Voici l’histoire de la jalousie d’Emer, de la branche rouge de la mythologie irlandaise.
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ToggleLa jalousie d’Emer
Les hommes d’Ulster s’étaient réunis sur la plaine de Muirthemne, quelques jours avant la Samhain, afin de se mesurer au cours de jeux. Comme Lugaid et Conall Cearnach n’étaient pas encore arrivé, Cuchulain insista pour que l’on attende avant de commencer les jeux. Les guerriers s’occupaient donc en jouant aux échecs, quand des oiseaux inconnus, magnifiques, se posèrent sur l’étang tout proche. Quelques instants après, les femmes d’Ulster se disputaient déjà pour savoir qui obtiendrait les délicates créatures. Levarcham, la messagère boiteuse, alla demander à Cuchulain de capturer les oiseaux et de les répartir entre elles. Le champion se fit quelques peu prier, mais finit par s’exécuter. Il les captura sans peine, et commença à les distribuer : un pour chacune, puis un second… mais arrivé devant la dernière jeune femme, il n’avait plus de deuxième oiseau à lui remettre. Eithne, seule parmi toutes ses compagnes à n’avoir qu’un seul oiseau, fit si piètre figure que Cuchulain lui promit les deux prochains oiseaux à se poser sur l’étang.
Peu après, deux oiseaux encore plus beaux, reliés ensembles par une chaîne en or, arrivèrent. Ils chantaient une mélodie douce aux effets soporifiques sur ceux qui l’entendaient. Cuchulain, se souvenant de sa promesse, fit un effort pour se lever. Eithne l’arrêta : il ne faisait aucun doute que ses oiseaux étaient enchantés. Il en fallait plus pour arrêter le champion, qui plaça une pierre dans sa fronde et ajusta son tir. Il rata cependant les oiseaux, de même qu’au second essai : il ne s’était jamais senti aussi maladroit ! Furieux, il empoigna sa lance et la jeta. L’un des oiseaux, atteint à l’aile, entraîna le second dans le lac. Cuchulain voulu aller les chercher, mais il chuta lourdement et se cogna la tête. Quasi inconscient, il vit deux jeunes filles sortir du lac. La première, au manteau vert, lui sourit, avant de le frapper de sa baguette. La seconde, en rouge, fit de même, et à tour de rôle elle le frappèrent ainsi, sans que les autres guerriers endormis ne se rendent compte de quoi que ce soit.
Conall arriva enfin à Muirthemne, pour y trouver tout le monde endormi. Il n’eut aucune difficulté à les réveiller, mais constatant que Cuchulain avait été battu, il préféra le laisser dormir. Celui-ci ne se réveilla qu’à la tombée de la nuit. Négligeant de répondre aux questions, il ordonna à Laeg de le ramener, non pas à Dundealgan où l’attendait Emer, mais à Emain, où il n’adressa la parole à personne.
A la veille de la Samhain suivante, Cuchulain n’était toujours pas sorti de son mutisme et restait alité. Conchobar, Laegaire, Conall, Lugaid et la dévouée Eithne étaient à son chevet, lorsqu’un inconnu entra dans la chambre.
« – Qui êtes vous ? demanda Conall. Que faites vous ici ?
– Je viens pour parler à l’homme qui est dans ce lit. Debout et en forme, il est une grande protection pour tout l’Ulster, mais ainsi, malade et faible, il est une protection meilleure encore. Si Cuchulain, fils de Sualtim, accepte aujourd’hui mon amitié, tout ce qu’il a vu dans ses songes sera sien. Liban, celle qui est à la droite de Labraid à l’épée prompte, m’a dit que la venue de Cuchulain serait une grande source de joie pour sa sœur Fand. La fin de ta faiblesse serait proche, Cuchulain, si tu rencontrais les deux filles d’Aedh Abrat. Je vais envoyer Liban à Muirthemne, afin qu’elle soigne ton mal.
– Qui êtes vous ? demanda Conall.
– Mon nom est Aengus, se contenta-t-il de dire en s’en allant. »
Après discussion, les guerriers jugèrent que Cuchulain devait retourner à Muirthemne. Ce qu’il fit. Comme il s’asseyait sur la même pierre où il s’était cogné la tête un an plus tôt, il vit apparaître la jeune femme en vert.
« – Qu’est ce que tu me voulais, l’année dernière ? lui demanda-t-il sans aménité.
– Je ne voulais pas te blesser, assura-t-elle, mais te demander ton amour. Je parle pour Fand, fille d’Aedh Abrat, que son mari, Manannan, le Fils de la Mer, a quittée. Je suis Liban, femme de Libraid à l’épée prompte, et j’ai un message de lui pour toi : il te donnera ce que tu demanderas, si tu acceptes de l’aider, juste une journée, contre ses ennemis.
– Dans mon état actuel, je ne suis pas bon à aider qui que ce soit, ricana Cuchulain.
– Tu seras bientôt guéri, et en possession de tes pleines capacités.
– Où devrais-je me rendre ?
– A Magh Mell, la Joyeuse Plaine.
– D’accord. Mais je n’irais pas avant d’avoir vu ma femme, Emer ! »
Il envoya Laeg apprendre à Emer tout ce qui s’était passé. Celle-ci entra dans une grande colère en apprenant que son mari était malade depuis un an, et que ses compagnons n’avaient pas remué ciel et terre pour lui trouver un remède ! Elle se précipita à Emain, ou Cuchulain toujours faible avait été reconduit. Pendant qu’elle l’invectivait vigoureusement, il sentit ses forces lui revenir…
Cuchulain retourna alors à Muirthemne, où il retrouva Liban. Il avait également retrouvé sa méfiance, et jugeait les explications de la jeune femme douteuse. Aussi exigea-t-il que Laeg se rende d’abord auprès de Labraid, afin de lui rendre compte de la situation. Liban accepta d’emmener le conducteur de char. Elle le conduisit par magie dans un pays fabuleux, plein de fleurs colorées et d’oiseaux chantants, de jeunes filles ravissantes, de chevaux magnifiques, d’habitations rutilantes… Laeg y rencontra Fand, la Larme, la plus belle femme qu’il ait jamais vue, qui l’accueillit chaleureusement. Le roi Lagaid, par contre, faisait triste figure : une bataille se préparait, et il en craignait l’issue.
Quand Laeg retourna auprès de Cuchulain, il lui fit un tableau enthousiaste de Fand et de sa contrée, le pressant d’apporter son aide à Lagaid. Cuchulain se laissa convaincre, et Liban le ramena chez elle. Il fut accueilli par Fand et Lagaid. Celui-ci l’emmena voir l’armée qui allait les attaquer, et elle était forte et très bien armée, composée de Formori. Cuchulain demanda à rester seul un moment pour l’inspecter. Logaid le laissa donc, et Cuchulain s’approcha discrètement. Il finit par identifier le meneur de l’armée, et comme celui-ci s’écartait de ses hommes pour aller à la rivière, le champion des ulates le prit pour cible avec sa lance. Eochaid Juil mourut sur le coup, et Cuchulain s’en prit ensuite à son armée, avec une telle rage de Labraid du revenir le dégager avec ses troupes, et Laeg du expliquer en urgence ce qu’il fallait faire pour le calmer, à savoir l’immerger successivement dans plusieurs baquet d’eau froide. Cependant l’armée avait perdu son organisation en même temps que son chef, et Labraid en profita pour la mettre complètement en déroute.
De retour au palais de Labraid, Cuchulain fut chaudement félicité et fêté. La belle Fand le choisit comme amant, et il resta un mois plein auprès d’elle. Comme il devait retourner auprès des siens en Ulster, ils convinrent de se retrouver en Irlande. Emer, qui attendait patiemment le retour de son époux, eut vent de cette histoire. Elle avait toujours toléré les infidélités de son mari, parce qu’elle savait que celui-ci l’aimait sincèrement, et que ses aventures étaient toujours passagères et sans conséquences : il fallait bien qu’il le temps quand il était loin d’elle… Elle comprit toute fois que cette histoire-ci était différente, puisque les amants projetaient de se revoir. Elle en conçue une vive jalousie, et s’arrangea pour apprendre le lieu du rendez-vous. Elle rassembla une cinquantaine de servantes, les arma, se munit elle-même d’un couteau, et elles se mirent en route, avec pour objectif de faire de Fand un mauvais souvenir. Cuchulain du s’interposer entre elles.
« – Allons, tu ne t’attaquerais tout de même pas à moi… moi qui t’aime plus qu’aucun homme n’aime une femme.
– Si tu m’aimes, pourquoi me déshonores tu devant tout le peuple d’Irlande ? Ta fierté va être cause d’une grande querelle, Cuchulain, car tu ne peux m’écarter, même si tu le veux !
– Pourquoi ne pourrais-je profiter un temps de la compagnie de cette femme, aussi bien née que de bonnes manières ? Il n’y a rien qu’un mari puisse lui demander et qu’elle ne puisse faire, sans s’en faire prier. Tandis que toi, tu ne trouveras jamais un homme aussi brave, bon et avenant que moi…
– Il est certain que je ne puis t’empêcher de suivre cette femme, si c’est ce que tu désires. Hélas, ce qui est nouveau est doux, alors que ce qui est connu est amer. Nous pensons souvent à ce que nous n’avons pas, sans faire attention à ce que nous possédons déjà. Tu me tenais autrefois en haute estime, et cela pourrait être à nouveau, si seulement je te plaisais.
– Mais… Tu me plais, et tu me plairas aussi longtemps que je vivrais, je te le jure… »
Fand intervint alors.
« – Laissez moi partir, je crois que ça vaudra mieux…
– A l’évidence, c’est à moi de partir, soupira Emer.
– Non. Soyez sûre que c’est moi qu’il abandonnerait, à la fin, c’est moi qui risquais d’être rejetée depuis le début. »
En fait, Fand avait grand cœur, et elle se refusait d’être la cause de la séparation de Cuchulain avec son épouse, dont on voyait bien qu’elle l’aimait de tout son cœur. Mais elle aussi aimait le héros. Elle avait déjà été abandonnée une fois pas l’homme qu’elle aimait, et ça l’avait fait beaucoup souffrir…
« – C’est moi qui vais m’en aller, malgré la peine que cela me cause. Je préférerais rester ici, sous vos lois, que de retourner, toute-puissante, auprès de mon père. Mais cet homme est tien, Emer. C’est pitié que de donner son amour à un homme qui n’y répond pas. Il vaut mieux être abandonnée si on n’est pas aimé comme l’on aime. Mais ça ne serait pas correct, blonde Emer, de tuer Fand dans le malheur où elle se trouve. »
La nouvelle que Fand devait lutter seule contre les femmes d’Ulster, et que Cuchulain l’avait abandonnée, parvint jusqu’à son ancien mari, Manannan. Celui-ci vint à son secours, et l’entendit raconter à Emer et Cuchulain le temps où elle était heureuse avec lui. Car seule Fand l’avait vu venir, et elle s’approcha de lui après avoir fait ses adieux au couple. Elle lui jura vouloir revenir auprès de lui, et non suivre Cuchulain. Il l’emmena donc avec lui.
Cuchulain la vit partir, et cela lui causa un grand dépit. Il arrêta de boire, de manger, et quand il s’endormait, c’était pour ne faire que des cauchemars. Emer ne savait pas quoi faire pour l’apaiser. Elle alla poser le problème à Conchobar, en son palais d’Emain, et celui-ci convoqua tout les sages, druides, savants et érudits. Manannan vint lui aussi, avec son épouse. Il agita son manteau entre les deux anciens amants, afin qu’ils ne puissent jamais se revoir, et les druides préparèrent une potion d’oubli qu’ils firent boire à Cuchulain et Emer. Tout redevint alors comme avant entre les deux époux.