Contenus
ToggleAntillia l’île des sept cités
Pedro de Médina, écrivain espagnol du XVIe siècle, rapporte que, dans un Ptolémée offert au pape Urbain VI, qui régna de 1378 à 1389, il remarqua l’île Antilia qui portait la légende suivante :
« Isla insula Antilia, aliquando a Lusitanis est inventa, sed modo quando quaeritur, non invenitur ».
Il est probable qu’il ne s’agit ici que d’une de ces cartes supplémentaires que les savants ajoutaient aux manuscrits de Ptolémée, au fur et à mesure des découvertes géographiques, afin de mettre en quelque sorte au courant leur auteur favori, car nous ne trouvons l’île Antilia marquée sur aucune des cartes datant du XIVe siècle. Il est vrai qu’on a encore voulu trouver l’Antilia sur la carte dressée en 1367 par Pizzigani. On distingue en effet sur une île très à l’ouest dans l’Atlantique sur laquelle figurent deux statues avec la mention suivante :
« Hae sunt statuae quae stant ante ripas Antilliae, quarum quae in fundo ad securandos homines navigantes, quare est fusum ad ista maria quousque possint navigare, et foras porrecta statua est mare sorde quo non possint intrare nautae ».
Mais la carte de Pizzigani est d’une lecture difficile. Ad ripas Antilliae se lit tout aussi bien que Ad ripas Atullio, et méme Ad ripas istius insulae. Ce n’est donc pas au XIVe, siècle qu’on trouve l’Antilia mentionnée avec précision.
La première indication certaine de l’Antilia est fixée à l’année 1414, époque à laquelle, d’après Behaim, un navire espagnol s’approcha pour la première fois de cette île et la fit connaître à l’Europe. Dès lors l’Antilia figure en effet sur presque toutes les cartes. Jean-Antoine Letronne dans une série d’article sur le livre de Alexandre de Humboldt Examen critique de l’histoire de la géographie du Nouveau continent et des progrès de l’astronomie nautique aux XVe et XVIe siècles, indique dans Journal des savants de l’Institut de France, confirme le terme Antillia apparaît sur les cartes marines et mappemondes après le XIVe siècle.
L’île d’Antilia est indiquée notamment sur le globe de Martin Behaim (1491-1493), sur la carte de Paolo Toscanelli (1468), celle du Génois Bartolomeo Pareto, dressée en 1455 et publiée par Andrés, la mappemonde de Fra Mauro en 1457 et la carte d’Andrea Benincasa dressée en 1476, ainsi que sur l’Atlas d’Andrea Bianco (1436) publié par Formaleoni en 1789. La carte du Vinland (1434) indique une île nommée « Antilia » située au nord d’une autre île nommée « île de Branzilæ ».
La carte marine de Pizzigano (1424) indique également une île de couleur rouge nommée « Antilia ». On la retrouve sur le Portulan Ancônitain de 1474, conservé à la bibliothèque grand-ducale de Weimar, et sur celui du Génois Beccaria ou Becclaria conservé à la bibliothèque de Parme.
Le mathématicien florentin Toscanelli, qui fut le correspondant de Colomb et le confirma dans sa résolution de chercher à l’occident la route des Indes, avait dessiné avec soin une carte du voyage à entreprendre dans cette direction, et l’Antilia y figurait comme station intermédiaire sur la route de Lisbonne aux Indes par l’ouest. Dans la lettre qui accompagnait cette carte, il parle de l’Antilia comme d’un pays connu :
« Depuis l’île Antilia que vous connaissez, jusqu’à la très noble île de Cippangu, etc. ».
Malheureusement la carte de Toscanelli est perdue, et il est à peu près impossible d’évaluer avec précision les distances fixées par l’érudit florentin.
Toutefois un globe dressé quelques années plus tard par Behaim, et qui est à ce qu’on croit ‘une reproduction de la carte de Toscanelli, positionne Antilia sous le 33e de longitude occidentale. Ortelius et Mercator la dessinent encore dans leurs atlas. En général toutes ces cartes lui donnent une forme rectangulaire, et en font un pays à peu près aussi grand que l’Espagne.
Les côtes sont décrites avec une grande apparence d’exactitude. On y retrouve les mêmes détails que dans ces terres imaginaires du pôle nord ou du pôle sud qu’on dessina avec tant de soin dans les atlas jusqu’au XVIIIe siècle. Donc à partir de XIVe siècle tous les marins ont cru à l’existence de l’Antilia.
Antilia disparaîtra des cartes quand le Nouveau-Monde sera découvert. Si aujourd’hui ce nom s’applique encore à tout un archipel, c’est l’effet d’un pur hasard géographique. Colomb, Oviedo, Acosta, Gomara et les premiers historiens espagnols de l’Amérique ne parlent jamais de l’Antilia. Les mappemondes ajoutées suivant l’usage aux éditions de Ptolémée ne la mentionnent pas davantage. Sur les cartes de Juan de la Cosa ou de Ribeira il n’y a pas trace du nom des Antilles.
Dans le recueil italien de Toutes les îles du monde par Benedetto Bordone, dans l’Isolario de Porcacchi, dans la Cosmographie d’André Thevet, dans la Description des Indes par Herrera, jamais ne figure le nom d’Antilles.
L’archipel qui porte aujourd’hui ce nom est désigné sous la dénomination de Lucayes, Caraïbes, ou bien encore de Camercanes. Sans doute Pierre Martyr d’Anghiera avait déjà proposé ce nom dans ses Décades, et Amerigo Vespucci, la seule fois qu’il cite Colomb, parle aussi d’Antilia, mais, malgré cette double autorité, le nom d’Antilles, pendant encore tout un siècle, devait être inconnu. C’est seulement à partir du XVIIe siècle que la grande célébrité des cartes de Wytfliet et d’Ortelius, qui, sans doute par souvenir d’érudition, avaient fait revivre cette appellation, fixa pour toujours sur les cartes d’Amérique.
L’Antilia n’a donc été qu’un mythe géographique, mais auquel on cessa de croire beaucoup plus vite qu’on ne l’avait fait pour l’île de Saint Brandan. Seulement, par un singulier hasard, aucune terre ne porte aujourd’hui le nom du saint Irlandais, tandis que le magnifique archipel de la mer du Mexique a conservé le nom qui ne lui fut définitivement attribué que longtemps après sa découverte. Ce mythe, quelle qu’ait été sa fortune, prouve donc, une fois de plus, combien était profondément gravée dans les esprits la croyance à l’existence d’îles ou de continents dans l’Océan Atlantique.