Les encantadas se donnaient rendez-vous aux covas d’en Riubanys, et, chaque soir, allaient laver leur linge dans la rivière de Cadi, puis l’étendaient à proximité. Voici l’histoire des serviettes merveilleuses.
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ToggleLes serviettes merveilleuses
Personne n’avait jamais pu leur dérober une seule pièce de linge et les plus audacieux paysans avaient récolté force coups de bâtons, lorsqu’un pêcheur de Prades, al Julia tort (Julien le boiteux) eut l’idée d’employer le stratagème suivant: il se rendit auprès des lessiveuses et, tout en causant avec elles, laissa choir sur une coiffe son filet imprégné de glu, ce qui lui permit de soustraire l’objet. Mais le pêcheur, bientôt rattrapé et fouillé par les fées, fut obligé de restituer la coiffe et reçut autant de gifles qu’il y a d’étoiles au firmament.
Le hasard devait pourtant fournir a un autre l’occasion d’une plus heureuse tentative.
Une jeune fille de Corneilla, qui se trouvait dans un état intéressant, se rendit chez une amie de Villefranche, vers dix heures du soir, pour être délivrée. Comme elle passait en pleurant près des grottes de Riubanys, les fées, prises de pitié, la recueillirent auprès d’elles et l’accouchèrent. Le nouveau-né fut soigneusement enveloppé dans une grande serviette tissée de fleurs de genêt (flors de gineste) et placé dans une marmite (olla).
Mais le père éploré cherchait partout sa fille disparue. Lo Qamat, — c’était son nom, qu’il devait à sa maigreur et a son teint pâle, — eut l’idée d’aller consulter les fées et s’en fut vers leur demeure; mais, comme il foulait aux pieds du linge étendu sur le sol, il sentit tomber sur ses épaules une grêle de coup de bâtons qui le firent gémir. Lo Gamat ayant pourtant fait connaître aux fées le but de son incursion, fut accompagné dans la grotte ; il y retrouva sa fille complètement remise de ses émotions et la reconduisit au village, emportant l’olla et son précieux contenu.
Lorsqu’on défit les langes soyeux du nouveau-né, l’on reconnut la serviette imprudemment et généreusement employée par les encantadas. Lo Gamat s’empara du linge, l’entoura d’une épaisse étoffe noire et l’enferma soigneusement dans une armoire, attendant le moment voulu pour prononcer devant le talisman la formule consacrée. Et, en effet, lorsque trois coups retentirent au clocher de l’église, il se plaça, à trois pas de l’armoire et prononça trois fois les trois formules suivantes :
Lo dia voldries veurer,
Lo dia no vettras.
Al dia feré lo que voldré.
(Tu voudrais voir le jour, tu ne le verras pas, car au jour je ferai ce que bon me semblera.)
Trois jours après, l’heureux possesseur de la serviette enchantée avait recouvré une santé florissante: lo Gamat était devenu lo Taixó (le blaireau), auquel on compare un homme bien portant. Ses champs, qui étaient stériles, devinrent féconds; il eut d’abondantes récoltes et vit se réaliser ses projets les plus chers.
Son bonheur fut payé par les gens du pays. Exaspérées, eu effet, par son ingratitude, furieuses d’avoir été volées après avoir rendu service, les fées se vengèrent sur les pauvres paysans qui avaient le malheur de passer près d’elles et distribuèrent dans la campagne autant de coups de battoir qu’il y avait d’épis de blé dans les champs du Gamal-Taixô.
Los covas d’en Riubanys (grottes de Riubanys) se trouvent à quelques mètres de la route départementale qui relie Villefranche à Corneilla-de-Conflent, au fond d’un énorme précipice.