joyeuse du chêne,
j’ai entendu [descendre] une voix d’oiseau:
[la voix du] coucou de la colline, [dont la] pensée [est] avec chaque amant.

IX

Chanteur de chants joyeux, ta voix m’est ennuyeuse!
Habitué à errer, à fuir le faucon, ô coucou,
tu es bien bruyant au havre du Kiok!

X

Qu’ils sont bruyants, les oiseaux!
Les vallées sont mouillées; la lune a lui; comme le minuit est froid!
comme mon esprit est troublé par l’angoisse de la maladie!

XI

Comme elle est blanche la surface de la vallée!
Comme l’heure de minuit est longue!
On honore chaque mérite; mais il n’a droit à aucun égard le sommeil de la vieillesse.

XII

Qu’ils sont bruyants les oiseaux! il est humide le rivage;
les feuilles sont tombées; l’exilé [semble] indifférent;
je ne le cache pas: je suis bien malade, cette nuit.

XIII

Qu’ils sont bruyants les oiseaux!
Le sable est humide, clair le firmament, la vague enflée:
comme il se flétrit, le coeur, par l’ennui!

XIV

Qu’ils sont bruyants les oiseaux! [Il est] humide le rivage;
[il est] brillant le flot; [sa] course [est] rapide;
ce que je fis dans ma jeunesse, l’aimerais-je, si je le trouvais encore?

XV

Qu’ils sont bruyants les oiseaux! Ils sentent l’odeur de la chair!
Qu’elle est retentissante la voix des chiens dans le désert?
Qu’ils sont bruyants les oiseaux derechef!

XVI

Au premier mai, [quand] brille toute semence,
quand les guerriers volent au combat, je n’y vais point,
mes infirmités ne me le permettent pas.

XVII

Au premier mai, lorsque brillants sur leurs chevaux,
les guerriers courent au champ de bataille, je n’y vais point,
les infirmités m’enveloppent.

XVIII

Il est gris, le sommet de la montagne;
elle est belle, la cime du frêne.
A l’entrée [des fleuves] la vague est repoussée;
le doux rire est loin de mon coeur!

XIX

Ah! que je souffre! c’est aujourd’hui le bout du mois, c’est la fête;
je n’y vais plus: mon esprit est troublé;
la fièvre est mon partage.

XX

Il est perçant le regard de la sentinelle;
qu’il fasse des fanfaronnades le lâche! [pour moi] mon esprit est troublé,
la maladie m’accable.

XXI

Ô richesse, [vous êtes] semblable au vase [d’argile) qui renferme l’hydromel,
je ne vous désire point. Le bonheur, [c’est] le repos.
La clé du savoir, [c’est] la ténacité.

XXII

Ô richesse, [vous êtes] semblable au vase [d’argile) qui contient la liqueur,
au serpent qui disparaît, à l’ondée abondante, et au gué profond.
[Vous êtes pour] l’esprit un ferment de trahison.

XXIII

C’est un ferment de trahison qu’une mauvaise action;
elle trouvera [son] châtiment,
quand seront purifiés ceux qui vendent cher [des objets de] peu [de valeur.]

XIV

Qu’il fomente la trahison, le menteur!
quand Dieu jugera, au grand jour,
le mensonge sera [mis] dans les ténèbres, la vérité dans la lumière.

XXV

[Il y a] péril sur [cette] terre mauvaise;
[ils portent] un collier d’esclave, ceux qui sont joyeux après boire;
fragile roseau [que] richesse en monceau!

XXVI

Écoutez tous la vague pesante;
que ses coups sont bruyants parmi le gravier et les galets;
mon esprit est accablé par la torpeur, cette nuit.

XXVII

Il est branchu le front du chêne, amer le goût [de la feuille] du frêne,
doux le panais, rieur le flot:
la joue ne cache pas l’angoisse du coeur.

XXVIII

Mes soupirs continuels me disent,
après tous mes rêves de félicité:
« Dieu ne donne point le bonheur aux prévaricateurs. »

XXIX

Le bonheur! aux prévaricateurs il n’est point donné;
[ils n’ont] que tristesse et souci:
Dieu ne défait point ce qu’il a fait.

XXX

Il fut jeune, le fils de la douleur;
il fut chef dans la cour du prince.
Puisse-t-il voir Dieu [maintenant] à son départ! [de la terre].

XXXI

De l’oeuvre dépend l’évènement:
qu’il y réfléchisse bien, celui qui lit ceci:
« [l’objet de] la haine de l’homme ici bas, l’est de la haine de Dieu là haut. »

Red Book of Hergest XIII

Chant de Maenwinn

I

Maenwinn, quand j’étais à ton âge,
on ne foulait pas mon manteau, à moi, aux pieds;
on ne labourait point ma terre, à moi, sans [y verser] du sang.

II

Maenwinn, quand j’étais dans ta position,
ma jeunesse à ma suite,
l’étranger ne brisait point ma borne.

III

Maenwinn, quand j’étais dans ta situation,
à ma suite ma jeunesse,
l’étranger n’aimait point ma colère.

IV

Maenwinn, quand j’étais dans ma fleur,
suivant le furieux carnage,
je faisais l’ouvrage d’un homme, quoique je fusse jeune.

V

Ce que j’aimais [alors], c’était un fer de lance recouvert de sa gaine,
[un fer] aigu comme l’épine.
[Alors] ce n’était pas un travail pour moi de soulever le rocher.
(Maenwinn signifie levier de rocher)

VI

[Aussi] en présent m’envoya-t-on,
de la vallée de Mévernion, enfermé dans une boîte,
un fer aigu qu’on lance à la main.

VII

Maenwinn, juge-toi avec sévérité;
que le repentir chasse la faute !
que Maelgoun cherche un autre intendant !

VIII

Qu’elle soit bénie la vieille [femme] solitaire
qui avait crié du seuil de sa cabane :
« Maenwinn, ne rends pas ton poignard! »

Red Book of Hergest XI

Chant de Llywarc’h-Henn sur sa vieillesse

I

Avant que je fusse boiteux avec des béquilles,
j’étais éloquent dans le festin; j’étais honoré, et ce n’est pas étonnant,
car les hommes de l’Argoed m’assistèrent toujours.

II

Avant que je fusse boiteux avec des béquilles,
j’étais intrépide; j’étais reçu dans l’assemblée de Powys,
ce paradis des Kemris.

III

Avant que je fusse boiteux avec des béquilles,
j’étais beau; ma lance était la première entre les lances;
mon dos [maintenant] vouté, était le premier en vigueur;
je suis lourd! je suis misérable!

IV

Ô ma béquille! n’est-ce pas l’automne,
[que] la fougère [est] rouge, le roseau jaune?
N’ai-je point haï ce que j’aime?

V

Ô ma béquille! n’est-ce pas l’hiver maintenant,
[que] les hommes discourent après boire?
Le bord de mon lit n’est-il pas délaissé?

VI

Ô ma béquille! n’est-ce pas le printemps,
que les coucous parcourent [les airs], que l’écume [des mers] brille?
Je ne suis plus aimé de la jeune fille.

VII

Ô ma béquille! n’est-ce pas le premier jour de mai?
Les sillons ne sont-ils pas rouges; la semence ne pousse-t-elle pas?
Ah! je m’irrite à la vue de ta crosse!

VIII

Ô ma béquille! le rameau [dont tu es faite]
est-il bien aise de servir d’appui à un vieillard morose,
à Liwarc’h, le grand parleur?

IX

Ô ma béquille! ô dur rameau! supporte-moi;
que Dieu te protège, toi qu’on appelle
le bois fidèle aux [pas] chancelants!

X

Ô ma béquille! tiens-toi droite,
tu me soutiendras mieux;
je ne suis plus Liwarc’h pour bien longtemps!

XI

Voici la vieillesse qui se joue de moi,
de mes cheveux à mes dents,
à mes yeux que les femmes aimaient.

XII

Le vent murmure; la cime des bois est blanche,
le cerf est léger; la montagne sans rosée,
débile le vieillard; il se meut avec peine.

XIII

Cette feuille n’est-elle pas ballotée par le vent?
Malheur à ce qui en a le destin!
Elle est vieille, quoiqu’elle soit de l’année.

XIV

Ce que j’aimais, étant jeune, m’est odieux:
la fille de l’étranger et le coursier gris;
je ne leur suis plus bon à rien.

XV

Les quatre choses que j’ai le plus détestées dans ma vie
fondent sur moi ensemble:
la toux et la vieillesse, la maladie et le chagrin.

XVI

Je suis vieux, je suis seul, je suis difforme et glacé;
plus de lit d’honneur; je suis misérable,
je suis plié en trois.

XVII

Je suis un vieillard plié en trois; je suis tout chancelant;
je suis inconsidéré; je suis intraitable:
quiconque m’aima, ne m’aime plus;

XVIII

Elles ne m’aiment plus, les jeunes filles!
Personne ne me soulève [sur ma couche]; je ne puis remuer.
Ah! malheur! ô mort! tu ne m’es pas favorable!

XIX

[Rien] ne m’est favorable, ni sommeil, ni bonheur,
depuis le meurtre de Laour et de Gwenn;
je suis farouche, décrépit; je suis vieux!

XX

Quel triste destin fut destiné à Liwarc’h,
la nuit où il fut enfanté:
de longues peines, sans délivrance de fardeau!

XXI

« N’orne plus [tes] chants plaintifs;
que ton esprit ne soit pas affligé, [si] le vent est piquant
et le printemps rude [pour toi] »
Ah! ne me maudis pas, ma mère; je suis ton fils!

XXII

Il n’y a pas d’ornement à mon inspiration;
[c’est] dans une existence douce que l’on chante [bien]:
elle a trois fondements naturels, l’inspiration.

XXIII

Tu es affilé, mon javelot, tu es impatient de combattre;
je suis prêt à veiller au gué de la rivière:
soutien du faible, ô Dieu, soutenez-moi!

XXIV

Si tu reculais, [ô ma lance], je pleurerais sur toi,
si tu étais brisée, je gémirais sur toi;
oh! ne perds pas de vue les combattants!

XXV

Je ne te perds pas de vue aussi, prix incertain de la bataille:
quand le brave a équipé son coursier,
je porte le [poids du] combat, avant de changer de place.

XXVI

Elle court, la vague le long de la grève;
je me retire; tout projet de combat avec l’ennemi est détruit:
fuir est l’habitude du bavard.

XXVII

Quant à moi, je dis:
il y a des tronçons de lances aux lieux que j’habite:
je ne suis ni bavard, ni fuyard.

XXVIII

La fondrière [est] molle, dure la colline;
sous le sabot [du cheval] se brise le roseau du bord du rivage;
une promesse qu’on n’a point tenue n’existe pas.

XXIX

Que le torrent s’épande autour des murs de la forteresse!
et moi aussi, je me prépare;
mon bouclier sera brisé avant que je recule!

XXX

Urien t’a fait don d’un cor,
avec un cercle d’or à son ouverture;
souffle dedans, s’il t’arrive malheur.

XXXI

La peur [qu’il ne m’arrive] malheur de la part des perfides Logriens
ne me fera pas souiller mon honneur;
je ne m’attaque point à des femmes!

XXXII

Quand j’étais à l’âge de ce jeune homme
qui chausse l’or des éperons,
c’était vigoureusement que je poussais le javelot.

XXXIII

En vérité, jeunesse, tu m’es restée fidèle;
tu vis encore, et ton signe est détruit:
ah! il n’était pas débile, celui qui est vieux, quand il était jeune!

Chant de Liwarc’h-Henn sur la mort de ses fils

XXXIV

Gwenn a veillé hier au soir au bord du Laouen,
là où Arthur n’a point lâché pied;
il s’est élancé, à travers le carnage, sur la verte rive.

XXXV

Gwenn veillait hier au soir au bord du Laouen,
son bouclier sur son épaule, et, comme il était mon fils,
il fut [plein] de vigilance.

XXXVI

Gwenn veilla hier au soir au bord du Laouen,
le bouclier en mouvement; comme il était mon fils,
il ne prit point la fuite.

XXXVII

O Gwenn à la vue perçante, tourment de ma pensée,
ta mort me mets en grande colère;
as-tu un parent qui n’en gémisse pas?

XXXVIII

Gwenn, la cuisse trouée largement, a veillé hier au soir sur la rive,
au passage de la rivière de Morlaz;
et comme il était mon fils, il n’a pas fui.

XXXIX

O Gwenn! je connais ta race;
tu étai l’aigle qui s’abat à l’embouchure des fleuves;
si j’avais été heureux, tu aurais échappé à la mort.

XL

Que la vague brise avec fracas, qu’elle couvre le rivage,
quand les lances unies combattent;
ô Gwenn, malheur à qui est trop vieux pour te venger!

XLI

Que la vague brise avec fracas, qu’elle couvre la plaine,
quand les lances unies se précipitent;
ô Gwenn, malheur à qui est trop vieux, puisqu’il t’a perdu!

XLII

C’était un homme que mon fils; et c’était un héros,
un guerrier généreux, et il était neveu d’Urien:
Gwenn a été tué au gué du Morlaz.

XLIII

Voici la bière qu’a faite à son fier ennemi vaincu,
après l’avoir environné de toutes parts, l’armée des Logriens;
voici la tombe de Gwenn, fils du vieux Liwarc’h.

XLIV

Doucement chantait un oiseau sur un poirier,
au-dessus de la tête de Gwenn, avant qu’on le couvrît de gazon;
il brisa le coeur du vieux Liwarc’h.

XLV

J’avais vingt-quatre fils,
portant le collier d’or et chefs d’armée;
Gwenn était le plus brave d’entre eux.

XLVI

J’ai eu vingt-quatre fils,
portant le collier d’or et chefs de guerre;
Gwenn était le plus brave; [il était] le fils de son père.

XLVII

J’eus vingt-quatre fils,
portant le collier d’or et chefs suprêmes;
comparés à Gwenn, c’étaient des enfants.

XLVIII

Il y avaient vingt-quatre fils dans la famille de Liwarc’h,
tous gens de coeur, [pleins] de fureur guerrière;
leurs marches étaient secrètes, leur gloire au-delà de [toute] mesure.

XLIX

Vingt-quatre fils gardaient mon corps:
par ma langue ils ont été tués;
la mesure de mon malheur est comblée!

L

Quand Peil mourut, ce fut d’un large blessure,
et [avec du] sang sur sa chevelure en désordre,
et au fracas des armes, sur les deux rives du Fraou.

LI

On bâtirait une salle avec les débris de boucliers
élevés les uns sur les autres,
que Peil a brisés de sa main.

LII

L’homme d’élite entre mes fils,
quand chacun d’eux assaillait son ennemi, était le beau Peil,
dont l’effort [était comme] la flamme qui s’élance vers le trou de l’âtre.

LIII

Qu’il posait bien sa cuisse sur la selle de son coursier,
de près et de loin, Peil,
dont l’effort [était comme] la flamme qui s’élance vers le trou de l’âtre.

LIV

Qu’il était beau! que son bras était terrible dans le combat;
que ses soldats étaient riches!
C’était une citadelle que le beau Peil sur son cheval;
quel toit hideux nous sépare!

LV

Quand il paraissait au seuil de sa tente,
monté sur son coursier gris,
elle était fière de son époux, l’épouse de Peil.

LVII

Que de crânes épais ont été broyés devant Peil!
rarement le lâche, le pleureur garde le silence;
le faible se contente de rien.

LVIII

Beau Peil! qu’elle s’étend loin, ta renommée!
que tu m’as donné de force! Quand tu es venu [au monde],
ô mon fils, j’ai reconnu [en toi] la foudre!

LIX

Les trois hommes sous le ciel
qui ont le mieux défendu leur demeure:
Peil et Selef et Sanzef.

LX

Le bouclier que je donnai à Peil,
avant de s’endormir [pour jamais],
ne l’a-t-il pas troué en sauvant sa demeure de la ruine?

LXI

Quand s’avançaient les Kemris contre l’armée dévastatrice des Logriens,
avec de nombreux [auxiliaires] de chaque côté,
c’était Peil qui leur donnait l’élan.

LXII

Ni Peil, ni Madok n’ont vécu longtemps.
Si, selon la coutume, on leur criait:
« Se rendent-ils [vos hommes]? – Ils ne se rendent pas! » [répondaient-ils.]
jamais ils ne demandaient quartier!

LXIII

Ici [repose] mon fils; il était sans défauts.
Très chère aux bardes, où la gloire de Peil ne serait-elle point parvenue,
s’il eût vécu plus longtemps!

LXIV

Maen, et Madok et Médel [étaient] des guerriers vaillants,
frères intrépides de Selef,
Heilen, Laour et Liver.

LXV

La tombe de Gwel est à Riou-Vélen;
la tombe de Souel à Langollen;
Laouer garde le fort du Lorien.

LXVI

Cet épais gazon ne cache-t-il pas une tombe sanglante?
L’herbe d’Ammarc’h est-elle souillée par la tombe de Lenghédoué,
fils de Liwarc’h?

LXVII

Les trois hommes de leur pays
qui défendaient le mieux leur habitation
étaient Eizar, et Ersar et Argad.

LXVIII

Les trois fils de Liwarc’h, tous trois indomptables dans le combat,
tristes voyageurs tous trois:
Lef, et Arao et Urien.

LXIX

Il eût mieux valu, pour leur avantage,
être enterrés sur les bords de la rivière,
dans la compagnie des hommes gris:

LXX

Le taureau du tumulte, le chef de guerre,
le soutien dans la bataille, le flambeau sublime,
le régulateur du ciel a été trop écouté!

LXXI

A l’aurore, au lever du jour,
lorsque s’avança le Grand Brûleur de villes,
ils ne furent point étranglés, les chevaux de Mer’hez.

LXXII

En face de ma cabane, il y a dans la plaine
un cadavre dans le sang:
c’est par suite de la rencontre de Run et d’un autre brave.

LXXIII

Un cri s’élève du sommet du mont Lug,
du haut de la tombe de Kenlug:
« Mon châtiment, c’est moi qui me l’inflige! »

LXXIV

En vain la vallée est couverte de neige;
les guerriers volent au combat:
moi, je n’y vais point; la maladie ne me quitte pas.

LXXV

Tu n’es pas clerc, toi, [mon fils],
tu n’es pas ermite; et [cependant]
tu ne seras pas appelé [du nom de] chef, au jour de la nécessité;
oh! Kenzilik! que n’as-tu été femme!

LXXVI

[Il est] loin d’ici le havre de Leu,
plus loin encore nos deux clans;
ô Talan! j’ai mérité tes larmes aujourd’hui!

LXXVII

Depuis que j’ai bu le vin de ma coupe,
une rencontre a eu lieu entre des hommes armés de lances:
comme les ailes de l’aurore, brillait ma grande lance de Duok.

LXXVIII

J’ai eu regret d’avoir fait une demande [à Dieu],
puisqu’ils n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient, [mes fils]:
que leur vie fût généreusement augmentée d’un mois.

LXXIX

Il plait, le langage du corbeau, dans le malheur:
« Quand dans l’assemblée[, dit-il,] descendra le chef des guerriers,
il méritera une coupe de vin. »

LXXX

Que le cavalier [soit] vainqueur [dan la] plaine!
tant que Dieu voudra mon bien,
je ne me nourrirai point, comme le pourceau, de glands!

LXXXI

– Ô vieux Liwarc’h, ne sois point abattu;
tu trouveras [bientôt une douce retraite;
sèche ton oeil; tais-toi, ne pleure pas.

LXXXII

– Je suis vieux, je ne te reconnaissais pas;
le don, à mon avis, [qui me sied, est] une tombe; je l’implore:
Urien est mort! La douleur [pèse] sur moi!

LXXXIII

– Est-ce ton avis de consulter le corbeau,
au chant sinistre et criard?
Ils sont tous morts, les fils d’Urien!

LXXXIV

– Il ne croit point le corbeau, il ne croit point Dunod;
il n’en obtiendra pas de protection,
le pâtre débile [qui a été jadis] un homme d’armes voyageur.

LXXXV

– Voici [l’église de] Lanvor au-delà de ce fleuve
dont la mer se fait gloire;
[mais] je ne sais [si tu as rien] de commun avec elle.

LXXXVI

– [Oui,] voici Lanvor, la majestueuse,
où la Kloued se joint au Klévédok;
j’ignore en effet si avec elle [j’ai rien de] commun.

LXXXVII

– Le Deverdoui a surmonté ses bords;
[il a roulé] du Melor’h au Trawéren,
ô pâtre débile, jadis un homme d’armes voyageant.

LXXXVIII

Ah! quel triste destin fut destiné à Liwarc’h,
la nuit où il est né:
de longues peines sans délivrance de fardeau!

LXXXVIV

Il est bien aminci, mon bouclier, sur mon flanc droit!
Je suis bien vieux! et cependant, si je puis,
je veillerai sur les bords de Morlaz!

Black Book of Caermarthen XXII
Red Book of Hergest XIV

Chant de mort de Ghérent, fils d’Erbin

I

Quand Ghérent naquit, les portes du ciel s’ouvrirent ;
le Christ accorda ce qu’on lui demanda :
temps heureux, gloire à la Bretagne.

II

Que chacun célèbre le rouge Ghérent, le chef d’armée;
je célèbre moi-même le rouge Ghérent, le chef d’armée;
je célèbre moi-même Ghérent, l’ennemi de Saxons, l’ami des Saints.

III

Devant Ghérent, impitoyable envers l’ennemi,
j’ai vu les chevaux [menacés] d’un commun désastre par la bataille,
et, après le cri de guerre, un rude effort.

IV

Devant Ghérent, effroi de l’ennemi,
j’ai vu les chevaux sous [le coup d’un] commun désastre,
et, après le cri de guerre, une furieuse résistance.

V

Devant Ghérent, fléau de l’ennemi,
j’ai vu les chevaux blancs d’écume,
et, après le cri de guerre, un furieux torrent [de guerriers].

VI

A LongPort, j’ai vu du tumulte,
et des cadavres [nageant] dans le sang,
et des hommes rouges [de sang] devant l’assaut ennemi.

VII

A Longport, j’ai vu le carnage,
et des cadavres en grand nombre,
et des hommes rouges [de sang] devant l’assaut de Ghérent.

VIII

A Longport, j’ai vu le sang couler,
et des cadavres devant les armes,
et des hommes rouges [de sang] devant l’assaut de la Mort.

IX

A Longport, j’ai vu les éperons d’hommes
qui ne reculaient point devant la peur des lances,
et qui avaient bu du vin dans des verres brillants.

X

A Longport, j’ai vu [s’élever] une épaisse vapeur,
et des hommes endurant des privations
et le manque après l’abondance.

XI

A longport, j’ai vu [briller les armes des guerriers,
et [couler] le sang dans les vallées,
et, après le cri de guerre, une terrible conflagration.

XII

A Longport, j’ai vu l’engagement,
des hommes en émoi et du sang sur la joue,
devant Ghérent, l’illustre fils de son père.

XIII

A Longport, j’ai vu du tumulte;
sur les rochers les corbeaux faisant festin;
et, sur le sourcil du général en chef, une tache rouge.

XIV

A Longport, j’ai vu une presse roulante
d’hommes réunis, et du sang aux pieds :
« Que ceux qui sont les guerriers de Ghérent se pressent! »

XV

A Longport, j’ai vu un conflit tumultueux d’hommes réunis,
du sang jusqu’aux deux genoux,
devant l’assaut du grand fils d’Erbin.

XVI

A Longport a été tué Ghérent,
le vaillant guerrier du pays boisé de la Domnonée,
les tuant, ceux-là le tuèrent.

XVII

A Longport furent tués à Arthur de vaillants soldats
qui tranchaient avec l’acier;
[à Arthur] le généralissime, le conducteur des travaux [de la guerre].

XVIII

Ils étaient légers les coursiers sous la cuisse de Ghérent,
hauts sur jambes [nourris de] grain d’orge,
impétueux [comme le] feu de broussailles sur la montagne déserte.

XIX

Ils étaient légers les coursiers sous la cuisse de Ghérent,
hauts sur jambes [nourris de] gros grains, rouges,
impétueux [comme les] aigles forts.

XX

Ils étaient légers les coursiers sous la cuisse de Ghérent,
hauts sur jambes [nourris de] grains gras, rouges,
impétueux [comme les] aigles blancs.

XXI

Ils étaient légers les coursiers sous la cuisse de Ghérent,
hauts sur jambes [nourris de] grain vanné, rouges,
impétueux [comme les] aigles rouges.

XXII

Ils étaient légers les coursiers sous la cuisse de Ghérent,
hauts sur jambes ; du grain était leur nourriture; [ils étaient] rouges,
impétueux [comme les] aigles gris.

XXIII

Ils étaient légers les coursiers sous la cuisse de Ghérent,
hauts sur jambes [nourris d’]excellent grain, rouges,
impétueux [comme les] aigles bleus.

XXIV

Ils étaient légers les coursiers sous la cuisse de Ghérent,
hauts sur jambes nourris de de grain, rouges,
impétueux [comme les] aigles noirs.

XXV

Ils étaient légers les coursiers sous la cuisse de Ghérent,
hauts sur jambes [nourris de] grain de froment, rouges,
impétueux [comme les] aigles tachetés.

XXVI

Ils étaient légers les coursiers sous la cuisse de Ghérent,
hauts sur jambes [nourris de] grain à souhait, gris;
[et ils portaient à] l’extrémité de leurs crinières [des ornements] en argent.

Red Book of Hergest XII

Chant de mort d’Urien de Reghed

I

En avant ! terrible Unour’h!
[bonne] contenance dans la bataille!
mieux vaut tuer que parlementer!

II

En avant ! terrible Unour’h!
on a crié du seuil du Ler’h:
« Dunod, le fils de Pabo, ne recule [jamais]. »

III

En avant ! terrible Unour’h!
Il était amer, [il était] sombre comme le rire de la mer,
le tumulte de la guerre [autour] d’Urien au poignet vigoureux.

IV

[C’était], Unour’h, un aigle puissant, brave, généreux;
un poursuivant [toujours] vainqueur, de combats acharnés;
qu’Urien au vigoureux poignet;

V

C’était Unour’h, un aigle puissant, plein d’intelligence,
aussi bien sur le rivage des mers
que dans les défilés et les vertes plaines.

VI

Je porte à mon côté la tête de celui
qui commandait l’attaque entre deux armées,
[la tête] du fils de Kenvarc’h qui vécut magnanime.

VII

Je porte sur mon côté la tête d’Urien
qui doucement commandait l’armée:
sur sa poitrine blanche, un noir corbeau!

VIII

Je porte dans ma tunique la tête d’Urien
qui doucement commandait la cour;
sur sa poitrine blanche le corbeau se gorge.

IX

Je porte à la main une tête
qui n’était jamais en repos :
la pourriture ronge la poitrine du chef.

X

Je porte du côté de ma cuisse une tête
qui était un bouclier pour son pays, une colonne dans le combat,
une épée de bataille pour ses libres compatriotes.

XI

Je porte à ma gauche une tête meilleure, de son vivant,
que n’était son hydromel;
[une tête] qui était une citadelle pour les vieillards.

XII

Je porte, depuis le promontoire de Pennok,
un chef dont les armées sont célèbres au loin;
le chef d’Urien l’éloquent [dont] la renommée court [à travers le monde].

XIII

Je porte sur mon épaule une tête
qui ne me faisait point honte:
malheur à ma main! mon maître est tué!

XIV

Le tête que je porte sur mon bras
n’a-t-elle pas conquis la terre des Berniciens?
Après le cri de guerre, les chevaux [traînent] des corbillards.

XV

Je porte dans le creux de ma main une tête
qui commandaient doucement son pays,
la tête d’un puissant pilier de la Bretagne.

XVI

La tête que je porte au bout d’une pique noire
est la tête d’Urien, le sublime Dragon (c’est-à-dire le chef des chefs).
Ah! jusqu’à ce que le jour du jugement arrive, je ne me tairai point!

XVII

Le tête que je porte me porta; je ne la retrouverai plus;
il ne viendra plus à mon secours.
Malheur à ma main! mon bouclier m’est ravi!

XVIII

La tête que j’emporte du penchant de la montagne
a la bouche écumante de sang;
malheur à Rheged de ce jour!

XIX

Mon bras n’est point affaibli; [mais] mon repos est troublé;
mon coeur, ne te brises-tu pas?
La tête que je porte m’a porté!

XX

Son corps délicat et blanc sera couvert aujourd’hui
de mortier et de pierres;
malheur à ma main! le père d’Owen est tué!

XXI

Son corps délicat et blanc sera couvert aujourd’hui
de mortier et de chêne;
malheur à ma main! mon cousin-germain est tué!

XXII

Son corps délicat et blanc sera couvert cette nuit
de pierre choisies;
malheur à ma main! A quelle chute étais-je destiné!

XXIII

Son corps délicat et blanc sera couvert cette nuit
de mortier et d’épais gazon;
malheur à ma main! le fils de Kenvarc’h est tué!

XXIV

Son corps délicat et blanc sera couvert aujourd’hui
de mottes surmontées d’un signe;
malheur à ma main! mon seigneur est tué!

XXV

Son corps délicat et blanc sera couvert cette nuit
de mortier et de gravier; malheur à ma main!
Quelle chute m’était réservée!

XXVI

Son corps délicat et blanc sera couvert aujourd’hui
de mortier et d’orties; malheur à ma main!
Quelle chute pour ma puissance!

XXVII

Son corps délicat et blanc sera couvert aujourd’hui
de mortier et de pierres bleues; malheur à ma main!
Quelle chute pour mon pouvoir!

XXVIII

Ordre en a été [donné]; le frère s’est mis à poursuivre,
au son de la corne de buffle, [de la corne] du festin,
la bête sauvage qui a dévasté Rheged la sombre.

XXIX

Ordre en a été [donné]; le frère s’est mis à poursuivre
au son de la corne retentissante de buffle
la bête sauvage qui a dépouillé les hommes de Rheged.

XXX

Pour Eurzel, elle est dans la douleur, cette nuit,
privée qu’elle est du chef d’armée :
au havre de Leu a été tué Urien.

XXXI

Elle est triste, cette nuit, Eurzel, par la suite des tribulations
et de la chute qui m’étaient réservées :
au havre de Leu a été tué son frère.

XXXII

Vendredi, j’ai vu une grande anxiété
parmi les armées baptisées,
semblables à un essaim sans ruche.

XXXIII

N’ai-je pas reçu de Run, le guerrier illustre,
cent essaims et cent boucliers d’or?
Mais un de ces essaims valait beaucoup plus [que les autres].

XXXIV

N’ai-je pas reçu de Run, le roi célèbre,
cent villages et cent domaines?
Mais un d’eux valait mieux que tous.

XXXV

Quand vivait Run, le coureur infatigable,
le méchant tombait dans ses pièges;
il enchaînait les chevaux de l’injustice.

XXXVI

Mon génie, je le sais, est grand;
à entendre chacun de chaque âge,
personne ne sait rien de plus que moi.

XXXVII

Quels efforts faisait Dunod, le cavalier rapide,
impatient de faire des cadavres,
en face du bouillant Owen!

XXXVIII

Quels efforts faisait Dunod,
le chef impétueux, impatient d’entraver [l’ennemi]
en face de Pasken, impétueux comme lui!

XXXIX

Quels efforts faisait Gwallok, le cavalier du tumulte,
impatient d’élever un rempart
en face d’Elfin, impétueux comme lui!

XL

Quels efforts faisait Bran, le fils de Mellern!
C’était un démon brûlant de l’enfer,
un loup qui étouffait sous son fardeau.

XLI

Quels efforts faisait Morgant, lui et ses guerriers!
C’était, par tempérament, un démon brûlant,
un levier attaquant des rocs.

XLII

Quels efforts faisais-je moi-même quand fut tué Elgno!
quand tournoyait la lame rayonnante de Peil,
cette tente de son pays!

XLIII

Je revis, après l’action,
le bouclier d’or sur l’épaule d’Urien.
Il fut là un second Elgno-henn.

XLIV

Les cheveux se hérissaient de frayeur
[à la vue] du guerrier terrible;
y aura-t-il jamais un second Urien?

XLV

Quoique mon seigneur fût chauve depuis sa verte jeunesse,
les guerriers n’aimaient point sa colère;
maints souverains furent abattus par lui.

XLVI

Le malheur d’Urien est un malheur pour moi.
Qu’on fasse des recherches en chaque canton,
pour découvrir Lovan à la main étrangère!

XLVIII

Silence à toi, souffle inspirateur!
Ils seront rares désormais les chants d’éloges,
hormis pour Urien qui n’est plus!

XLIX

Plus d’un chien de chasse, et plus d’un faucon gris
ont été attirés par lui sur le champ [de bataille],
avant que [la ville de] Kerléon fût désolée.

L

Ce foyer où s’attache la chèvre,
était plus accoutumé à voir autour de lui
de l’hydromel et des buveurs jasant.

LI

Ce foyer n’est-il pas couvert d’orties?
Tant que vécut son gardien,
il était accoutumé aux solliciteurs.

LII

Ce foyer n’est-il pas couvert de gazon?
Tant que vécurent Owen et Elfin,
dans son chaudron la venaison bouillait.

LIII

Ce foyer n’est-il pas couvert de champignons moisis?
Il était accoutumé [à entendre] autour de la table
le bruit de l’épée terrible du [guerrier] sans peur.

LIV

Ce foyer n’est-il pas couvert par une haie de ronces?
Il était [rempli] de bois de chauffage;
il était accoutumé aux dons de la libéralité.

LVI

Ce foyer n’est-il pas couvert d’épines?
Il était plus accoutumé à la visite
des bons compagnons d’Owen.

LVII

Ce foyer n’est-il pas couvert de fourmis?
Il était plus accoutumé aux torches brillantes
et aux banquets des amis.

LVIII

Ce foyer n’est-il pas couvert d’oseilles sauvages?
Il était plus accoutumé à voir autour de lui
de l’hydromel et des buveurs jasant.

LIX

Ce foyer n’est-il pas labouré par le pourceau?
Il était plus accoutumé au cri des guerriers,
et à la corne circulant dans le banquet.

LX

Ce foyer n’est-il pas gratté par le poulet?
Il ne souffrait point de la disette,
quand vivaient Owen et Urien;

LXI

[Alors] cette salle et cette autre étaient plus accoutumées
aux acclamations de l’armée
et aux concerts des bardes!