Atéas roi des Scythes

Voici l’histoire d’Atéas, roi des Scythes, rude nomade qui aurait unifié toute la Scythie du Danube au Don.

La dernière phase de l’histoire politico-militaire de la Scythie d’Europe est liée au personnage d’Atéas (mort en 339 av. J.-C.), dont le long règne au IVe siècle av. J.-C. fut marqué par une ultime tentative d’expansion vers l’ouest. Quelques aspects nous en sont connus grâce à des textes de Strabon, Polyen, Trogue Pompée et Clément d’Alexandrie.

Le personnage lui-même nous est présenté par les sources grecques comme un souverain puissant, qui aurait unifié toute la Scythie du Danube au Don (Strabon, VII, 3,18), mais qui demeurait un nomade typique dans sa rudesse et sa barbarie.

On peut d’ailleurs soupçonner les écrivains grecs d’avoir accentué cet aspect dans le cadre de la confrontation entre Scythes et Macédoniens, mais aussi le roi lui-même d’avoir délibérément « joué au Scythe », comme plus tard Attila « jouera au Hun », pour inspirer la crainte sinon le respect.

Rapportée par Plutarque, une anecdote célèbre – parce que correspondant exactement à l’opinion du monde classique – le montre se faisant donner un concert privé par Isménias, un fameux flûtiste grec prisonnier, avant de grommeler qu’il préférait le hennissement de ses chevaux.

Les ambassadeurs de Philippe II de Macédoine (pourtant considéré lui aussi comme un « Barbare » par les Athéniens ! ) furent interloqués de s’entendre demander, par Atéas qui les recevait tout en brossant ses chevaux, si leur maître s’occupait aussi personnellement des siens. Et la lettre du roi scythe aux habitants de Byzance, les menaçant de venir faire boire ses chevaux dans le Bosphore, appartient à un genre littéraire qui sera abondamment pratiqué par les grands chefs de guerre nomades des époques suivantes – on songe là encore à Attila.

Atéas roi des Scythes

Le territoire des Scythes

Mélomane ou non, Atéas nourrissait des projets ambitieux en direction de l’ouest. Il existe certainement un lien avec la pression des Sarmates à l’est de la Scythie, mais il est difficile de dire dans quel sens : est-ce cette pression qui incita Atéas à chercher des compensations dans les régions danubiennes, ou au contraire son tropisme occidental – et l’échec final de ses projets – qui permirent aux Sarmates de s’infiltrer à l’ouest du Don ?

En tout cas, dès le troisième quart du IVe siècle av. J.-C., la présence des Sarmates est attestée par des vestiges archéologiques entre Don et Donets, et il existe des traces d’infiltrations précoces à l’ouest du Donets. Dans la seconde moitié de ce IVe siècle av. J.-C., le Pseudo-Scylax situe encore les Sauromates à l’est du Don, mais connaît aussi des « Syrmates » plus à l’ouest, sur la rive de la mer d’Azov.

Sans connaître tous les détails de la politique menée par Atéas, nous savons qu’il établit vers le milieu du IVe siècle av. J.-C une tête de point scythe sur la rive droite (méridionale) du Danube, dans 1’actuelle Dobroudja, qu’il fit la guerre aux Triballes et imposa le tribut à une partie des Thraces. En fait, il visait apparemment la constitution d’une puissance scytho-thrace danubienne. Ses ambitions dans la région conduisirent bientôt à une confrontation avec le puissant roi de Macédoine, Philippe II.

Philippe II a vaincu les Scythes de manière décisive en 339

Philippe, qui avait épousé une fille d’Atéas, paraît d’abord avoir caressé l’espoir de se faire reconnaître comme héritier du vieux souverain scythe ; celui-ci lui aurait fait répondre qu’il avait lui-même un fils. Il annonça ensuite qu’il comptait venir – avec, comme on l’imagine, une forte escorte – ériger une statue d’Héraklès aux bouches du Danube. Cette ruse assez grossière irrita encore davantage Atéas, qui se proposa pour mettre en place la statue et menaça, si elle était introduite en Scythie sans son consentement, de la faire fondre pour en faire des pointes de flèches (une touche supplémentaire à son autoportrait en « Barbare » ?).

En 339 av. J.-C., Scythes et Macédoniens s’affrontèrent sur le Danube, dans une bataille décisive dont nous ignorons malheureusement l’emplacement exact et le déroulement. On sait seulement que Philippe, qui avait tout misé sur sa victoire, avait placé à l’arrière de ses troupes ses meilleurs cavaliers avec l’ordre d’abattre tous ceux qui tenteraient de se replier.

Le combat fut certainement très violent : Philippe fut cloué à son cheval par une lance qui lui traversa la cuisse, et boita le reste de sa vie, mais Atéas fut tué (il avait alors 90 ans) et les Scythes vaincus. Les Macédoniens s’emparèrent d’un butin énorme — Philippe envoya 20 000 juments à ses haras -, dont une partie leur fut d’ailleurs reprise par des tribus hostiles sur le chemin du retour.

Cette bataille fit de la Macédoine la puissance dominante de la région, et leur défaite porta certainement un coup sensible au prestige des Scythes.

En 331, lourde défaite des Macédoniens devant les Scythes au siège d’Olbia

Casque scythe de parade - IVe siècle avant J.-C. - fouilles de Perederieva Moguila

Après la mort d’Atéas, des tribus gètes passèrent sur la rive gauche du Danube, et s’avancèrent peut-être jusqu’au Dniestr. Des sépultures scythes sont cependant encore attestées dans la seconde moitié et jusqu’à la fin du IVe siècle av. J.-C. entre Prout et Dniestr. En outre, la puissance militaire scythe n’était pas détruite.

Les Macédoniens en firent l’amère expérience en 331 av. J.-C., huit ans à peine après leur grande victoire sur Atéas. Zopyrion, qui gouvernait la Thrace pour le compte d’Alexandre le Grand, entra en Scythie et assiégea la ville d’Olbia, alliée des Scythes. Ceux-ci vinrent débloquer la cité.

Au cours de la bataille, Zopyrion fut tué et toute son armée anéantie. Ce fut l’une des rares défaites de tout le règne d’Alexandre le Grand, et l’on regrette d’autant plus de ne disposer d’aucun compte rendu des combats. Il serait intéressant de savoir comment pouvait se dérouler un affrontement entre la phalange macédonienne parvenue à sa perfection et les cavaliers des steppes – certainement appuyés, à cette époque, par une infanterie non négligeable (cf. chap. VIII).

Sans effacer complètement les effets de la défaite de 339 av. J.-C., cette victoire d’Olbia montre que les Macédoniens ne furent pas la cause principale du déclin scythe, qui est sans doute davantage lié à l’expansion parallèle des Sarmates à l’est des steppes ukrainiennes.