Le Siège de Druim Damhghaire

Voici l’histoire du Siège de Druim Damhghaire, de la légende de Mogh Ruith.

Siège de Druim Damhghaire

Siège de Druim Damhghaire

1. Deux nobles rejetons de bonne race vivaient en Irlande; c’est d’eux qu’il sera question dans la suite de ce récit : Fiacha Muilleathan mac Eoguin, disciple de Mogh Ruith, et Cormac mac Airt meic Cuinn. En un même jour périrent leurs pères à la bataille de Mucraime; c’est aussi le même jour qu’ils furent conçus, le mardi qui précéda le départ pour la bataille de Mag Mucraime; c’est le même jour qu’ils naquirent, le mardi qui suivit de sept mois ce mardi-là, si bien que tous deux étaient des enfants de sept mois.

Cormac accéda au trône d’Irlande, qu’il devait occuper longtemps; quelque temps après Fiacha accéda au trône de Munster, du vivant de Cormac.

2. Tout le monde décrivait à Cormac la demeure d’Aengus mac ind Oicc. « Il n’y a pas un mot de vrai là-dedans », dit Cormac. – « Pourquoi donc? » dirent-ils. – « Si c’était vrai », dit-il, « je ne serais pas ainsi dans la demeure où j’approfondis les principes de l’art, seul, comme j’ai coutume de l’être, sans que personne vienne me voir de sa part, et sans que lui-même vienne ». Car Cormac se tenait dans des demeures de secret, seul, décidant de cas judiciaires, car il était juge en même temps que roi; c’est lui, Cairpre Liffacair et Fithel qui fixèrent les premiers les règles de la procédure et du droit.

Ces propos furent répétés à Aengus; il fit appel à toute sa science et à tout son art, car il prévoyait que c’était pour l’interroger sur quelque sujet que Cormac le réclamait (cela lui avait été révélé par divination). Et il vint un jour dans la maison où se trouvait Cormac; son apparence et son équipage n’avaient rien que d’ordinaire lorsqu’il entra, comme si ç’avait été un des mercenaires de Cormac qui entrait. Et il se tint dans la partie de la maison la plus éloignée de Cormac. Celui-ci renvoya sa (cour?) et demanda:

3. « Es-tu celui que nous réclamions? » – « Oui », dit Aengus, « pour quelle raison m’as-tu réclamé? » – « Parce que je voulais t’interroger sur ce qui m’adviendra, si tu le sais ». – « Je le sais », dit-il. – « Éprouverai-je des revers? » dit Cormac. – « Oui », dit Aengus, « tu as le choix : préfères-tu les éprouver au début ou au milieu ou à la fin de ton règne? » – « Accorde-moi la prospérité au début et à la fin », dit Cormac, « et lorsque mon règne sera à son apogée, au milieu de ma vie, que l’épreuve s’abatte alors sur mes domaines; de quoi s’agit-il au juste? » dit Cormac. – « [***] », dit Aengus. « Il surviendra de ton vivant une telle épidémie sur le bétail qu’on cherchera en vain un seul boeuf dans les pays des Finn (?) et dans le Leinster et dans les sept tribus de Tara et dans tes propres villes ». – « Quelle en sera la cause? » dit Cormac. – « Je ne te le dirai pas », dit Aengus, « mais il est une seule chose que je te dis : soumets tes enfants à ta volonté, et ne suis aucun conseil de femme, d’esclave ou d’intendant ». Là-dessus, il prit congé de Cormac et s’en retourna à Brugh.

4. Cormac récita ce poème en décrivant le jeune homme à sa suite :

Il m’est apparu sur la frontière (?) de Tara un jeune homme beau et bien fait. Supérieure à toute beauté est sa beauté; une broderie d’or orne son vêtement.

Un tympanon d’argent est dans sa main, les cordes du tympanon sont d’or rouge. Plus mélodieux que toute musique sous le ciel est le son des cordes de ce tympanon.

Il a archet de crin qui fait résonner cent douces musiques; au-dessus de sa tête, sous deux oiseaux. Et ces oiseaux, de façon qui n’est point sotte, étaient en train de jouer du tympanon.

Il s’assit près de moi, de façon aimable, en me jouant une musique mélodieuse et douce, puis il apparut ***. ; si bien qu’une ivresse s’empara de mon esprit.

Je fais une prophétie véridique, juste, quoiqu’il ne sera pas juste de l’écouter. Que ce qu’il a dit vous plaise ou non, tout ce qu’il a prédit s’accomplira.

Elle m’a rendu impatient de toute compagnie, la brièveté de son séjour auprès de moi. Je m’afflige de ce qu’il m’ait quitté. Cher m’est le moment où il m’est apparu.

Il m’est apparu.

5. Cormac poursuivit son règne jusqu’au jour où survint la disette du bétail; quelque subtil qu’il fût, il ne s’avisa de cette disette qu’au moment où elle se produisit. Le sort avait décrété que celle-ci ferait tourner la fortune de son règne.

Cormac reçut cette année-là le tribut que lui devait chacune des cinq provinces d’Irlande, et qui était de cent quatre-vingts vaches par province. Cormac distribua ce tribut aux sept tribus principales de Tara, car il était survenu une mortalité sur leur bétail; et il avait toujours la main ouverte pour distribuer.

6. Lorsque Cormac eut fini de distribuer les boeufs, son intendant vint le trouver; on l’appelait Maine Mibriarach mac Miduaith. – « Cormac, as-tu distribué tous les boeufs ? » dit-il. – « Oui », dit Cormac. –  » Je ne sais que faire », dit l’intendant, « je ne saurais te fournir de quoi entretenir (?) la maison de Tara, fût-ce une seule nuit, si du moins, c’est sur les boeufs qu’on compte pour cela (?). Et la cause en est que tous tes troupeaux ont succombé ». Cette nouvelle stupéfia Cormac, et il dit : – « A quoi pensais-tu, intendant ? que ne m’as-tu avisé de cela avant que mes mains fussent vides, lorsque j’ai encaissé mes tributs ? car maintenant je n’ai rien à te donner, et il ne me plaît pas de faire tort à personne; du moment que les tributs de l’année m’ont été versés, je n’ai aucune rentrée (à attendre) avant la fin de l’année ».

Ensuite Cormac se rendit dans sa demeure d’étude, et il se tint là, méditant sur les mystères de la science sans personne pour le servir, sauf quand on lui portait sa nourriture; il y resta trois jours et trois nuits.

7. L’intendant chercha comment procurer de l’argent au roi, sans commettre d’illégalité. Et ses recherches portèrent leur fruit. – « Cormac », dit-il, « est-ce ce que je t’ai dit qui te tient plongé dans le silence ? ». – « Oui », dit Cormac. – « Je t’ai trouvé une source de revenu, » dit-il, « et il me semble que tu reconnaîtras toi-même la légalité de ce revenu ». – « Qu’est-ce ? » dit Cormac. – « As-tu fait des recherches sur les divisions de l’Irlande ? » dit Maine. – « Non », dit Cormac. – « J’en ai fait », dit Maine, « et j’ai constaté que, des cinq provinces d’Irlande, deux sont comprises dans le Munster, et depuis que tu as accédé au trône tu n’as perçu du Munster que le tribut d’une seule province. Par ailleurs c’est un homme du Munster qui tua ton père à la bataille de Mag Mucraine : Mac Con, mac Maicniad meic Luigdeach, et c’est bien le moins que Fiacha te paye des dommages et intérêts, car il est frère de cet homme et a succédé au trône de Munster ». – « Mille mercis », dit Cormac, « tu as raison ». Il en conclut une joie et une fierté aussi grandes que si, proscrit d’Irlande, il y eût été rappelé de nouveau; si grande était la joie qu’il éprouva.

8. Il réunit ensuite et convoqua les seigneurs et vassaux de l’Irlande du Nord, et il leur dit tout, et tous remercièrent l’intendant. Après que Cormac eût conféré avec ses troupes, il dit qu’il n’entendait prendre aucun repos qu’il n’eût planté sa tente en Munster. – « N’en fait rien », dirent-ils, ‘mais que des messagers aillent réclamer de ta part ces dommages et intérêts, soit cinquante vaches aux cornes argentées, et le tribut d’une province, et ceci est légal et non illégal, et ils ne sauraient en éluder le payement ».

Cormac envoya ses messagers dans le sud pour réclamer cela, chez Fiacha. Ces chevaliers étaient Tairec Turusach et Berraidhi Inasdair. Et Cormac dit : « Si on vous fait des objections, dites-leur que, quoiqu’aucun roi n’ait réclamé encore ce tribut, je ne rabattrai rien du tribut auquel j’ai droit depuis que je suis monté sur le trône et qui ne m’a pas été versé jusqu’à présent ».

9. Ils s’en allèrent alors vers le Sud jusqu’à la demeure de Fiacha, sur la colline où se trouvait la résidence royale, et que l’on appelle aujourd’hui Cnoc Raphann. On y souhaita la bienvenue aux chevaliers du roi d’Irlande. Ils exposèrent l’objet de leur mission : « Cormac », dirent-ils, « nous a envoyés vers vous, pour vous réclamer son dû ». – « Qu’est-ce donc?  » dirent les gens de Munster. « Deux fois cent quatre-vingts vaches, car chaque province paye une fois ce nombre et vous n’en avez fourni que la moitié depuis le début de son règne. Et c’est sous la pression de la nécessité qu’il vous réclame cela, car une mortalité du bétail s’est déclarée dans les sept tribus et les principaux forts de Tara. Et de plus c’est vous qui avez tué son père et vous lui devez légalement une compensation ».

Fiacha dit cela aux hommes de Munster. Ceux-ci dirent qu’ils ne fourniraient pas ce tribut. – « Cependant », dirent-ils, « du moment que c’est la nécessité qui a provoqué cette ambassade, nous lui enverrons un boeuf de chaque ferme de Munster, pour lui venir en aide; mais du moment que nos pères ne nous ont pas légué cette obligation, ce n’est pas à nous à lui verser un autre tribut que celui qu’ils versèrent et à l’imposer à nos fils ». Et il dirent à Fiacha : « Envoie des messagers pour parler à Cormac, car sans doute n’est-ce pas lui qui exige de nous une si lourde redevance ».

10. Les messagers de Fiacha, Cuilleand Cosluath et Leithrinde Leabar, partirent pour cette mission. Ils arrivèrent dans le Nord auprès de Cormac et lui dirent : « Est-ce de toi que vient le message que nous récitèrent tes messagers? « . – « Oui », dit Cormac. – « Dans ce cas », dirent-ils, « on te donnera un boeuf de chaque domaine de Munster, pour t’obliger, mais que cela ne crée pas un précédent ». – « Je préfère », dit-il, « sauvegarder mon droit à perpétuité, que recevoir cette taille considérable une fois versée ». Et il renvoya dans le Sud ses messagers, qui réclamèrent le tribut.

Fiacha réunit les hommes de Munster et leur dit : « Prenez une décision à ce sujet ». Puis il se retira.

11. Ils prirent alors une décision honorable. Quand bien même chacun des vassaux (?) n’aurait plus d’autre ressource que le lait d’une seule vache, et serait réduit à la tuer et à se trouver ensuite sans nourriture et exposé successivement à touts sortes de privations, quand bien même il lui suffirait pour faire la paix de verser ce tribut, ils ne se soumettraient pas. Ils vinrent ensuite trouver Fiacha. – « Qu’avez-vous décidé?  » dit-il. – « Voici », dirent-ils. – « Je vous rends grâces », dit-il, « car, si vous aviez pris le parti de la soumission, je vous aurais quittés, pour aller en un lieu où je n’aurais jamais entendu parler de tout cela ». – « Ce n’est pas que nous ayons le moyen de l’empêcher, » dirent-ils, « mais il peut bien défier la province; la violence ne constitue pas un titre de propriété et l’illégalité ne saurait donner lieu à prescription ».

Les messagers allèrent ensuite trouver Cormac. Quant aux hommes de Munster, il envoyèrent leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux et leur bétail dans les îles, les îlots et les divers refuges qu’offrait la province; les gens d’un rang à avoir une suite (?), et ceux qui étaient en état de porter les armes se rendirent auprès de Fiacha, à Cenn Claire.

12. Lorsque les envoyés de Munster arrivèrent auprès de Cormac, ils lui dirent : « Ne compte pas sur les gens de là-bas pour payer ton tribut; fais ce que bon te semblera ». Cormac accueillit cette nouvelle avec fureur et en fut tout épouvanté, car il considérait que c’était le signe précurseur d’une grande lutte que d’oser lui tenir tête quant à son droit, alors qu’il ne réclamait rien que de légal, du fait qu’il était le grand roi d’Irlande.

Les principaux druides de Cormac lui furent amenés : c’étaient Cithach, Cithmor, Cecht, Crota, et Cithruadh; ils avaient exercés les fonctions de divinateurs sous Conn, Art et Cormac, sans qu’on les eût jamais pris en faute. – « Faites-moi au plus tôt une prophétie », dit Cormac : « quelle sera l’issue de l’expédition où je m’engage?  » – « Nous le devinerons pour toi », dirent-ils, « pourvu que tu nous donnes le temps nécessaire pour faire notre prophétie ». – « Soit », dit-il.

Ils firent appel à leur art et à leur science la plus haute, et il leur fut révélé que cette expédition en Munster serait l’origine des infortunes de Cormac. Ils vinrent le trouver. – « Que vous a-t-il été révélé?  » dit Cormac. – « Voilà ce qui nous a été révélé, si singulier qu’en soit l’énoncé. Nous désapprouvons ton expédition en Munster. Si tu y vas, sache que la tyrannie que tu cherches à exercer contre eux, eux chercheront à l’exercer contre toi ».

13. « Dis, Cithruadh », dit Cormac, « qu’est-ce qui t’a été révélé ? ». – « Le voici: il n’est pas en mon pouvoir de t’empêcher de partir, car tu trouveras une épouse qui t’y encouragera. Mais, cependant, c’est là l’origine de tes malheurs ». Et il dit la rhétorique suivante : « O Cormac le querelleur.*** attache-toi au juste et au bien, ô Cormac ».

14. « Qu’est ce qui t’a été révélé, à toi, Crota », dit Cormac. – « Je vais te le dire », dit Crota. Et il dit la rhétorique suivante : « Rends la justice, ô Cormac; reçois la justice, ô Cormac. Il n’est pas juste de faire tort à des hommes libres, etc. ».

15. « Qu’est-ce qui t’a été révélé, ô Cecht », dit Cormac. – « Tu vas l’entendre », dit Cecht, et il dit la rhétorique suivante. « Pays de Mogh, c’est pour ton malheur qu’il y viendra », etc.

16. « Qu’est-ce qui t’a été révélé, Cithach ? » dit Cormac. – « Je vais te l’apprendre », dit Cithach. « J’ai une nouvelle à t’apprendre, ô fils d’Art », etc.

17. « Qu’est-ce qui t’a été révélé, ô Cithmor ? » dit Cormac. « Tu vas l’entendre », dit Cithmor. « Apprends de moi, descendant de Conn », etc.

18. Il se prit de haine pour les druides, qui contrariaient ses desseins, et il leur dit : « Ce n’est pas vous qui m’encouragerez à partir pour cette expédition. Mais sachez que si je vous trouve en faute je ne vous épargnerai pas ». – « Tu ne nous as jamais trouvés et ne nous trouveras jamais en faute », dirent-ils. Et voilà comment il arriva que Cormac était en quête par toute l’Irlande d’un moyen de les prendre en faute, mais en vain.

19. Un jour il s’en alla à la chasse au lièvre, au Nord-Est de Sidh Cleitig. C’est en ce lieu que ses chiens firent partir la bête, et que toute sa suite se lança à la suite des chiens, si bien qu’il se trouva seul. Un épais brouillard l’environna et il s’endormit sur la colline. Si opaque était le brouillard qu’on aurait cru qu’il faisait nuit. Même si on lui avait joué de la musique et de la cornemuse, il n’aurait pu mieux dormir qu’il ne dormit là, au son des abois des chiens, parmi les collines qui l’environnaient.

C’est alors qu’il entendit une voix au-dessus de lui, et voici ce que lui disait cette voix :

« Lève-toi, Cormac, beau dormeur de Cleiteach, que ne rends-tu ton nom durable et illustre dans toute l’Irlande par tes victoires sur tes ennemis ? », etc.

20. Cormac, alors, se leva, et sa langueur le quitta quand il vit à sa droite une jeune fille. C’était une merveille aux blanches mains, la plus belle femme qui fût au monde : une tunique splendide l’entourait; elle portait contre la peau une chemise brodée. Elle salua Cormac. « Qui es-tu, toi qui me salues?  » dit Cormac. « Je suis Bairrfhinn Blaith (la belle aux cheveux d’or) de Bairche, la fille du roi du Sidh Buirche, en Leinster. Je me suis éprise de toi, et voici la première occasion que j’ai de te parler ». – « Je dormais », dit-il, « au son des abois des chiens, quand tu m’as éveillé ». « Par ma foi », dit la jeune fille, « il ne convient pas à des hommes de ta sorte de chasser le lièvre. Ce serait bien le moins que tu chassasses le sanglier ou le cerf, comme faisaient les grands rois qui t’ont précédé. Car ces exercices conviennent à la jeunesse; ce que tu fais ne sert qu’à ruiner la force et la beauté par une lente décadence ».

21. C’est alors que la jeune fille dit : « Viens avec moi, Cormac, dans la résidence féerique par delà Cleitech, là où demeure mon père nourricier Ulcan mac Blair, et ma mère nourricière Maol Miscadach; afin que je te prenne avec leur aveu comme mon époux et le compagnon de ma couche. » – « Je n’irai pas », dit-il, « sans qu’on m’en accorde le salaire ». « Cormac », dit-elle, « je sais ce que tu cherches et ce qui te préoccupe : tu cherches une troupe pour t’accompagner. Eh bien, je te donnerai une compagnie de druides, meilleure que celle qu’eut aucun de tes prédécesseurs, à laquelle aucun étranger ne pourra résister : les trois filles de Maol Miscadach : Errgi, Eang et Engain. Elles prennent la forme de trois brebis brunes, aux têtes d’os, aux becs de fer, égales dans le combat à cent hommes; nul ne leur échappe vivant, car elles sont aussi rapides que l’hirondelle, aussi agiles que la belette et que le glaive, et toutes les nations du monde pourraient s’attaquer à elles sans leur trancher brin ou poil.

Nous avons aussi deux druides mâles, qui viendront en outre à ton aide : ce sont Colptha et Lurga, les deux fils de Cichal Coinblichtach. Ils tueront en combat singulier tous les guerriers de la province où ils iront, à moins que ceux-ci ne s’enfuient devant eux, car ils sont tels qu’on ne peut les entamer ni d’estoc ni de taille. Aussi longtemps qu’ils seront auprès de toi, ne suis aucun conseil que le leur ».

22. Tout cela plut fort à Cormac; il secoua sa tristesse et s’en alla avec la reine dans le domaine féerique, ce soir même: il dormit à côté d’elle dans sa couche, et resta près d’elle trois jours et trois nuits; on lui donna la troupe promise, et il s’en retourna à Tara. Ses propres druides ne furent plus écoutés; leurs conseils ne furent plus suivis, mais bien ceux de cette gent étrangère qui était en faveur.

Cormac envoya prévenir sa cour; tous se réunirent autour de lui. Il annonça le secours qu’il avait obtenu, et tous se réjouirent de cette nouvelle.

23. Là-dessus, Cormac se mit en marche et parvint le premier soir à Comar na Cuan, qu’on appelle aujourd’hui Comar Cluana hIraird; l’armée construisit là des baraques et des abris, et c’est ainsi que fut établi le camp.

Cithruadh sortit du camp et marcha vers le Sud-est jusqu’à la rivière. Là il vit un guerrier à la taille imposante, au chef gris, sur l’autre bord du fleuve. C’était Fis mac Aithfis meic Firoluis, habitant de Leinster et grand druide de cette province; ils causèrent ensemble. Fis demanda à Cithruadh où se trouvait Cormac et son armée, Cithruath répondit, et ils composèrent ensemble ce poème :

24. Cithruadh. Cette nuit à Comar na Cuan est campée l’armée, à l’instigation des enfants de Mael Miscdach.

Fis. Dis-moi, beau Cithruadh, pourquoi Cormac a-t-il quitté Tara? Jusqu’à ce soir ce n’était pas l’usage du grand roi célébré des poètes (?) d’être en campagne.

Cithruadh. C’est pour demander le prix d’Art mac Cuinn au petit-fils de Oilill Olom, et le tribut d’une province – sans fraude – que Conn Cétchathach n’avait pas coutume de demander.

Fis. Ils feront que Cormac sera sans tribut, les fils de Cichal. Ils seront acclamés. Ils feront un affreux carnage de jeunes gens, avec leurs regards (?) ensorcelés.

Cithruadh. De cette discussion sortira le savoir (?). O mac Aithfis mac eoluis, les vagues en seront rouges pendant un mois, au-dessus des guerriers…

Fis. C’est pour son malheur qu’on va dans le Munster nourricier de chevaux, ô fils véridique de Crudh Caecat…

Cithruadh. Il ne m’arrivera rien de fatal, avant un mois et un trimestre et une année à dater de ce soir, lorsque viendra le sage des sages, Mogh Ruith, à la tête des gens de Claire.

Fis. Malheur à qui combattra Donn Dairine à la noble apparence, ou Failbe le combattant lorsqu’il s’avance sur le champ de bataille.

Cithruadh. Il ne vaudra pas mieux de rencontrer (?) Mogh Corb, ou Fiacha au jour de la poursuite. Ces deux-là accompliront des exploits téméraires : c’est à eux que reviendra le tribut de Cuan Comair

25. Comme les druides terminaient leur conversation (et triste était le sort qu’ils prédisaient à l’armée) les valets, les molosses (?) et les palefreniers les entendirent; ils rapportèrent leurs paroles à Cormac, et Cormac dit : « Allez; tuez l’un des druides, et frappez l’autre, jusqu’à ce qu’il ne lui reste plus qu’un souffle de vie. » Les druides eurent révélation de cela; ils se séparèrent. Cithruadh rentra au camp, sous une apparence déguisée, afin de ne pas être reconnu.

L’autre druide s’en retourna vers le Sud, et il tourna son visage par trois fois vers l’armée, et leur envoya un souffle magique, grâce à sa puissance magique; si bien que toute l’armée revêtit la même apparence et la même forme que lui-même. Car tous avaient une mine imposante et un chef gris comme lui. Et, dès qu’ils traversaient le fleuve à la suite du druide, ils se mettaient à se massacrer les uns les autres. Ils s’arrachaient leurs chevelures, se maltraitaient, rendant coup pour coup; et chacun frappait de lourds coups, combattant en manant, sur le front et la face des autres: car chaque combattant prenait tout homme qu’il voyait pour le druide.

26. Lorsque l’armée se rendit compte de ce qui se passait, ils ne comprirent pas que c’étaient eux-mêmes qui se massacraient mutuellement, et ils dirent : « une armée étrangère combat contre nous, à moins que nous ne soyons les jouets de sortilèges efficaces ».

Le druide s’en alla ensuite, en laissant l’armée en cet état : il fut révélé à Cormac que son armée avait été le jouet d’un sortilège. Il ordonna qu’on lui ramenât ses gens au camp, et fit de sanglants reproches aux druides en qui il avait placé sa confiance, c’est-à-dire à Colphta et à ses compagnons. Ceux-ci dirent qu’ils n’étaient pas responsables, car ce n’étaient pas eux qui avaient conseillé de faire sortir les troupes. Ils se levèrent ensuite, imposèrent un souffle magique sur les troupes et, par la force de leurs sortilèges, ils les ramenèrent à leur forme première.

27. Les hommes étaient alors tristes et découragés, couverts de blessures, et réclamant les soins qu’on doit aux malades, sans qu’il y eût cependant aucun cas mortel parmi eux.

Le lendemain ils poursuivirent leur route vers l’Ouest, par Becmogh, et par Coill Medoin, à travers le Sud-ouest de la province de Meath, et parvinrent enfin à Ath in tSloig, qu’on appelle aujourd’hui Ath na nIrlann. Ils firent là des abris et des baraques et plantèrent leurs tentes.

Leurs magiciens se mirent à examiner les nuages du ciel au-dessus de l’armée. Crota traversa le gué et atteignit la rive opposée (la rive ouest); il vit alors venir vers lui le druide de la province voisine : celui que l’on nommait Fer Fatha. Il demanda à Crota quelle était la cause de ce tumulte et de ce fracas au nord du gué, et il commença ce poème, dont Crota fit les réponses.

28. Fer Fatha. Quel est ce tumulte au Nord du gué; apprends-le moi, Crota, si tu as le temps. Dis-nous – sans mauvaise humeur – par qui est établi ce camp.

Crota. Comme ils sont accoutumés à suivre Cormac (?) … ceux qui sont là, ô Fer Fatha. C’est lui qui a établi ce soir un camp avec ses armées.

Fer Fatha. Pourquoi les armées sont-elles venues ? Dis-le moi, Crota, si ma demande est juste. Vers quel pays se rendent-ils – sans leur en faire reproche – et quelles réclamations font-ils valoir ?

Crota; Ce sont les enfants de Cichal qui les ont amenés du Nord, avec le fils trompeur de Midhuath, pour réclamer le prix d’Art mac Cuind au petit-fils d’Oilill Ollum.

Fer Fatha. C’est pour son malheur qu’il vient à la tête d’une armée nombreuse, pour réclamer une indemnité à laquelle il n’a pas droit – tant que Fiacha ne lui a pas réclamé le prix de son père Eogan.

Crota. Si les armées de Magh Ratha entendaient ce que tu dis là, Fer Fatha, les armées du Munster montagneux n’empêcheraient pas que tu ne reçoives un coup sur la tempe.

Fer Fatha. Quel que puisse être leur nombre, ils n’en seront pas moins écrasés. Une action violente aura lieu. C’est pour son malheur qu’il est venu vers eux…

29. Comme les druides terminaient cette conversation, les gens du train des équipages, les valets et la racaille de l’armée entendirent ce qu’ils se disaient l’un à l’autre. Ils traversèrent le fleuve à la suite du druide inconnu, résolus à le mettre à mort. Lorsque le druide s’en avisa, il se tourna vers le fleuve et frappa trois fois le fleuve de la baguette druidique qu’il tenait à la main, si bien que le fleuve se souleva, et se gonfla contre l’armée. Voici dans quelle situation se trouvait celle-ci : une troupe importante venait justement de traverser le fleuve, vers l’Ouest, à la poursuite du druide, une autre était dans le fleuve et le soulèvement du fleuve arrêta sa marche. L’on se porta de part et d’autre à son secours, et le druide en profita pour s’échapper.

Les troupes demeurèrent à l’entour du fleuve, plongées dans la tristesse et le découragement jusqu’au lendemain à la même heure. Les druides recoururent alors à leur science druidique pour remettre le fleuve à la place où il était auparavant.

30. Ensuite Cormac traversa le fleuve avec ses troupes, et ils poursuivirent leur route à travers Dubh Chaill, que l’on appelle aujourd’hui Fidh Dammaiche, jusqu’à Magh Leathaird, aujourd’hui Magh Tuaiscirt, à Crund Magh, aujourd’hui Magh Gabra, à Mag nUachtair, aujourd’hui Magh Raidhne ; là où la route s’élargit ils pénétrèrent dans les Bocaighe Bainfhliucha, que l’on appelle aujourd’hui Sliabh Eblinne, et de là atteignirent Formael na bhFhian comme le soir tombait.

C’est là que Cecht se mit à examiner l’atmosphère et le ciel, au-dessus des armées, et il marcha vers l’Ouest, jusqu’à Dubh Gleand, aujourd’hui Gleand Salach. Il vit venir vers lui un guerrier, de taille imposante, à la tête grise. On l’appelait Art, le druide. Ils se mirent à causer ensemble, et se demandèrent mutuellement les nouvelles, si bien qu’il s’ensuivit une discussion entre eux, et qu’ils firent ce poème.

31. Art. Pourquoi êtes-vous venus, ô Cecht, du nord, de la terre de Magh Slecht. Pourquoi ce tumulte est-il venu jusqu’ici jusqu’au pays de Formael ?

Cecht. C’est une grande épidémie sur les boeufs de Tara. Hélas, c’est une grande folie qu’elle a suscitée. C’est pour chercher un boeuf de remplacement de chacun de ceux qui ont péri, que nous sommes venus de Tara.

Art. Quoique ce ne soit pas nous qui ayons pris vos boeufs, ô race de Conn, à la gloire splendide, nous vous avons offert un boeuf de chaque ferme du domaine de Fiacha Fidhlis.

Cecht. Nous aimons mieux notre tribut à perpétuité, et le prix dû pour notre guerrier, que cette riche contribution, si importante soit elle, si elle ne nous est versée qu’une seule fois.

Art. Jamais (les gens du Nord) ne recevront un seul boeuf des gens de Munster, en sus de ce que donne un chacun, comme compensation ou comme tribut, sans doute. Nous le jurons par votre main, quand bien même ce serait un blasphème.

Cecht. Si Cairpre de la plaine entendait ta prédiction, à Artan, ou si Cormac le vaillant champion (t’entendait), tu perdrais ta belle tête.

Art. Je n’estime pas plus Cairpre et Cormac que les deux cochers qui les servent, tant que vivront Mogh Corb et Fiacha Muillethan.

Cecht. Si Artchorb et ses enfants t’entendaient, le fracas (des armes) brisées ne tarderait pas à retentir dans la vallée. Tu n’en sortirais pas vivant, et leur inimitié contre toi serait implacable.

Art. Je ne fais pas plus de cas d’Artchorb, ô guerrier, que des femmes qui habitent dans sa maison dans le Nord, aussi longtemps que j’aurai dans cette terre Dond Dairine pour me protéger.

Cecht. Si Ceallach mac Cormaic t’entendait, ainsi qu’Artur le vaillant à la grande vigueur, c’est pour toi que la situation serait peu sûre ; ta sorcellerie ne te sauverait pas.

Art. Je ne fais pas plus de cas d’Artur à la taille élevée que de son valet, propre, élégant et hardi. Aussi longtemps que sera vivant ***.

Cecht. Si la meute des guerriers entendait la comparaison que tu fais d’eux aux gens de Munster, tu recevrais un coup entre les dents, et tu porterais une blessure cruelle.

Art. Si le Munster uni entendait qu’une telle armée se trouve sur son territoire, ils en resteraient les lèvres blanchies (de frayeur), sans troupeaux, sans bétail.

Cecht. Tais-toi, et finissons cet entretien. C’est le métier d’un fou que de discuter ; l’armée que tu loues ne saurait tenir tête aux trois provinces d’Irlande.

Art. Dans ta réponse véridique, il n’y aura pas de mensonge. Va dire à tes armées, ô Cecht, que chacun d’eux dira dans la suite : « funeste est l’expédition pour laquelle nous sommes partis ».

32. Lorsque l’armée et la foule qui la suivait entendirent cela, ils furent saisis de fureur. Ils s’élancèrent hors du camp avec impétuosité et violence, et se mirent à la poursuite du druide à travers la vallée, vers l’ouest, se disant entre eux : « Tuons et massacrons ce druide. » Le druide tourna son visage vers eux et, invoquant ses dieux, souffla un souffle magique dans l’air et dans le ciel. Il s’en forma, au-dessus de l’armée, une nuée noire qui retomba sur elle, et les plongea tous dans un état d’égarement et de folie. Le druide en profita pour s’évader.

Voici le parti qu’ils prirent ensuite. Dans le chagrin qu’ils éprouvaient à voir tous les druides leur échapper, ils envoyèrent sur les traces du druide des gens chargés de le suivre et de le chercher ; eux-mêmes suivaient par bandes et groupes séparés. Ils restèrent sept jours et sept nuits dans ce camp-là, tandis que de grandes bandes d’entre eux continuaient la recherche. Il leur était impossible de rentrer chez eux, tant était puissant le sortilège que le druide leur avait jeté; même les indices qu’ils découvraient servaient à les égarer, car le druide leur faisait apparaître chaque matin sa trace, à travers les ravins, les passes et les gués, afin de les affliger et de les entraîner loin des leurs.

33. Cormac fut frappé de terreur, car il pensait que quelque obstacle retenait son armée, et qu’elle ne lui reviendrait plus jamais. Et il se prit à accuser les druides qui étaient à son service, disant : « A quoi servez-vous, si l’on met à mort mes gens sans que j’en sois informé ni prévenu sans que vous veniez à leur secours?  » « Ils ne sont pas morts du tout », dirent-ils, « mais le druide les a ensorcelés depuis une semaine, et nous les ramènerons chez eux ».

Ils se recueillirent alors et rassemblèrent leur science et tout leur art et envoyèrent un charme vers les armées, qui revinrent vers eux au bout de la semaine.

34. Lorsque les gens de Cormac l’eurent rejoint, il poursuivit sa route et son expédition, et parvint à Ath Cuili Fedha, aujourd’hui Ath Croi, où l’on établit le camp.

Il arriva que Cithach sortit du camp pour examiner l’air et le ciel; il rencontra un homme du même âge que lui, Dubhfis mac Dofhis. Ils se demandèrent l’un à l’autre les nouvelles. Dubhfis prit la parole, Cithach répondit, et ils firent ensemble ce poème.

35. Dubhfis. O Cithach, comment es-tu venu dans la terre de ton ennemi? Dans la terre de ton ennemi, comment es-tu venu, où vas-tu?

Cithach. C’est de Tara que je suis venu, à Cuil Feaga Formaeile. Je vais en Munster (rien ne me l’interdit), ô Dubhfis, ô fils de Dofhis.

Dubhfis. Pourquoi vas-tu en Munster, dis-le, sans attendre, si cela est convenable. Explique-moi ton affaire, quelle route suis-tu? Quelle armée surveilles-tu?

Cithach. C’est pour repousser les druides de cette terre, que je viens ainsi que mes compagnons. Cormac châtie (ce dont on se souviendra longtemps), les puissants rois de Munster.

Dubhfis. Les desseins qui t’ont amené ici, jamais tu n’en réaliseras aucun. Un nuage de carnage (?) s’étendra au-dessus de vos têtes dans la plaine. Faible est la crainte que vous inspirerez, ô Cithach! – O Cithach.

36. Après qu’ils eurent récité ce poème, il fut répété à Cormac que les druides proféraient des prédictions sinistres le concernant : « Je ne saurais en tirer vengeance », dit Cormac, « car tous ceux qui ont essayé de les tuer ont échoué, et c’est eux-mêmes qui ont pâti ». Si bien que Cormac donna ordre qu’on ne fît aucune allusion à rien lorsqu’ils reviendraient.

Le lendemain on reprit la marche, là où le chemin va en s’élargissant vers Mairtine de Munster, jusqu’à Druin Medhoin Mairtine que l’on appelait aussi Arccluain na Fene et Mucfhalach Muc Daire Cerbe. Cerbe était le roi de Medhon Mucraine, que l’on appelle Imliuch Ibair, aujourd’hui ; ils établirent le camp en ce lieu.

Cithmor sortit du camp, marchant vers le Sud-ouest, pour regarder les nuages et l’air afin de savoir quel serait l’ordre de marche de l’armée. C’est alors qu’il rencontra un guerrier, aux cheveux blonds et bouclés, et d’apparence avenante; c’était le druide de Medhon Mairtine, qu’on appelait Medhran, le druide; ils se mirent à causer ensemble, et Medhran fit ce poème dont Cithmor fournissait les réponses.

37. Medhran. O Cithmor, réponds véridiquement. Quel jour as-tu quitté Tara? Quelle marche as-tu suivie depuis lors? – Insensé quiconque ne le demanderait pas!

Cithmor. Nous allâmes Lundi à Comar, lieu farouche. Mardi à Ath int Slóig (au gué de l’armée). Mercredi, belle et splendide route, au sommet de Formael escarpé.

Medhran. Quel fut votre étape de Jeudi? Dis-le nous, aimable Cithmor. Pourquoi avez-vous choisi (?) cette direction? Comment vous êtes-vous égarés durant une semaine?

Medhran. Te souviens-tu de ce que vous fîtes Vendredi, Cithmor, homme de Connaught. De quel côté ira-t-on vous provoquer dans la matinée de Samedi?

Cithmor. De Cuil Fegha nous sommes allés à Druim Medhoin Mairtine; voilà notre marche de Vendredi, sans mensonge. Nous irons Samedi jusqu’à Cnoc na Cenn.

Medhran. Quel chemin suivrez-vous ensuite? Dis-le nous; si tu ne l’ignores pas. Si tu le sais, apprends-le nous, ô Cithmor, sans nous tromper.

Cithmor. Nous resterons là, tristes et lassés, un mois, un trimestre et une année. Nous combattrons farouchement contre les gens du Sud; nous les traiterons avec férocité. O Medhran.

Medhran. Tout le tort que tu feras à notre prospérité sera récupéré sur toi en un seul jour. Peu nombreux [seront] ses conducteurs (leurs conducteurs ?) lorsqu’ils repasseront le fleuve avec lui (Cormac). Et ton droit aura peu de force, ô Cithmor. O Cithmor.

38. Ils se séparèrent après avoir composé ce poème : Cithmor rentra au camp et l’armée resté là jusqu’au lendemain matin de bonne heure. Au lever du jour, Cormac se mit en marche avec ses troupes et ils allèrent jusqu’à Cnoc na Cenn, où ils établirent le camp. C’est alors que Cormac dit à Cithruadh de planter les piquets de sa tente. Cependant Cithruadh ne se leva pas car il prévoyait que la tente serait impossible à planter. Les soldats de la province se rendirent alors, deux par deux ou trois par trois, sur les collines, et les coteaux environnants, pour les voir. Et ils se disaient l’un à l’autre : « Il y a de beaux guerriers et des guerriers capables d’affronter des centaines d’hommes à Cnoc na Cenn, et la clameur de nombreux guerriers y retentit avec la rumeur puissante des armées. Cette colline s’appellera dorénavant Druim Damhgaire ».

C’est alors que Cormac dit : « Allons, Cithruadh, plante ma tente comme tu avais coutume de planter la tente de mon père et de mon grand-père, car je ne bougerai pas de là qu’on ne m’ait accordé ou refusé mon tribut. »

39. Cithruadh se mit alors en devoir de planter la tente et d’entrer les piquets dans la terre, et il ne put enfoncer ni dans l’herbe ni dans la terre les piquets de la tente. Quand il fut las, il dit : « Tu vois, quand bien même je ne t’aurais pas averti, ce poteau te prouve ce que nous t’avons dit avant que tu quittes Tara » ; et il dit la rhétorique : « Vois ce poteau, Cormac », etc.

40. « Écoute donc ce que dit le vieux druide ; puisqu’il n’a pas pu planter la tente, plante-la toi-même ».

Colphta prit en main le piquet de la tente, et se mit à réprimander et à insulter Cithruadh, et il se mit à l’oeuvre à grand effort et son corps en était si excessivement distendu que des hommes adultes auraient pu passer entre ses côtes. Il appuya le poteau contre terre mais ne parvint pas à le faire pénétrer ; il déploya de force pour le ficher en terre qu’il la brisa lorsque ses efforts pour le ficher eurent échoué. « Que faut-il faire maintenant?  » dit Cormac, « Il faut », dit Cithruadh, et tous avec lui, « il faut nous fournir un grand nombre d’hommes. » On les leur fournit, ils firent de grands chantiers comme pour les navires, et assujettirent la tête des poteaux dans ces étais. C’est de cette façon qu’ils établirent tout le camp. C’est de là que le lieu est nommé Long Cliath, à cause de la façon dont on établit le camp.

41. « Sans aucun doute », dit Colphta à Cithruadh, « tu devais répugner à cette expédition. En effet, que tel ou tel revienne ou ne revienne ne pas vivant de cette province, toi en tout cas n’en reviendras pas ». « Sans aucun doute », dit Cithruadh, « je sais en effet quelles seront les conséquences de cette expédition et pour moi et pour Cormac : j’aurais empêché Cormac de partir, si vous ne l’y aviez encouragé et si votre avis n’avait pas prévalu. Au reste vous ne vous trouverez pas mieux que nous-mêmes d’être venus dans cette province, car aucun de vous n’en sortira vivant. Au reste, cette tente que ni toi ni moi n’avons été capable de planter, elle n’aurait pas été sortie de la maison de Tara, n’eût été de vous, mais Cormac aurait suivi les recommandations de son père et de son grand-père et n’aurait réclamé de tributs qu’à bon droit et en toute loyauté. Quoique la prophétie que je lui fis à ce sujet fût véridique, Cormac ne s’en est pas plus soucié que de celui qui la faisait ».

42. Le lieu où était campé Cormac lui paraissait être trop bas, et celui où étaient campés Fiacha et les troupes de Munster lui semblait élevé. Ses druides lui avaient promis que, quelle que fût la situation du lieu où ils se trouveraient, ils l’élèveraient au-dessus de tous les autres. Cormac leur demanda de le faire, et ils firent comme ils avaient promis. Ils élevèrent en effet la colline de cinquante coudées au-dessus de toutes les autres, du moins en apparence, car il n’y avait là qu’une illusion.

Cithruadh ne réussit donc pas à planter la tente ; à ce sujet, Cormac lui dit : « C’est un mauvais présage pour toi, Cithruadh. où donc était ta force, alors que tu n’étais pas capable de planter la tente? La colline n’a pas laissé pénétrer les piquets, pas plus que si on les avait plantés sur une pierre ». – « Ce n’est pas que la force me manque pour la planter », dit Cithruadh, « mais c’est l’injustice de ta tentative qui est cause de cet échec. »

43. Ils mirent trois jours et trois nuits à établir le camp. Ils envoyèrent ensuite réclamer le tribut et l’indemnité, et on ne les leur accorda point. Le lendemain Cormac envoya provoquer en combat singulier les guerriers de Munster. Ceux-ci lui demandèrent un délai de trois jours et trois nuits, pour décider qui se chargerait de combattre, car, pour Cormac, il connaissait d’avance les cinq qui se chargeraient de combattre. Cormac accorda ce délai. Les hommes de Munster délibérèrent à ce sujet et décidèrent qui prendrait part au combat. Voici les dispositions qu’ils adoptèrent en vue de ce combat : quatre cent huit hommes, par compagnies de vingt hommes, dont chacune portait un nom et avait un chef, et chaque compagnie portait le nom de son chef. Le chef était de force à combattre vingt hommes, et chaque homme de chaque compagnie pouvait en combattre neuf.

Voici les noms de chaque compagnie : compagnies Finn, Failbe, Fingen, Fergus, Fiacha, Finnchad, Dond, Daire, Domnall, Forgarb, Tren, Mureadach, Trenfer, Feilimid, Domnchad, Conall, Cobtach, Dubtach, Dael, Dinertach, Diarmud, Ciar, Crimthan.

44. Mogh Corb mac Cormaic Cais Meic Oililla Oluim se chargea d’encourager les guerriers de Munster qui iraient au combat. Cairpre Liffacair, fils de Cormac, se chargea d’encourager les guerriers du parti du Nord qui iraient au combat. Mais seuls parmi ceux-ci allèrent au combat les cinq druides que Cormac avait amenés de Sith Cleitach : Colphta et Lurga. Erri, Eng et Engain.

45. Colphta s’avança vers l’Ouest jusqu’au tertre désigné pour la rencontre sur la rive Nord-ouest d’Ath na nOc, aujourd’hui Ath Colphta. Finn Fidhrinde se rendit pour l’affronter au Sud-ouest d’Ath Corco Maigen, aujourd’hui Ath Colphta. Les deux guerriers chargés de les encourager, Mogh Corb et Cairpre, étaient avec eux. Ils s’adressèrent la parole et engagèrent le combat; durant la rencontre dans le gué, sûrs et droits étaient les traits qu’ils se lançaient, fermes leurs coeurs, puissants les coups qu’ils se portaient; les coups répondaient aux coups et la riposte à l’attaque. Ils se meurtrirent ainsi l’un l’autre, jusqu’à ce que vinssent les ombres de la fin du jour.

Les oiseaux auraient pu se faufiler en volant à travers le corps de Find. En revanche le corps de Colphta ne portait aucune trace de coup, car ni pointe ni tranchant ne pouvait l’entamer tant était grande sa puissance magique. Cependant les armes de Colphta lui furent arrachées par trois fois ce jour-là, et il fut cruellement blessé sur son corps, quoiqu’il n’en mourût point.

Lorsque l’ombre arriva ils se séparèrent et chacun regagna son camp.

46. Finn était tout déchiré et sanglant ce soir-là. Il s’engagea sur l’honneur à reprendre le combat en personne le lendemain. Il soutint le combat de la sorte pendant trois jours puis succomba, Colphta ayant réuni tout son art et toute sa science diabolique, et ayant invoqué son dieu. Ainsi succombèrent sous les coups de Colphta les vingt guerriers de Finn. Ce n’est pas cependant que leurs coeurs ne fussent pas fermes, que leurs coups ne fussent pas puissants ni leurs traits sûrs et droits; mais ils ne disposaient pas de ressources magiques égales à celles dont disposait Colphta.

47. Ce combat terminé, Lurga vint au même gué et proposa le combat aux Munstériens. Ce fut la compagnie de Failbe qui releva le défi. Failbe mac Feduigh vint au combat. Ce fut avec sûreté, avec fermeté et fougue qu’il soutint le combat. Ce serait perdre son temps que de raconter les actions d’éclat qui furent accomplies durant cette série de combats, car le même récit a déjà été fait. Le fait est que tous les Munstériens engagés dans ce combat succombèrent et périrent. Deux cent quatre-vingts Munstériens périrent sans que Cormac eût engagé dans ce combat d’autres que Colphta et, alternativement, Lurga. C’est à la suite de cela que les gens de Munster refusèrent tout combat singulier.

48. Cormac demanda alors aux Munstériens de lui livrer bataille par groupes de cent. C’est alors que vinrent du Nord les trois filles de Maol Miscadach : Errgi, Eng et Engain, sous l’apparence de trois moutons bruns. Elles avaient des carapaces de corne, des têtes d’os, des becs de fer qui distillaient des poisons capables de tuer cent hommes dans le combat. Toutes les pointes et les tranchants du monde n’auraient pu couper un poil ou un brin de leur toison.

Les gens de Munster engagèrent le combat : ils ajustèrent des bois durs aux javelots bien façonnés durs et pointus qu’ils portaient à la main: ils firent avec les boucliers étoilés un rempart autour de l’armée : ils portaient trois lourds glaives aux coups pénétrants dans leurs fourreaux. Ils portaient des javelots aisés à lancer pour soutenir le combat, et engager la lutte.

Lorsque les adversaires se rencontrèrent, venant du Nord et du Sud, ils s’attaquèrent l’un l’autre.

49. Les gens de Munster perdirent ce jour-là le meilleur de leurs armes, en protégeant et sauvegardant leur personne contre les attaques des brebis, et quoiqu’ils les assaillissent de traits sûrs et de coups puissants, elles ne perdirent ni poil ni brin de leur toison; elles ne réussirent ce jour-là qu’à mettre en pièces les armes et les vêtements des gens de Munster. Lorsque le jour fut sur son déclin et la nuit près de tomber, ils se séparèrent et rentrèrent dans leurs camps respectifs.

50. Le lendemain de bonne heure ils vinrent reprendre le combat dans les mêmes conditions et se mirent d’un commun accord, à s’entr’égorger de nouveau dans le gué. Et ce n’était pas agréable pour les quatre provinces de l’Irlande d’entendre, jusque dans leurs camps, le fracas des boucliers se fendant (?), les durs coups de glaives, le bris des armes, et le massacre de héros que faisaient les brebis. Quoique les bataillons opposassent une résistance opiniâtre, celles-ci percèrent et bousculèrent leurs rangs, décapitèrent les guerriers et laissèrent toute le troupe sur la place, sens dessus dessous et côte à côte; les brebis firent un monceau de leurs vêtements et de leurs armes, empilèrent leurs têtes en un tas, et les laissèrent ainsi; les adversaires se séparèrent alors pour rentrer dans leurs camps. Les guerriers de Munster emmenèrent avec eux les dépouilles de leurs gens.

C’est ainsi que furent défaits quatre cent huit guerriers de Munster.

Après ces combats les gens de Munster remarquant que c’était.*** de bestiaux formidables qui les avait tous mis à mort ainsi, décidèrent de renoncer à (ces combats) où ils engageaient un corps d’armée, et ils n’acceptèrent plus aucun combat dès lors.

51. Cormac réclama ensuite le tribut, et on ne le lui donna pas. C’est alors qu’il dit à ses druides : « Eh bien, et la promesse que vous m’avez faite? » – « Que t’avons-nous promis ? » dirent-ils. – « Vous m’avez promis », dit-il, « d’altérer la population de cette province, et de cacher les fleuves et les eaux de la province, sauf la quantité qui m’est nécessaire à moi-même et à mon armée. Et je ne me suis fié, ni ne me fie à ma propre force, mais bien à la promesse que vous m’avez faite d’accabler de tous les fléaux qu’il me plairait cette province, sans que j’aie à livrer bataille ni à combattre contre eux; il suffirait, disiez-vous, des fléaux dont vous les accableriez, jusqu’à ce que l’objet de mon désir me soit apporté au lieu même où je me trouverais. »

52. Les druides cachèrent les eaux de toute la province, excepté la quantité nécessaire à Cormac et à son armée, qu’ils ne cachèrent pas. Toute la population de la province fut alors en proie à une soif dévorante, gens, troupeaux et bétail. Cormac demanda alors le tribut et ne l’obtint pas : voici à quoi eurent recours alors les gens de Munster, du moment que Cormac ne commettait ni déprédations ni *** ; ils se firent envoyer du lait de chez eux dans chaque endroit où ils se trouvaient. Cormac en fut instruit et dit à ses druides : « Comment les gens de Munster se soumettraient-ils, bien que privés d’eau, aussi longtemps qu’ils auront du lait ? » – « Ils ne nous est pas plus difficile », dirent-ils, « de tarir le lait des vaches que de priver les armées d’eau. » Et là-dessus ils tarirent le lait des vaches, et assoiffèrent les chevaux, les moutons, les boeufs et tout le bétail de la province. Et quel que fut le nombre de toutes les armées de la province, tous les troupeaux de la province ne faisaient pas un moindre tapage, en beuglant, hennissant et s’ébrouant (?).

53. Cormac demanda ensuite le tribut, et on le lui refusa. Et voilà ce que firent les gens de Munster : ils saignèrent leur bétail et leur troupeaux, ils mirent le sang dans des vases, et se le firent envoyer dans des tuyaux. Et, de plus, ils recueillaient la rosée chaque matin, la mélangeaient avec le sang, et l’y laissaient ainsi jusqu’à ce qu’il s’en formât une sorte d’eau sanglante, qu’ils buvaient ensuite à travers des chalumeaux et des tuyaux. A ce régime, ils s’affaiblirent, leur langue gonfla, ils perdirent la parole, ils perdirent la force et l’énergie, ils perdirent entièrement toute vigueur, si bien que c’est à peine s’ils pouvaient se comprendre les uns les autres, quand ils parlaient.

54. Quand Fiacha constata qu’ils étaient sur le point de périr de cette façon il leur dit : « Nécessité n’a pas de loi ; qu’on envoie de votre part vers Cormac (?) ; tout ce qu’il réclame, et qui fait l’objet de son expédition, des plus petites choses aux plus importantes, qu’on le lui accorde. « 

On alla trouver Cormac de la part des Munstériens, et le messager dit : « Cormac, tout ce que tu es venu demander, des moindres choses aux plus importantes, te sera accordé. » La colère et l’orgueil le plus excessif s’emparèrent à ces mots de Cormac et des nobles de Leth Cuinn, et ceux-ci dirent à Cormac : « Puisse le roi qui recevra ce tribut n’accepter ni honneur, ni domaines (du moment qu’on ne lui a pas apporté ce tribut à Tara), mais qu’il inflige d’abord, à cette province des servitudes humiliantes, excessives, indignes et éternelles, pour l’avoir contraint à quitter sa résidence. » Cars il leur semblait que ce que réclamait Cormac lui était dû sans qu’il eût besoin de recourir aux armes et sans qu’on lui imposât une expédition pour le réclamer.

55. Et ils firent alors le choix de conditions honteuses et indignes à imposer à la province, en sus du tribut déjà réclamé, qu’on devait apporter à Cormac dans sa résidence. Et voici en quoi elles consistaient : tous les trois mois chaque roi du Sud de l’Irlande devait envoyer à chaque roi du Nord les provisions de bouche les plus excellentes et les plus rares ; et de même chaque prince du Sud à chaque prince du Nord, chaque seigneur du Sud à chaque seigneur du Nord ; chaque habitant du Sud devait remettre son fils ou sa fille au pouvoir d’un habitant du Nord, pour garantir l’acquittement du tribut ; que si un habitant du Sud manquait à s’acquitter, son fils ou sa fille serait mis à mort, un nouvel otage fourni et les provisions livrées. De plus, le neuvième de toutes les récoltes de Munster devait être envoyé dans le Nord, sans entrer en ligne de compte quant au tribut et aux autres obligations.

Les messagers de Cormac vinrent proposer cela. Les gens de Munster consentirent à ce tribut, tout écrasant qu’il fût, si grande était la détresse dans laquelle ils se trouvaient.

56. Comme les Dairine et les Derghtine se trouvaient dans ce danger, le grand-père maternel de Fiacha Muillethan vint les trouver à l’Assemblée générale. C’est de lui, Dil mac Dacreca , qu’est nommé Druim Dil dans les Deisi, et c’est de lui que descendent tous les Crecaige d’Irlande. Fiacha lui adressa la parole et lui dit : « où est votre science magique, où est la science magique de l’Irlande du Sud, ô vous qui ne savez nous aider ni nous secourir dans le danger où nous sommes ? » – « Nous nous n’y avons pas réussi », dit Dil. – « Malédiction sur toi, » dit Fiacha. « En effet, quand bien même vous n’auriez réussi qu’à nous fournir de l’eau, nous ne nous serions jamais soumis à ce tribut, tant qu’il serait resté un homme vivant dans la province. Connais-tu, » dit-il, « personne d’autre dans cette province qui pût nous tirer d’affaire ? » – « Je ne sais, » dit-il, « à moins que ton précepteur, Mogh Ruith, n’y parvienne. C’est avec son aide que je t’ai élevé. D’ailleurs c’est lui qui t’a prédit, le jour de ta naissance, que Leth Cuind t’assiègerait, comme cela se produit aujourd’hui, et personne n’est capable de te secourir, si lui n’y parvient, car c’est à Sidh Cairn Breacnatan, avec Ban Buanainn, la druidesse, fille de Dergdhualach, que Mogh Ruith a acquis la science des sept siècles. Et il n’y a point de sortilèges qu’il ne puisse accomplir ou à l’extérieur ou à l’intérieur du « Sidh », de ce côté-ci ou de l’autre, car nul, parmi les habitants d’Irlande, n’est allé en chair et en os, apprendre la magie dans les domaines des fées, excepté Mogh Ruith. Cependant il ne fera rien que pour une récompense élevée, car il n’a été jusqu’à présent ni *** ni honoré et bienvenu, et vous ne vous êtes point soucié de lui. »

57. « Quel genre de récompense penses-tu qu’il désirerait obtenir ? » dit Fiacha. « Il me semble », dit-il, « qu’il désirerait un domaine et un terrain, car le lieu où il vit, Inis Dairbre, est bien retiré et bien exigu à son goût ». – « Sur notre parole », dirent les gens de Munster, « même s’il demande qu’un roi de Munster sur trois soit choisi parmi ses descendants, et cela à perpétuité, on le lui accordera, sans lui demander d’autre secours que de nous fournir de l’eau. » Et ils dirent à Dil : « Nous te rendons grâce ; pars pour cette ambassade, et demande à Mogh Ruith s’il peut nous porter secours, et s’il le peut, nous serons tous soumis à tribut et à redevance envers lui et envers son successeur après lui, son fils, son petit-fils et son arrière-petit-fils, et accorderons tout ce qui lui plaira en sus de cela, sans rien lui demander en échange que de nous délivrer d’un seul des fléaux qui nous accablent. »

58. Dil se mit alors en route et parvint à Dairbre. Aussitôt arrivé il salua Mogh Ruith et Mogh Ruith lui souhaita la bienvenue. « D’où vient Dil ? » dit-il. « De la montagne de Cenn Claire où la province de Munster est réunie autour de Fiacha. » « Comment cela va-t-il là-bas ? » dit Mogh Ruith. « Cela va mal pour ton élève », dit Dil. « Comment cela ? » dit Mogh Ruith. Dil lui raconta tous les sortilèges et les fléaux dont les druides de Cormac avaient accablé les gens de Munster, et comment, les dominant du haut d’une colline druidique où il était campé, il leur réclamait un tribut nouveau. « Quel est le but de ta démarche à ce sujet ? » dit Mogh Ruith. « C’est bien simple », dit Dil, « les gens de Munster m’ont envoyé pour m’entretenir avec toi, et te demander si tu pourrais leur porter secours ; au cas où tu pourrais retourner leurs sortilèges contre leurs adversaires, on t’accorderait toute concession de terre et tout domaine qui te plairait. Bien plus, si cela peut t’être agréable qu’un roi de Munster sur trois soit choisi parmi tes descendants à perpétuité, on te l’accordera. »

59. « Ce n’est pas que je n’aie aucun droit à exercer la royauté. Cependant ce n’est pas là ce que je leur demanderai si je leur porte secours ; je ne pense pas qu’ils soient affligés d’aucun fléau dont je ne puisse les délivrer, car mon maître Simon mac Guill mac Iargaill, ainsi que Pierre, m’ont promis que je n’échouerais jamais dans mon art, tant que je vivrais. »

« Dis moi, » dit Dil, « quel salaire et quel présent veux-tu, si tu te charges de leur porter secours ? »

60. « C’est bien simple ; » dit Mogh Ruith : »cent vaches du cheptel à la robe éclatante et blanche, donnant du lait ; cent porcs bien engraissés ; cent boeufs fort travailleurs ; cent chevaux de course ; cinquante manteaux beaux, blancs et moelleux ; par dessus le marché, la fille du premier seigneur de l’Est, ou celle du premier après lui, pour me donner des enfants, car je suis moi-même bien né par mes pères, et veux que mes descendants soient bien nés aussi par leur mère, si bien que c’est par comparaison avec ma race qu’on jugera de la noblesse des jeunes chefs de noble race ; la première place dans les défilés des troupes [le commandement de la cavalerie?] du roi de Munster, de façon que mon successeur ait à perpétuité le rang de roi de province, et qu’on n’enfreigne jamais cette condition, mais que l’on accomplisse à mon égard tout ce qu’on m’a promis ; que le roi de Munster choisisse son conseiller et confident dans ma descendance ; si l’on suit ses conseils, ils assureront la victoire ; s’il répète à qui que ce soit le secret que lui aura confié le roi, sans l’aveu de celui-ci, qu’il soit destitué ou mis à mort : que l’on donne à mes descendants l’accès aux assemblées ( ?), que les trois hommes qui siègent en face du roi soient choisis parmi eux, ainsi que celui qui se tient à sa droite. Que l’on me donne, d’une terre de mon choix en Munster, la superficie dont mes serviteurs pourront faire le tour en un jour, sans que les rois de Munster puissent jamais avoir des représentants, prélever des otages ou exercer une suzeraineté sur cette terre, et sans qu’on puisse demander à mon successeur d’autre garant que son fouet laissé à sa suite, ou de fermer sur sa cheville la main du roi de Munster. Je ne sache pas que ma race ait jamais fait preuve de faiblesse ou de lâcheté, mais je leur recommande de faire alliance avec le roi de Munster et de combattre pour lui, afin de l’obliger et de reconnaître sa fidélité à s’acquitter envers eux du salaire à moi promis). Si l’on m’accorde tout cela, que Mogh Corb mac Cormaic Cais meic Oililla Oluim, ainsi que Donn Dairine et les autres nobles de Munster viennent me trouver au nom de la province de Munster et qu’ils garantissent l’accomplissement de ces clauses. Je partirai en personne avec eux, et, sur ma parole, je les délivrerai de ce fléau. »

61. Là-dessus, Dil alla vers l’Est, jusqu’à Claire, où les armées de Munster étaient réunies autour de Fiacha. Les Munstériens lui demandèrent quelles étaient les intentions du druide, quoiqu’ils n’eussent plus qu’un souffle de voix. Dil leur fit connaître les intentions du druide, le salaire qu’il réclamait, les garants qu’il avait désignés. Les gens de Munster accordèrent tout : les garants se levèrent et s’engagèrent pour les gens de Munster réunis autour de leur roi à assurer l’accomplissement du contrat qu’ils allaient conclure en leur nom ; ils se mirent en marche pour aller trouver le roi-druide.

62. Lorsqu’ils arrivèrent à Dairbre on leur souhaita la bienvenue et l’on était prêt à les servir et à les traiter, car Mogh Ruith n’avait aucun doute qu’ils ne vinssent. Mogh Ruith se mit en devoir de les retenir et eux de décliner son invitation, disant : « O protecteur, défenseur contre le mal, les gens de Munster sont en grand danger et ils ont besoin de secours ; nous venons t’offrir tout ce que tu demandes et exécuter nos promesses ; il ne te reste plus qu’à conclure le contrat avec nous. » 3Je le conclurai, » dit-il, « mais nous ne partirons pas avant demain matin à la première heure. » Ils restèrent là, bien servis et bien traités, et Mogh Ruith se mit à festoyer avec eux et à leur demander des nouvelles, et il dit cette rhétorique dont Mac Corb lui fournissait les réponses :

Mogh Ruith s’informa ensuite des combats livrés et des pertes éprouvées dans ces combats, et Mac Corb lui raconta tout : « Nous en sommes désolés, » dit Mogh Ruith, « et, sur notre honneur, si nous le pouvons, deux hommes périront pour chacun d’eux… et d’autres avec eux, et les cinq périront, qui ont attirés cette calamité sur la province. »

63. Ils demeurèrent là jusqu’au lendemain à la première heure ; c’est alors que Mogh Ruith dit à son élève, Cennmar, de lui amener son équipage de voyage : ses deux boeufs nobles, rapides comme le glaive, venus de Sliab Mis et qu’on appelait Luath Tren et Loth Lis, son beau chariot guerrier de sorbier aux brancards de bronze blanc [findruine], tout incrusté d’escarboucles, aux portières de cristal, tel que la nuit paraissait aussi brillante que le jour aux gens qui s’asseyaient dans le char. Il y avait aussi son sabre à poignée d’ivoire, dur et bleu, ses lances de bronze, ses deux javelots aigus à cinq pointes, aux bois élégants et aisés à lancer, portant rivets de bronze blanc bien ajustés; une peau de taureau brun sans cornes s’étendait sur toute la longueur du chariot, sur les bancs, et sur les cuisses. Autour de lui se tenait l’escorte qui l’accompagnait dans ses expéditions, au nombre de cent trente, comme le dit Cormac mac Cuilleannain :

« Une forte escorte entourait le chariot du roi-druide lorsqu’il se mettait en route : cent trente hommes. »

64. Ils se levèrent ensuite et partirent, et Mogh Ruith expliquait à son élève toute chose, comme suit, en disant :

« Marche, Cennmar le victorieux, etc. »

Ils se mirent alors en marche et Mogh Ruith monta dans son char. Et les seigneurs (de Munster) lui dirent : »Qui te choisira ton domaine et ta terre ? » – « Je ne m’en remettrai pour cela à personne d’autre qu’à moi-même,’ dit Mogh Ruith. « Qu’on me donne de la terre de chaque pays où je passerai, et je découvrirai, rien qu’à l’odeur, quel est le meilleur domaine, et je le choisirai ; si bien que, que la terre soit bonne ou mauvaise, je ne pourrai m’en prendre qu’à moi-même. »

65. Ils allèrent jusqu’à Glenn Bethbhe dans la région de Corco Duibhne et on lui apporta de la terre de Bethbhe, et il en huma l’odeur; il dit cette rhétorique, en la refusant: « 

« O Bethbhe, etc. »

« Ce n’est pas ce domaine que je prendrai pour mon salaire, » dit-il. « Nous ne chercherons pas non plus à te l’imposer, » dirent-ils.

Ils allèrent ensuite jusqu’à Crich Eogunachta dans le Corco Duibhne en Kerry. On lui donna un peu de cette terre, et il ne la prit pas et dit cette rhétorique en la refusant: « *** ».

« Je ne prendrai pas cette terre, » dit-il. « Elle ne viendra donc pas en ta possession, » dirent-ils.

Ils poursuivirent alors jusqu’à Aes Cuile et Ealla, et l’on donna de la terre de ces deux contrées à Mogh Ruith, et il prononça cette rhétorique en les refusant: « *** ».

Ils allèrent à Crich Cairiche, aujourd’hui appelé Muscraidhi Fheaga; on lui donna de la terre de cette contrée, et il dit cette rhétorique en la refusant:

« Terre douce et dure, etc. »

« Je ne la prendrai pas, » dit-il,  » et je ne dépouillerai pas mes frères, car ils trouveront quelqu’un d’autre pour les dépouiller. » Ils poursuivirent jusqu’à Tech Forannain Finn, aujourd’hui Cenn Abrat. « Je ne quitterai pas ce lieu, » dit Mogh Ruith, « avant d’avoir choisi mon domaine et ma terre. car ce n’est pas une fois de retour près des armées que je pourrai leur demander terre ou domaine. »

On lui apporta alors de la terre de Cliu Mail meic Ugaine, dans Min Mairtine en Munster. C’est alors qu’il dit en la décrivant et en la refusant:

« Cliu guerrier etc. »

C’est là que naitra la maladie qui dévorera le Munster », dit-il, « c’est le chemin de la dissension et du pillage. Je ne prendrai sous aucun prétexte ce domaine. Au reste cette terre sera un jour un désert, quoi que ce n’en soit pas un aujourd’hui. »

66. De là ils s’en allèrent vers la terre dite Corchaille Meic Con, ou Caille Menne meic Erca meic Degadh (Caile de Menne) que l’on appelle aujourd’hui Fir maighe. On l’appelle Caille mac nEirc, parce que les fils d’Erc y habitaient: Menne mac Erca, Uatha mac Erca et Ailbhe mac Erca. Son autre nom, Fir Maighi mene, s’explique par la quantité de minerai qu’on trouve dans les montagnes environnantes, car l’on trouve des morceaux de minerai dans chaque champ encore de nos jours. un autre nom est Corchaille Meic Con, car il appartenait en propre au clan des Darine et c’est là que se trouve Rosach na Righ, où résida Mac Con jusqu’à la bataille de Cenn Abhratt.

On lui apporta alors de la terre de ce domaine et il dit ces mots en la prenant:

« La montagne autour du bois, le bois autour de la plaine, etc. »

67. Il prit donc cette terre-là, et il conseilla à ses enfants, en leur faisant ses recommandations (?) d’être aussi venimeux intérieurement, et aussi affectionnés l’un à l’autre, et aussi rusés que des serpents; car les moeurs des serpents sont telles que si neuf serpents couvent dans un même nid, ils sont si affectionnés les uns aux autres que chacun d’entre eux n’est pas plus affectionné à sa propre portée que ne l’est n’importe lequel de ceux qui sont dans le nid avec lui. « C’est ainsi que je veux que soient mes descendants, agissant de concert. Aussi longtemps qu’ils seront ainsi le pays environnant ne pourra résister à leur nombre et nul ne leur tiendra tête, s’il n’est capable de résister au grand roi de la province, car je ne garantis leur prospérité que moyennant qu’ils observent trois conditions: vivre en bonne intelligence réciproque, s’en tenir au terme de mon contrat, et s’entendre bien avec la race de Fiacha. »

« Si tous ne remplissent pas ces obligations mutuelles, c’est alors les gens à qui je viens en aide aujourd’hui marcheront sur le ventre de mes descendants; il leur prendront leur domaine si bien qu’ils disparaitront entièrement, anéantis par le désastre qui s’abattra sur eux; et un jour on dira devant les montagnes qui les environnent: « n’est-ce pas ici qu’habitaient les Fir Maighe imposants? » – Et voici pourquoi on les appellera ainsi: parce que je leur recommande surtout d’être généreux, et pleins de dignité et de combattre pour le Munster, à perpétuité.

68. « Est-ce là le domaine que tu choisis?  » dirent-ils. « oui, » dit-il. « Qui ira tailler et délimiter ce domaine pour toi?, » dirent-ils. « L’élève d’un chacun lui tient lieu de fils, » dit Mogh Ruith, « ce sont mes élèves qui iront. » Et ces élèves étaient: Muchet, d’où est nommé Corco Muichit dans le pays des Ui Connel; Bent, de qui descendent tous les Benntraidhi d’Irlande; Buirech, de qui descendent les Ui Buirich, dans la région de Fossach mor, dans la région limitrophe des Ui meic Caille et des UiTassaigh; Dil Mor mac Da creca, de qui est nommé Druim nDil, et tous les Crecaidhe d’Irlande. Enfin Ceannmar, originaire de Caire Comain dans Cloenloch en Deisi.

Les jeunes gens se levèrent alors et dirent: « Comment délimiterons-nous la terre, très cher père? » « A l’aide du marteau sur l’enclume, » dit Mogh Ruith, « c’est-à-dire depuis le lieu où se trouve Fidh in Uird (le bois du marteau) en Orbraidhe jusqu’à Indeoin (l’enclume) en Deisi: la portion depuis les flots(?) de Tuadcaille (aujourd’hui Glenn mBrighdi ) jusqu’à la route où coulent les flots de l’Oithen, sous la forêt de Giusach, verte et branchue vers Colaem.

69. Ils s’en allèrent devant eux vers le Sud-Ouest, Muchet à leur tête, et celui-ci prit une fausse route dès le commencement, car il avait appris par révélation que sa résidence serait par la suite dans l’Ouest. Ils allèrent à Bunraide dans le Sud, à Cleitech à Dun dailche Finnlethet, et de là gagnèrent directement le lieudit Slich in Leith à l’Est, vers Glenn Brigdi et Carn Tigernaigh meic Deghaid. Buirech prit ensuite la direction, et il prit un faux chemin dès le début, car il prévoyait que ce serait dans le Sud qu’il établirait sa maison. Et ils poursuivirent leur route jusqu’à Gluair Fer Muighi Fene, et remontèrent jusqu’à Cligh na Cruithnechta, à Leac Failmir, Glenn Cusaigi Croilinnche, berna nGall (à l’est de tailech Aedha), Bern Doire Cailli Monad, aujourd’hui Bern Leachta ua Setna, Carn Aedha meic Lidhne, Leac Uidhir, Carn Maelglasain, Ath Cull Buinden, Ath da Abhunn.

70. De là ils revinrent à Tech Forannain Finn, où se trouvaient les armées et Mogh Ruith à leur tête. « Avez-vous terminé votre tâche? » dit Mogh Ruith. « Nous avons terminé, » dirent-ils. « Il me semble, » dit-il, que vous avez omis de faire le tour d’une partie du domaine que je vous avais désigné, si j’en juge par la rapidité avec laquelle vous êtes revenus. » « Nous n’avons rien omis, » dirent-ils. « Montrez-moi vos semelles, » dit-il. « Soit, » dirent-ils. Ils montrèrent leurs semelles à Mogh Ruith et c’est alors que Mogh Ruith dit: « *** ».

71. « Qu’est-ce donc qui m’a fait tort, Muchet? » dit Mogh Ruith. « Il m’a été révélé, » dit Muchet, « que mon domaine et mes terres seraient situés devant moi, vers l’Ouest, et il ne me plaisait pas de négliger mes propres intérêts. » « C’est vrai, » dit Mogh Ruith, « ton domaine sera là, et ce n’est pas toi qui en profiteras. » Et il dit:

« La terre de Muchet mac Muichit, que ce ne soit pas lui qui en profite. Il y a peu de terre, et beaucoup de bois. »

« Qu’est-ce donc qui m’a fait tort, Bent? » dit-il. « Je suis vieux et fatigué. Je n’ai pas voulu tenir tête à tous. Puisses-tu prospérer jusqu’à ta postérité la plus reculée (?). »

Qu’est-ce qui m’a fait tort, Buirech? »

« Il m’a été révélé que c’est dans la région que je *** pour toi que serait ma descendance et ma race. » « Il en sera ainsi (?), ô Buirech *** et puisse ta race ne dépasser jamais (en nombre) un feu et demi (?). »

« Qu’est-ce qui m’a fait tort, Cennmar? » « Il m’a été révélé, » dit-il, « que c’est en face de moi en allant vers l’Ouest que seraient situés mon domaine et ma terre et il ne m’a pas plu de rogner sur eux. »

« Que le domaine et la terre de ta race soit exigus, à jamais, que ton vol et ta rapine soient à jamais minuscules. »

« Qu’est-ce qui m’a fait tort, Dil? » dit-il. « A peu près la même chose, » dit Dil. « Que ta terre ne vous soit d’aucun profit, » dit-il, « mais que cependant ton nom soit donné à un district, et que ta race (celle des Creacraidhi) soit répandue par toute l’Irlande, dans la suite. ********* leur habitation, que toute autre province en Irlande. Les biens de cette grande province, j’ai dit qu’ils seront ******** ils seront campés trois jours et trois nuits en deisi ********** Et c’est avec ce terrain-là que l’on comparera tout bon terrain en Irlande. »

C’est alors qu’ils s’engagèrent par des contrats réguliers.

72. Ils se dirigèrent vers la montagne de Cenn Claire où se trouvaient Fiacha et les gens de Munster. Les gens de Munster se levèrent autour de Fiacha, pour souhaiter la bienvenue à Mogh Ruith, et tous lui accordèrent la suprématie et le le salaire qu’il réclamait, et ils lui assurèrent que leurs fils et leurs petits-fils respecteraient cette suprématie et les avantages accordés à lui vis-à-vis de sa descendance. « Qui as-tu choisi pour fiancée? » dirent-ils. « Eimhne, fille d’Aengus Tirech, élève de Mogh Corb. » C’est d’elle que tire son nom Cul Emhne, de nos jours. « Si elle préfère mon fils Buan qu’elle dorme avec lui. » Ceci fut remis au choix de la jeune fille. Voici le choix qu’elle fit: « celui qui est le plus avisé et qui assurera la protection d’un chacun, c’est avec lui que je dormirai. »

Ils signèrent alors les contrats et on régla tous les arrangements en même temps.

73. Ceci fait, les gens de Munster se rendirent au lieu où se trouvait Mogh Ruith et les seigneurs déjà nommés.  » Si vous jugez qu’il est temps que je vous porte secours,  » dit-il,  » dites moi de quelle façon je puis vous secourir dans la détresse où vous êtes plongés. »  » Fournis-nous de l’eau, » dirent-ils.  » Où est Cennmar ? » dit Mogh Ruith .  » Ici « , dit Cennmar.  » Donne-moi mes lances magiques « . On les lui donna. Elles obscurcirent l’air et le ciel, et l’on vit qu’un torrent jaillissait de son (leur?) pied (c’est-à-dire du point où elle (elles?) avait frappé).

 » Où est Cennmar ? »  » Ici, » dit Cennmar.  » Creuse la place qu’a frappée la pointe de la lance « .  » Quelle sera ma récompense? »dit Cennmar ,  » Le fleuve qui jaillira portera ton nom, » dit Mogh Ruith. Cennmar se mit à gratter la terre et à chercher l’eau, et Mogh Ruith dit cette rhétorique en cherchant l’eau:  » Salut, flot délicieux …. « 

74. Lorsqu’il eut terminé cela, l’eau jaillit brisant l’écorce de la terre, et elle faisait un grand fracas et tous eurent grand’ peine à se protéger de l’eau, et Cennmar dit en écoutant venir l’eau, avant qu’un chacun n’entendit son fracas:  » Coupe pleine … « .

75. Lorsque les nobles eurent fini de boire ce que leur donnait le druide, Mogh Ruith dit:  » Buvez cela,  » dit-il  » pour que votre force et votre énergie, et votre aptitude aux armes vous reviennent, avec votre vigueur et votre dignité. »

Ils se pressèrent vers l’eau, en troupes et en groupes, et tous y étanchèrent leur soif, gens, chevaux et bétail, si bien que l’eau suffit à tous. Ensuite les eaux se répandirent et se distribuèrent de toutes parts, vers leurs gens, et de là, elles se répandirent dans les vallées, les cours d’eau et les sources de la province, et les délivrèrent de l’engourdissement magique qui pesait sur eux, et les eaux se manifestèrent de cette façon à tous ; les troupeaux et le bétail de la province furent amenés vers les eaux, et burent leur content.

76. Les gens de Munster poussèrent alors une clameur de joie, qui fut entendue jusqu’au camp de Cormac. Et les hommes de Munster envoyèrent vers Cormac, pour lui apprendre ce qui s’était passé, refuser de payer le tribut, et dénoncer la trêve.

Le parti du Nord, groupé autour de Cormac, fut saisi d’horreur et d’épouvante: ils tremblèrent à l’idée que leurs druides leur avaient dit la vérité, lorsqu’ils s’étaient opposés à cette expédition.

 » Nous te rendons grâce (?) Mogh Ruith,  » dirent les Munstériens,  » la récompense qui t’a été promise t’est désormais acquise, quand bien même tu ne nous fournirais pas d’autres secours que de nous avoir rendu l’eau.  » – « Ce n’est pas que je veuille vous marchander mon secours, mais je crains fort qu’on ne s’acquitte pas envers mes enfants et envers ma descendance de ce que vous m’avez accordé par contrat. » Tous alors donnèrent leur bénédiction à tous ceux qui exécuteraient les conditions : Mogh Corb, Donn Dairine et les garants firent de même.

77. Le lendemain Mogh Ruith demanda : « Quelle aide préférez-vous maintenant?  » Abaisse la colline », dirent-ils,  » car c’est une grand affliction et une grande calamité pour nous, que nos ennemis soient ainsi installés au-dessus de nos têtes sur une colline magique lorsque nous sommes nous-mêmes au pied si bien que nous ne pouvons les voir qu’en levant les yeux.  »  » Qu’on tourne mon visage vers la colline « , dit Mogh Ruith. C’est ce qu’on fit sans balancer. Aussitôt, il invoqua son dieu et sa puissance et grandit si bien qu’il n’était pas moins grand que la colline, et sa tête crût jusqu’à être aussi grosse qu’une haute colline couronnée de grands bois de chênes, si bien que même sa suite fut saisie de terreur à sa vue.

78. C’est alors que vint le trouver son camarade, Gadhra , de Druim meic Criadhnaidhi ; c’était le fils de la soeur de Ban Buanana, la druidesse, fille de Derg Dualach. Il venait à l’aide et au secours de Mogh Ruith. Belle était son apparence, ce jour-là, du côté tourné vers Mogh Ruith et vers les Gens de Munster, odieuse et monstrueuse était son apparence et sa mine du côté tourné vers Cormac et vers ses armées: sa tête était rude, piquante comme un pin (?), et aussi grosse qu’un château royal. Chacun de ses deux yeux était aussi gros que le chaudron d’un roi, et ils saillaient au dehors de sa tête ; ses genoux étaient par derrière, et ses talons par devant. Il tenait à la main un grand trident de fer ; il était enveloppé d’un manteau d’un brun gris, corné, tout hérissé d’os et de cornes; un bouc et un bélier le suivaient. Ils étaient frappés de terreur, tout ceux qui le voyaient en cet équipage.

 » Pourquoi es-tu venu? » lui demanda Mogh Ruith.  » .Je suis venu. » dit-il,  » pour faire trembler et pour épouvanter les armées, afin qu’il ne reste plus que la force d’une femme en couche en chacun de leurs guerriers au moment du combat.  » Et il s’en alla en cet équipage jusqu’à Druim Damhgaire; il fit trois fois le tour de la colline, et poussa trois cris assourdissants et se montra aux ennemis de cette façon, si bien qu’ils furent saisis d’horreur et de terreur; il priva ainsi tous les guerriers de la moitié de leur courage et de leur valeur guerrière.

79. Il les laissa en cet état et s’en fut rejoindre Mogh Ruith; Mogh Ruith lui demanda s’il avait exécuté le dessein en vue duquel il était venu ; il lui demanda aussi comment les armées succomberaient, homme par homme ou par groupes, par vingtaines ou par centaines : Mogh Ruith commença donc le poème (suivant) et Gadhra lui répondit.

Mogh Ruith. Pourquoi es-tu venu, ô Gadhra ! Est-ce pour apporter la désolation, pouvoir certain (?).

Gadhra. C’est pour répandre l’horreur et l’épouvante parmi les armées ennemies.

Mogh Ruith. Dis-moi quels exploits tu as accomplis, est-ce que l’action de Cormac était ***… ?

Gadhra. Ils crieront, ils imploreront miséricorde ***..(?). L’armée de Cormac sera en désarroi.

Mogh Ruith. Est-ce isolément ou deux par deux, ou par masses qu’on peut les compter ?

Gadhra. C’est un par un et deux par deux qu’ils périront, ces magiciens.

Mogh Ruith. Est-ce par vingtaines ou par centaines ou par masses, à ce que tu penses?

Gadhra. C’est par vingtaines de centaines et en masses qu’ils périront, les descendants de Conn, chef de héros.

Mogh Ruith. Pourquoi n’ont-elles pas péri par toi, les tribus et les armées qu’il a réunies?

Gadhra. Rien n’est perdu de toute façon, leur avantage s’en ira en fumée même ainsi. Même ainsi,

80. Ils étaient tous les deux en train de se préparer au combat: Gadhra avait repris son apparence normale, Mogh Ruith se mit alors à souffler sur la colline; aucun guerrier du parti du Nord ne pouvait se tenir dans sa tente, tant était grande la tempête, Et les druides ignoraient l’origine de cette tempête. Mogh Ruith , en soufflant ainsi sur la colline prononça ces paroles: « Je tourne, je retourne, etc .. , « .

81. La colline disparut alors, enveloppée dans des nuées sombres et dans un tourbillon de brouillard, si bien que le commun de l’armée fut saisi d’épouvante, au cri des bataillons, au tumulte des chevaux et des chars, au fracas des armes brisées retentissant lorsque la colline fut tranchée de ses fondements. Une partie de l’armée en resta plongée dans les affres de l’agonie, tous s’abandonnèrent à l’abattement et au découragement.

Cela remplit les Munstériens de joie: ils poussèrent une clameur en célébration, et s’en enorgueillirent fort. En un mot, l’enthousiasme et la joie qui régnaient parmi l’armée du Nord auparavant passèrent à l’armée du Sud, et, inversement, l’affliction et le désespoir où était plongée auparavant l’armée du Sud, furent le lot de l’armée du Nord, Ils restèrent dam cet état jusqu’au matin.

82, Le parti du Nord remarqua alors comment leurs sortilèges avaient été retournés contre eux, Cormac se prit à faire des reproches aux druides qui étaient à son service. C’est alors que Colptha , tout honteux de la semonce que lui avait infligée Cormac, se leva ; il prit au bras gauche son bouclier noir et sinistre, qui ne mesurait pas moins de cent vingt pieds, et était entouré d’un cercle de fer; il prit son sabre lourd et perçant, où s’étaient fondues trente masses de métal flamboyant, il prit ses deux lances noires fumeuses (?) et sombres, dans sa main. Et lui même revêtit une apparence horrible, immense, grotesque, d’une stature de cinquante pieds, sans faire entrer dans le calcul ses vêtements (?) ****** . Cairpre Liffacair vint avec lui pour l’exhorter et ils sortirent du camp, marchant vers le Sud-Ouest pour livrer bataille.

83. Lorsque les Munstériens virent cela, ils dirent à Mogh Ruith :  » O notre ami et notre allié, voici venir Colptha pour livrer bataille, sous l’apparence la plus sinistre sous laquelle il soit jamais venu. » » Qui vient avec lui? »dit Mogh Ruith. « Cairpre Liffacair,  » dirent-ils.  » Où est Cennmar, maintenant ?  » dit Mogh Ruith, « Ici « , dit Cennmar.  » Lève-toi « , dit-il,  » et prépare-toi (?) à tenir tête à ce manant « . – « Très cher père « , dit Cennmar, « j’ai visité l’Orient et .ai demeuré ici avec toi, et tu ne m’as jamais invité à combattre. Et, quoi que j’aie pu accomplir, je n’ai jamais combattu en combat singulier; quoi que je sois capable d’entreprendre, je m’effacerai devant n’importe qui en matière de combat et de faits d’armes. »  » Mets-toi en route, cependant,  » dit Mogh Ruith , « et j’irai moi-même avec toi. « 

84. Mogh Ruith se rendit à Raithin in Imairic (au tertre de la rencontre) sur le gué, au Sud-Ouest: Cennmar le suivait, Mogh Ruith vint équipé comme si c’était lui-même qui devait livrer bataille, et aussi bien qu’il l’avait jamais été : il portait un bouclier bien construit, étoilé, entouré d’un cercle d’argent, un sabre guerrier se dressait (?) à son côté gauche et il tenait en outre deux lances brillantes, empoisonnées, dans ses mains. Il s’avança ainsi avec ses armes offensives et défensives jusqu’au tertre au sud-ouest du gué; à l’instant même où Cairpre Liffacair apparaissait, venant du Nord, accompagnant Colptha, Mogh Corb apparut avec Cennmar. Car c’étaient eux les témoins de la bataille que les deux guerriers se livrèrent , du commencement à la fin; c’est eux qui constatèrent avec certitude et évidence les coups cruels que s’infligèrent mutuellement les combattants.

Mogh Ruith dit à Cennmar :  » Donne-moi ma pierre empoisonnée, et ma pierre plate de main, et mon « combat de cent, » et ma  » destruction de mes ennemis  » ; on la lui donna, et il se mit à la louer, et à y mettre un charme empoisonné et il dit la rhétorique:  » Je prie ma pierre de main, etc. « 

85. Lorsqu’il eut fini, il la mit dans la main de Cennmar, et lui dit:  » Lorsque Colptha entrera dans le gué et s’avancera vers toi, jette cette pierre dans le gué, et sur ma parole,  » dit-il,  » je n’ai aucun doute qu’elle ne détourne de toi les coups de Colptha. »

Colptha se rendit alors au tertre de la rencontre sur le gué, et tout le temps que Colptha mit à venir du camp jusque là, Mogh Ruith envoya contre lui vers le Nord un souffle druidique ; cela transforma les pierres et le sable du sol en brandons ardents, furieux, durs et coupants, sur tout le trajet depuis le camp jusqu’au gué, si bien qu’il était très pénible à Colptha de poser son pied à terre , tant les mottes le blessaient et le brûlaient. Les laiches de la plaine se transformèrent en chiennes aboyantes et devinrent coupantes, et les herbes du marais se mirent à le repousser et à *** contre lui; les tertres et les fourmis de la plaine se transformèrent en sangliers batailleurs qui criaient tous ensemble et faisaient un grand fracas à son approche. Et les buissons d’aubépines de la plaine se transformèrent en boeufs sauvages, immenses, hardis, aux larges croupes, qui hurlaient et mugissaient à son approche. Si bien que Colptha fut saisi d’horreur et d’épouvante,

86. Quant à Mogh Ruith, il s’avança donc sous une apparence pareillement imposante et immense. Colptha jeta les yeux sur lui à travers le gué, vers la rive Sud: il devina que c’était lui qui avait suscité les phénomènes extraordinaires qu’on voyait dans la plaine. Il s’étonna de voir Mogh Ruith en armes, quoique aveugle; il récita la rhétorique: « *********.. ». Mogh Ruith répondit de façon tranchante et sévère et il récita la rhétorique :  » ******… »

87. Après cet entretien les druides en vinrent à l’action. Cennmar s’avança vers le gué et Colptha ne le vit point avant qu’il ne fût installé au bord du gué ; Cennmar plaça la pierre devant lui dans le gué, et la transforma en une énorme anguille de mer, comme nous l’ayons déjà dit. Cennmar lui-même se posta sur le gué, sous l’apparence d’une pierre. II y avait d’ailleurs une grande pierre dans le gué; elle prit l’apparence de Cennmar.

Ensuite une tempête s’éleva sur le gué, telles les vagues puissantes un jour de grand vent au printemps, lors d’une tempête en haute mer. Aucun des deux partis n’avait de doute quant à son origine, car les descendants de Conn, qui environnaient Cormac, attribuaient l’amoncellement de ces vagues à l’art magique et diabolique de Mogh Ruith, tandis que Fiacha et les gens de Munster voyaient un effet de l’art magique et diabolique de Colptha dans cette tempête furieuse qu’ils voyaient s’élever au beau milieu de la plaine. Les quatre provinces d’Irlande fureur plongées dans l’épouvante à cette vue.

88. L’histoire ne rapporte aucune rencontre ni aucun combat livré par Cennmar et Colptha ce jour-là. Ce n’est pourtant pas Colptha qui se déroba, car, lorsqu’il vit le faux Cennmar dans le gué, il bondit sur lui et il lui asséna trois coups avec le grand sabre meurtrier qu’il tenait dans sa main, si bien qu’un homme adulte aurait trouvé place dans la trace sanglante que laissa chaque coup dans la pierre.

L’anguille bondit alors sur lui et le saisit par la face et ils tombèrent en travers du gué, si bien qu’ils roulèrent par trois fois alentour, Colptha et l’anguille se trouvant successivement par-dessus. C’est alors que Colptha fut séparé de ses armes qui se brisèrent en mille morceaux entre ses mains. – L’anguille prit alors l’avantage sur Colptha ; elle s’accrocha à sa peau, l’entoura de façon à le paralyser, et fit neuf noeuds autour de son corps, en emprisonnant ses mains; et un pied de Colptha fut pris par-dessous, et l’autre par-dessus. Lorsqu’il essayait de faire un pas, l’anguille donnait un coup de queue sur le pied qu’il soulevait, et le renvoyait contre terre; lorsqu’il levait la tête, l’anguille prenait entre ses mâchoires le sommet de sa tête (Iitt. la partie de la tête qui était la plus éloignée d’elle), et l’envoyait frapper contre le courant.

89. Quand Mogh Corb vit que l’anguille avait le dessus sur Colptha, il dit à Cennmar :  » Malchance sur toi, » dit-il,  » cela te fait grand tort de ne rien faire pour t’assurer le bénéfice moral de cette mort et la réputation d’avoir tué ce manant.  » Cennmar saisit alors la lance druidique de Mogh Ruith, et il la darda sur Colptha, par-dessus sa tête, avec force et énergie, et Mogh Corb l’engagea à être sur ses gardes. Ensuite Cennmar sauta sur Colptha, avec le grand sabre meurtrier de Mogh Ruith, et en porta (à Colptha ) un coup qui lui trancha la tête. Il laissa la tête là et regagna la rive ; il fut alors saisi par une crise foudroyante de fou rire ainsi que par sa transe mortelle et douloureuse (?).

Mogh Corb sauta dans le gué, saisit la tête et s’en alla avec.

90. Cairpre Liffacair s’en retourna à son camp. Les gens de Munster poussèrent une clameur de réjouissance, en l’honneur de ce combat, et les bouffons poussèrent des gémissements par dérision, et les Munstériens de se réjouir en célébrant la mort de Colptha.

 » Est-ce vous qui chantez victoire? » dit Mogh Ruith .  » C’est nous, car voici Mogh Corb portant la tête. » « Où est Cennmar ?  » dit Mogh Ruith  » Il a été saisi de sa crise de ******.. , » dirent-ils.  » C’est dommage », dit Mogh Ruith.  » Si c’était lui qui était venu avec la tête, aucun homme de sa descendance n’aurait jamais été vaincu en combat singulier, à condition seulement qu’ils portent les armes d’un de mes descendants dans le combat « , « Accorde-moi le privilège que tu viens de dire,  » dit Mogh Corb, « puisque c’est moi qui ai apporté la tête avec moi, que c’est moi qui veille à l’accomplissement de ton contrat, que c’est ma fille que tu as choisie et que je ne vaux pas moins que Colptha « .  » Je te l’accorde », dit Mogh Ruith, « aussi longtemps que tu accompliras tes engagements à mon égard, à condition que chaque homme de ta descendance porte dans le combat les armes d’un homme de la mienne « .

Et il dit le quatrain:

 » Tant qu’ils porteront dans le combat les armes d’un guerrier de la descendance de Mogh – selon leur conventions. Ils [leurs ennemis] succomberont sous leurs coups et se soumettront (?) à eux, pourvu que ces conventions ne soient pas enfreintes « .

 » Ceci ne sera jamais enfreint à tes dépens. » dit Mogh Corb.  » Et, en toute conscience, fais-nous une prophétie, et apprends- nous si notre descendance prospérera, et si nous-mêmes nous élèverons « .  » Oui « , dit Mogh Ruith,  » Tu accéderas toi- même au trône de Munster, et il sortira de toi une longue dynastie qui l’occupera,  » Et il dit la rhétorique:  » Avec Mogh Corb je combats « , etc,

Ceci est la mort de Colptha à Ath na nOc, et c’est d’après Colptha qu’est nommé ce gué depuis lors.

91. Ils restèrent ainsi jusqu’au lendemain de bonne heure. Au début de la matinée, Lurga se mit en marche vers le même gué pour livrer bataille; Cairpre Liffacair était avec lui, Cennmar se présenta pour relever le défi de la part des Munstériens, et Mogh Corb avec lui; il tenait à la main la pierre plate de main et la lance druidique de Mogh Ruith. Ce serait perdre son temps que de décrire les armes et les armures de chaque personnage qui va au combat; aussi s’est-on dispensé de le faire.

92. Lorsque Cennmar parvint au tertre du combat, au sud-ouest du gué, Lurga se mit à le considérer et à l’interpeller. C’était un guerrier plein de force et de fougue, et grande était la terreur qu’il inspirait à Cennmar. Le père nourricier de Lurga lui promit qu’il remporterait la victoire, et la gloire d’avoir tué Cennmar, vengeant ainsi Colptha ,

Quant à Cennmar, il était ce jour-là dans de telles dispositions qu’il aurait mieux aimé encourir mort et trépas que de ne pas affronter Lurga de pied ferme, d’un coeur résolu, portant ses coups avec fureur, et lançant ses traits avec fermeté et sûreté ; au lieu que la veille, en affrontant Colptha, il était plongé dans le désarroi le plus complet.

Ils engagèrent la conversation et se répondirent alternativement l’un à l’autre.

Cennmar s’avança vers le gué, sa pierre plate en main. Il se mit à la louer, à la prier et à prophétiser le carnage qu’elle accomplirait. II invoqua son dieu et le premier druide du monde, Mogh Ruith et il dit:  » Pierre plate, etc. « .

93. Cet entretien terminé, Lurga entra dans le gué, et Cennmar lui tint tête furieusement: les coups succédaient aux coups et la riposte à l’attaque. Mais quoique ce combat fût ardent et furieux, les armes des guerriers ne tranchèrent brin ni poil du corps ou du vêtement de l’adversaire, non pas que ces guerriers combattissent mollement et sans courage, mais se dressa entre eux la force de la  » pierre de combat », le  » combat de cent « , le  » vainqueur des multitudes « , la grande et meurtrière anguille de mer, qu’on appelait  » la Chevelue de Maeithremur « . Elle bondit sur Lurga comme elle avait bondi sur Colptha si bien que les deux guerriers furent séparés, et que Lurga succomba. Et cela ne pouvait manquer d’arriver, car son poison magique s’insinuait en tous ceux qu’elle frappait dès qu’elle les frappait.

Cennmar ne les laissa pas longtemps combattre tous deux, mais il s’approcha d’eux et d’un coup du cimeterre éblouissant et flamboyant qu’il tenait à la main, il coupa la tête de Lurga. Cette tête sauta en l’air, et n’atteignit pas la terre en retombant, car Cennmar la rattrapa au vol, avec dextérité et *****

C’est ainsi que périt Lurga.

94. Pendant qu’ils étaient en train de batailler, ils étaient invisibles pour les armées qui regardaient le combat, de toutes les hauteurs environnant le gué. Et tous disaient:  » O dieu que nous adorons, la violence de la tempête et la masse des eaux dans le gué nous empêchent de voir le dragon de feu qui livre ce combat, si bien que nous n’aurons rien à décrire « .

95. Là-dessus le monstre se mit en marche dans le gué, vers le Nord, à la poursuite de Cairpre Liffacair, sous les clameurs de l’armée de Cormac. Cennmar se mit à la suivre, la retenant, lui parlant et lui disant qu’elle ne devait pas suivre Cairpre Liffacair, que les gens de Munster seraient désolés qu’elle se dirigeât vers l’armée, qu’eux-mêmes se chargeraient d’infliger à celle-ci tels mauvais traitements qu’ils jugeraient bon. Au cas où elle atteindrait la première Cairpre, que du moins elle s’abstint de le maltraiter et de le blesser. Cennmar donc s’appliquait ainsi à la retenir et il la décrivait en disant: « Doucement, chevelue de Maeithremur… couche-toi sur la main douce du grand Mogh Ruith , Doucement « ,

Elle reprit ensuite son apparence et sa forme primitive, et chacun s’en retourna, qui au Nord, qui au Sud, à sa résidence et à son camp, jusqu’au matin.

96, Les brebis se mirent en marche le lendemain de bonne heure. Elles étaient de couleur brune; leurs têtes étaient dures et osseuses, leur peau cornée; elles avaient des becs de fer. Elles avaient la rapidité de l’hirondelle, l’agilité de la belette, la rapidité des oiseaux et étaient capables de tenir tête à cent guerriers à l’heure du combat.

97.  » O Protecteur. » dirent les gens de Munster, « les voici revenues sous forme de trois brebis brunes, et elles sont capables de plonger cent hommes dans les affres de l’agonie et de la mort « . « Je les écarterai de vous, ne craignez rien. » dit Mogh Ruith. Il demanda à Cennmar:  » Où sont les ustensiles druidiques que je t’ai donnés pour combattre ces gens?  » « Je les ai. » dit Cennmar. Les ustensiles étaient : le briquet de Simon, le silex de Daniel et l’amadou d’Ether le Protée. On les donna à Mogh Ruith ; voici la raison d’être de ces instruments: ils donnaient la dureté de la pierre à la tête et au coeur des Munstériens à l’heure du combat ; le flamboiement du feu et une couleur qui ne change pas en face des brebis (c’est-à-dire, un courage imperturbable en face des brebis).

98. Mogh Ruith porta trois coup, avec le briquet contre les pierres, et saisit adroitement et doucement les trois brins d’amadou, qu’il mit dans le pli de son vêtement, et il récita la rhétorique : « Levez-vous. » etc.

Il dit ensuite à Cennmar : « Regarde ces matériaux. Sont-ils déjà prêts?  » Cennmar regarda et dit : « C’est bien, il en est né deux chiennes et un chien mâle. » Il les prit dans sa main pour les examiner, puis les remit par terre, en leur tournant le visage vers le Nord, du coté des brebis. Ils n’étaient d’abord pas plus fort que des chiens nouveau-nés, mais à mesure que les brebis s’approchaient d’eux, la force, la taille et l’ardeur batailleuse des chiens croissaient.

99, Mogh Ruith demanda à Cennmar :  » Comment marchent les brebis? »  » C’est vers nous qu’elles marchent « , dit Cennmar.  » La brebis la plus âgée marche en tête, et la plus jeune en queue « .  » Et les chiens, de quoi ont-ils l’air?  »  » Ils sont semblables à de petits chiens: ils ouvrent les yeux, et ce sont les brebis qu’ils regardent. « 

 » Et les brebis, comment marchent-elles ?  » « Deux d’entre elles côte à côte et une derrière elles, et elles vont vite.  »  » Et les chiens, de quoi ont-ils l’air? »  » Ils roulent leurs yeux, et agitent les oreilles, et ce sont encore les brebis qu’ils regardent.  »  » Et les brebis, comment marchent-elles ?  »  » Elles sont comme seraient trois grands boeufs attelés à un même joug, dur et bien proportionné ; aucune d’entre elles ne s’avance en avant de l’autre, et c’est avec ardeur, fougue et violence qu’elles s’avancent au combat d’une même allure, et d’une même résolution. »  » Et les chiens de quoi ont-ils l’air? »  » Ils ont agité les oreilles et levé les pattes et se sont mis à se lécher la bouche, frottant leurs têtes contre leurs pattes, et la bouche fermée. »  » Toutes supériorités pour eux « , dit Mogh Ruith ,  » car s’ils avaient la bouche ouverte en allant au combat, il se trouverait un démon voleur pour leur voler leur ardeur guerrière: comme c’est la bouche fermée qu’ils vainquent, c’est de cette façon que leur race et leur descendance vaincra dorénavant ».

100. C’est alors que Mogh Ruith dit à Cennmar de diriger les chiens vers le tertre du combat. Et il instruisit les chiens à subir mort et trépas plutôt que de laisser échapper les brebis.

C’est alors que les chiens parvinrent au tertre du combat. Et les brebis .arrivèrent au tertre correspondant et ils se mirent à se considérer l’un l’autre.

Voici comment étaient les brebis: elles avaient trois franges de feu, au flamboiement rouge, autour de leur cou, si bien qu’il ne resta ni brin ni touffe qui ne fût brûlé aux environs du gué, en deçà et au delà. Ils se mirent ensuite à se massacrer mutuellement avec les pierres et de grosses mottes de terre, qu’ils jetaient avec leurs pattes et leurs griffes par delà le gué, vers le Nord ou vers le Sud.

101. Les chiens bondirent à l’attaque vers les brebis et le chien mâle à leur tête, car c’est depuis longtemps que dit le vieux proverbe: « Il convient que l’homme s’avance en premier.  » Il saura sur la brebis la plus grosse et la plus imposante qu’il vit parmi elles, et ils s’attaquèrent l’un à l’autre, et ce fut un carnage violent et furieux, et ils furent longtemps à combattre. Ce serait perte de temps que de décrire ce combat.

Voici pourtant comment étaient les chiens : trois franges de feu au flamboiement rouge sortaient de leurs gueules. Lorsque les chiens et les moutons se rencontrèrent, le feu sauta sur les brebis, si bien qu’il ne leur resta ni brin ni poil qui ne fût brûlé. Le feu que les brebis portaient autour du cou n’avait ni ardeur ni poison druidique, même lorsqu’elles s’attaquaient à quelqu’un. Et en voici la cause: lorsque Mogh Ruith s’installa à Cenn Claire, après s’être joint aux gens de Munster, il mit dans l’air un souffle druidique qui tomba sur le camp des druides sous forme d’un nuage noir. Le résultat fut que le poison druidique de tous les druides qui accompagnaient Cormac leur fut dérobé, comme dit le poète Daniel:

« Les druides de la suite de Cormac ****************** Mogh Ruith avec son souffle leur a enlevé leur pouvoir magique « .

102. Lorsque les brebis constatèrent que la force et la puissance magique des chiens surpassaient les leurs, elles regagnèrent la terre, tentées de fuir devant les chiens, comme les brebis ont l’habitude de le faire, et les chiens les empêchaient de le faire. Elles firent donc demi-tour et s’enfuirent en déroute, sans s’arrêter de courir jusqu’à ce qu’elles eussent atteint Dubhcaire ; c’est là qu’elles disparurent dans les profondeurs et les entrailles de la terre, fuyant devant les chiens. Les chiens se précipitèrent à leur suite et se saisirent d’elles au fond; ils eurent l’avantage sur elles, et les dévorèrent jusqu’aux os.

Ensuite ils sortirent et s’en allèrent vers l’Ouest de Munster. Les molosses, les valets d’écurie et les palefreniers ainsi qu’un grand nombre de jeunes gens du parti du Nord se mirent à leur poursuite, si bien que c’est à grand’ peine qu’ils leur échappèrent entre deux tourbières. Car il se trouvait que la plus grande partie des deux armées, aussi bien du Sud que du Nord, était postée sur les collines et les hauteurs, regardant le combat et la fuite des brebis. Cormac ni Fiacha ne le virent pas, cependant, car ils étaient dans leur camp, environnés d’une petite suite, et ils n’en sortirent point.

103. Ainsi finit le combat des chiens et des brebis. C’est de ces brebis-là qu’est nommé Cluithre Caerach , de nos jours, dans le district de Mairtine en Munster, au Nord de Druim Damhgaire, aujourd’hui Long Cliach. D’autre part, c’est de ces chiens-là que descendent tous les chiens enragés qu’il y a en Irlande de nos jours, et qu’il y aura à jamais.

Les Munstériens poussèrent alors, pour célébrer ce combat, une clameur qui fut entendue par toute la province.

104. Lorsque Cithruadh eut vu périr les brebis il se rendit à la tête de l’armée jusqu’au lieu où était Cormac (en deçà de la rivière) ; Cormac demanda à Cithruadh :  » Pourquoi pousse-t-on ces clameurs, et qui est-ce qui les pousse? »  » Les gens de Munster. » dit Cithruadh ,  » qui célèbrent leur victoire sur les gens en qui tu as mis ta confiance et ton espoir, car les chiens magiques qu’a faits Mogh Ruith les ont tués. « 

L’armée de Cormac fut alors plongée dans la tristesse et le découragement, tandis que les Munstériens se réjouissaient, et Cithruadh chanta le poème: « Les armées du Sud se réjouissent, etc.. » « Si ce que tu dis est vrai. » dit Cormac,  » il n’y a pas de doute qu’ils n’aient lieu de se réjouir. »  » C’est vrai »; dit Cithruadh.  » heureux qui est avec le parti du Sud, ce soir, et infortuné qui est avec le parti du Nord, et j’aimerais mieux que ma maison fût à Sech na Sogh, ce soir, quoique ce soit un lieu désert, qu’à Rubai Ratha Ronan, quoiqu’elle y soit environnée d’une population nombreuse. La fortune du combat sera contre vous cette fois-ci, des bataillons et des bataillons succomberont, et notre sort ne sera pas meilleur, à nous, les trois frères, car Mogh Ruith nous transformera en trois pierres, lorsqu’il viendra cette fois-ci.  » Et il dit:  » Infortuné cette nuit celui qui est du parti du Nord « , etc.

105. Après cela, Cormac dit à Cithruadh :  » Fais-nous quelque prophétie, car tu fus le principal druide de mon père, et de mon grand-père, comme tu es le mien. Et tu ne nous as pas dit de mensonge, et tu ne nous as pas davantage conseillé cette expédition; mais ce n’était pas à toi qu’allait notre faveur, et, si nous t’avons témoigné peu de considération, nous le regrettons « .  » Je ne puis te faire aucune prophétie favorable,  » dit Cithruadh.  » C’est toi qui seras vaincu cette fois-ci, et dans toutes les actions où se trouveront les gens de Munster, ce sont eux qui remporteront la victoire. « 

Cormac resta à délibérer avec Cithruadh et lui dit d’aller causer avec Mogh Ruith et de lui faire remarquer leur parenté d’origine, et de lui dire de ne pas accabler les gens du Nord, parce que son père et son grand-père étaient de la noblesse du Nord.  » Offre-lui ces récompenses par-dessus le marché « , dit Cormac:  » Le royaume d’Ulster et les dédommagements dus pour la mort des fils d’Uisliu, et un boeuf de chacun des domaines entre Tara et Carraic Bracuidi, trois cents chevaux, trois cents cornes à boire, trois cents bracelets et la place à ma droite à table. « 

106. Cithruadh partit donc pour cette ambassade, et alla voir Mogh Ruith au lieu où il se trouvait, le jour où il partit pour Sith Cairn Breacnatan vers le Sud. Cithruadh le rejoignit là, et lui demanda de lui prêter son attention, afin qu’il lui transmit le message de Cormac, de se souvenir de leur parenté originelle, et ne pas plonger le parti du Nord dans l’affliction et la servitude.  » C’est pour moi un devoir de les accabler. » dit Mogh Ruith, « depuis qu’ils envoyèrent Ferghus en exil, et lui enlevèrent le royaume d’Ulster, et le privèrent de tout domaine et de tout rang; je me suis juré que je les priverais de leur titre de grand-roi et que leur race vivrait en esclavage dans des maisons étrangères, en châtiment « .

 » Ce n’est qu’un petit nombre parmi les nobles du Nord », dit Cithruadh,  » qui ont comploté cette injustice; ne peux-tu pas accepter ces récompenses de la part de Cormac?  » Et il lui exposa quelles étaient ces récompenses.  » Ne parle pas ainsi », dit Mogh Ruith,  » car je n’abandonnerais pas mon élève pour tout l’or de la terre; va dire à Cormac que quand bien même il n’y aurait en Munster personne que Mogh Corb, je n’abandonnerais pas ma lutte suprême (?) « .

107. Les Druides se séparèrent alors, et Mogh Ruith n’accepta pas la proposition que Cithruadh venait lui faire. Cithruadh s’en retourna vers Cormac et lui dit que Mogh Ruith n’acceptait aucunement de leur venir en aide ou de les protéger. Les descendants de Conn furent alors plongés dans la tristesse et le désespoir fut dans leur camp.

108. Quant à Mogh Ruith, il alla trouver Banbuanann , la druidesse, à Sidh Cairn Breachnatan, pour y chercher de l’aide et pour lui demander comment les Munstériens devaient marcher au combat.

Dès qu’il arriva là, on lui souhaita la bienvenue; il passa la nuit en ce lieu et demanda, du commencement à la fin, tout ce qui avait rapport à la guerre, Banbuanann lui dit à ce sujet:  » Mets-toi en marche demain de bonne heure, tu remporteras la victoire avec les gens de Munster « . Et elle prononça la rhétorique suivante :  » Sors de bonne heure, lève-toi « , etc.

Mogh Ruith se mit donc en marche et sortit le matin de bonne heure; il prit congé et se mit en devoir de sortir. C’est alors que Buan, le fils de Mogh Ruith, dit:  » J’ai eu une vision, dis-moi ce que j’en dois penser, Mogh Ruith « .  » Parle », dit Mogh Ruith. C’est alors que Buan eut recours à la vieille langue vénérable, pour raconter sa vision, et il dit:  » Il m’est apparu… », etc.

109. Mogh Ruith se rendit ensuite au lieu où se trouvaient les gens de Munster autour de Fiacha, à Cenn Claire. Et Fiacha lui demanda les nouvelles ; et Mogh Ruith dit:  » J’obtiendrai pour toi un tribut, et je réclamerai d’autres choses encore pour toi.  » Et il dit la rhétorique:  » Un tribut, etc, « 

110. Quant à Cormac, il se mit à délibérer avec Cithruadh, et lui demanda s’il avait quelque moyen de venir en aide aux armées.  » Il n’y a rien qui puisse te secourir, excepté de faire un feu druidique.  »  » Comment le fait-on ? » dit Cormac,  » et à quoi cela sert-il?  »  » Voici « , dit Cithruadh.  » Que les armées aillent dans le bois, et qu’elles apportent du bois de sorbier avec eux, car c’est avec cela que nous faisons les meilleurs feux. Et vraisemblablement on répondra du Sud de la même façon; lorsque les feux commenceront à flamboyer, chaque parti surveillera son feu. Et s’il arrive que les feux se tournent vers le Sud (ce que je ne crois pas) vous aurez intérêt à vous mettre à la poursuite des gens de Munster. Si c’est vers le Nord qu’ils tournent, déguerpissez, car vous serez vaincus, quand bien même vous vous obstineriez à tenir tête. « 

Les armées allèrent donc dans le bois sauf une petite suite, autour de Cormac, et apportèrent du bois de sorbier avec eux.

111. Les gens de Munster remarquèrent cela et dirent à Mogh Ruith :  » O protecteur, qu’est-ce que le parti du Nord est en train de faire?  »  » Que font-ils? « , dit Mogh Ruith.  » Ils réunissent de gros fagots en un même lieu, si bien que le bûcher qu’ils ont n’est pas moins haut que la colline que tu as abaissée « .  » C’est vrai !  » dit Mogh Ruith,  » il nous convient maintenant de leur riposter. Cormac a eu recours à ses propres druides, et ils sont en train de faire un feu druidique.  » Mogh Ruith dit alors aux gens de Munster:  » Allez dans le bois de Lethaird, vers le Sud, et que votre dextérité ne soit pas moindre (que la leur); que chacun de vous apporte un morceau (?) ou une poignée, excepté Fiacha seul; que lui apporte une charge de l’arbre dur aux beaux **** des oiseaux de printemps (?) pris au flanc de la montagne, où se rencontrent les trois abris: l’abri du vent de Mars, l’abri du vent de la mer et l’abri du vent de façon que le feu flambe aussitôt qu’on l’allumera. Et on n’enlèvera à aucun de vos successeurs (le droit à) ces deux choses: une poignée et un fardeau d’épaule. Et n’apportez aucun fagot, afin qu’on n’en fasse pas reproche à vos successeurs, et qu’on ne les appelle pas  » fagotiers « .

112. Ils allèrent ensuite dans le bois Caill Lethaird, que l’on appelle aujourd’hui Caill Fhian. C’est des guerriers de Fiacha Muillethan mac Eogain que ce bois a pris le nom qu’il porte encore. Ils rassemblèrent et apportèrent avec eux la cueillette qu’on leur avait demandée, qu’ils déposèrent au milieu du camp.

Mogh Ruith dit à Cennmar :  » Allume et prépare le feu. » Cennmar se leva alors et il disposa le bûcher ainsi : il en forma comme une baratte (?) qui avait trois côtés et trois angles, mais sept portes. Or le feu du Nord n’avait que trois portes et il n’était ni disposé ni arrangé mais on s’était borné à entasser le bois comme il était tombé (?).

[Le feu a sept portes, comme les palais (Ac. Na Sen.). J’ai retrouvé ce détail dans un conte contemporain du Comté de Kerry à propos d’un feu magique allumé par le héros, qui a soin d’y faire sept portes.]

113.  » Le feu est prêt », dit alors Cennmar,  » il ne lui manque que d’être allumé. » Mogh Ruith alors frappa son briquet. Or le feu du Nord était prêt alors. Tous furent saisis de crainte et d’une précipitation fébrile. Mogh Ruith dit alors aux gens de Munster :  » Hâtez-vous de couper des copeaux au côté de vos bois de lance. » Ils les coupèrent et les lui donnèrent. Il en fit un mélange (?), il y mit le feu, et il l’agita en disant :  » J’agite un feu efficace et puissant *** » et il jeta le tout dans le feu, en toute hâte. II s’alluma une grande flamme, avec un grand fracas. Mogh Ruith dit la rhétorique:  » Dieu des druides, mon Dieu avant tout autre dieu », etc.

114.  » Maintenant, » dit Mogh Ruith,  » amenez mes boeufs et attelez-les à mon char; tenez vos chevaux prêts et en main. Si les feux se tournent vers le Nord, il vous faudra vous mettre à leur poursuite, et, dans ce cas, n’arrêtez pas de les poursuivre que je ne m’arrête moi-même. Si au contraire les feux viennent du Nord, défendez-vous contre eux, et livrez- leur bataille parmi les routes, les défilés et les retraites de la province. Sans doute, ne serez-vous pas contraints à le faire, mais préparez-vous pour le cas où cela se produirait « .

Ainsi parla-t-il, puis il envoya un souffle druidique dans l’atmosphère et dans le ciel, si bien qu’il se forma au-dessus de Cenn Claire une obscurité et une nuée sombre d’où tombait une pluie de sang. Et Mogh Ruith dit la rhétorique:  » J’envoie un sortilège à l’aide d’un nuage, une pluie de sang en tombe sur l’herbe « , etc.

115. Dès qu’il eut fini cette rhétorique, la nuée se mit en marche et vint au-dessus de Cenn Claire, de là au-dessus du camp de Cormac, et de là à Tara.

Cormac dit à Cithruadh :  » Quel est ce bruit que nous entendons?  »  » C’est « , dit Cithruadh ,  » une pluie de sang, suscitée par un sortilège druidique, et c’est nous qui en supporterons les effets funestes.  » Le parti du Nord prit cela fort mal, et tous firent un grand bruit et un grand tumulte en l’entendant. Cithruadh prononça le poème:  » Je vois une nuée au-dessus de Claire », etc.

Il y avait alors des bois et de grandes forêts dans la plaine centrale de Munster : le Giusach, depuis Druim nEogubuil en allant vers l’Est jusqu’au chemin de Caille Tochail, Colltanan depuis Druim nEogubuil en remontant jusqu’à Claire, Ros Cno depuis Druim nEogubuil en allant vers l’Ouest jusqu’à Esmaige ; enfin Glenn Bebhthach (entre les deux routes), depuis Druim nEogubuil en descendant vers Aine et Carn Feradhaigh.

116.  » Comment sont les feux?  » demanda Mogh Ruith ,  » Ils se poursuivent l’un l’autre « , dirent-ils,  » en rasant la montagne, à l’Ouest et au Nord, jusqu’à Druim nAsail, jusqu’au Shannon, puis reviennent à leur point de départ. « 

 » Comment vont les feux?  » demanda Mogh Ruith.  » Toujours de même. » dirent-ils.  » Ils n’ont laissé ni bois ni herbe dans toute la plaine centrale de Munster, sans les brûler. » Et ce lieu est une lande depuis.

 » Comment sont les feux?  » demanda Mogh Ruith.  » Ils se sont élevés jusqu’au firmament et jusqu’aux nuages du ciel « , dirent-ils,  » et ils sont semblables à deux guerriers puissants et furieux, ou à deux lions dévorants se poursuivant l’un l’autre. « 

117. On apporta alors à Mogh Ruith sa peau de taureau brun sans cornes et sa coiffure-oiseau tachetée au vol ailé, et ses autres instruments druidiques: et il s’éleva dans l’air et dans le ciel en même temps que les feux, et se mit à les battre de façon à les tourner vers le Nord, en chantant la rhétorique:  » Je fabrique les flèches du druide (?) « . etc.

Il se mit donc à frapper les feux pour les tourner vers le Nord. Et Cithruadh se mit à les frapper de même vers le Sud. Malgré ses efforts, Mogh Ruith tourna les feux vers le Nord, et ils s’en allèrent au-dessus du camp de Cormac, et il ne permit point aux feux de se dresser une fois qu’il eut réussi à les rabattre. Cithruadh s’abattit alors par terre avec son armée de druides et de fées. Ils se mirent alors à ranger les vaillants bataillons nombreux et *****; ils disposèrent l’avant-garde et l’arrière-garde et les encadrèrent d’une muraille de boucliers. L’armée se mit alors en marche, sans que les druides leur permissent de s’arrêter pour livrer bataille; ils recommandèrent aux hommes de faire leur devoir lorsqu’il serait nécessaire.

118. Mogh Ruith descendit alors et monta dans son beau chariot bien orné attelé de boeufs impétueux et furieux aussi rapides que le vent de Mars, aussi agiles qu’un oiseau. Il prit avec lui sa peau de taureau brun sans cornes, et s’avança à la tête de l’armée. Il envoya Cennmar presser les gens de Munster, et tous s’avancèrent pleins d’ardeur à la suite du Druide.

Lorsqu’ils parvinrent à Ard Cluain na Fene, ils rejoignirent l’arrière de l’armée, sans que le reste de l’armée se portât à son secours. Les guerriers de Munster parcoururent les rangs ennemis de droite et de gauche, tels des chiens au milieu de petit bétail, les traversant, les transperçant , les décapitant, les ******* au Nord et au Sud, les massacrant, jusqu’à ce qu’ils parvinssent à Magh Uachtair, dans la région est du Munster, aujourd’hui Magh Raidhne. Les pertes de l’armée s’élevaient alors à huit cents hommes.

119. C’est alors que Mogh Ruith demanda, comme il s’avançait le premier:  » Qui donc se trouve immédiatement devant nous?  » Et il le savait, quoiqu’il le demandât.  » Ce sont trois guerriers imposants aux cheveux gris. » lui répondit-on,  » Cecht, Crota et Cithruadh.  » Mon dieu m’a promis que je les transformerais en pierres quand je les aurai à ma portée, si seulement je parviens à souffler sur eux « . Il leur envoya un souffle druidique, si bien qu’il les transforma en pierres; c’est de ces pierres-là que tire aujourd’hui son nom Leaca Raighne.

Lorsque les gens de Munster essayaient d’arrêter, Mogh Ruith les poussait avec une vitesse et une énergie redoublées; il ne leur permit de s’arrêter que lorsqu’ils eurent atteint Sliabh Fuait, ce même jour, Fiacha planta sa tente là; depuis on appelle ce lieu  » Inadh pupla Fiachach  » (Emplacement de la tente de Fiacha ).

120. Le parti du Nord offrit alors aux gens de Munster de leur donner tous les otages, tributs et contributions qu’il leur plairait. Mogh Ruith, Mogh Corb, Fiacha et les gens de Munster n’acceptèrent rien avant qu’ils eussent passé deux mois, deux trimestres et deux années dans le Nord à dater du jour où ils s’arrêtèrent là. Même alors ils déclarèrent qu’ils n’accepteraient aucune contribution à moins que Cormac lui-même ne vint avec eux jusqu’à la demeure de Fiacha, du moment que lui, Cormac, n’était pas en état de se défendre contre eux et de les empêcher d’envahir et de dévaster sa province. Il vint donc en personne leur remettre son tribut et sa contribution,

Fiacha se mit en marche avec les gens de Munster; ils poursuivirent leur route, mais l’on ne dit rien de leurs aventures jusqu’à leur arrivée à Cnoc Raphann.

Connla mac Taidg meic Cein , fils du frère du père de Fiacha fut envoyé à Cormac pour qu’il l’élevât, et Cormac prit soin de l’éducation de ce jeune homme, cette éducation lui étant imposée en manière de redevance. Ils restèrent ainsi pendant longtemps en paix les uns avec les autres.

121. Les gens de Munster demandèrent à Mogh Ruith quelles étaient les pertes subies par les partis du Nord et du Sud, et lesquelles avaient été le plus considérable. Mogh Ruith le leur exposa clairement, et il récita le poème:

Quatre cents braves guerriers – tel est leur nombre – et de plus quatre-vingt , d’après mon calcul. Tel est exactement le nombre des guerriers de Munster qui ont été tués par les prodiges.

Cinq druides de Cormac forgèrent des sorts contre les provinces du Sud :aux grandes assemblées. Tel fut le nombre tué lors d’une action brillante par les sortilèges spécieux des druides.

Ils créèrent trois chiens bien dressés pour détruire les brebis cruelles. Ils créèrent une anguille de mer sous les flots, pour ruer Colptha et Lurga.

J’ai tourné les feux vers le Nord contre le parti du Nord aux glaives valeureux. Je n’ai laissé que la force d’une femme en couches aux habitants de l’Est, aux descendants de Conn Cetcathach.

Le combat tourna mal contre Conn, au bénéfice des vaillants Munstériens (grande action). Après la mort des hommes de l’art, ils furent plongés dans la détresse.

Quatre cents seigneurs ou rois des armées de Cormac, d’après mon calcul (furent tués) jusqu’à Formael – leurs chevaux ne firent qu’une étape – parmi les descendants de Conn Cetcathach.

Quatre cents brillants valets d’armes de l’armée de Cormac sur la route, furent tués – en nombre égal – entre Formael et Raidne.

Crota, Cecht, Cithruadh dans la plaine, les druides de la race de Conn Cetcathach : dans Magh Raighne au chevaux rouges, ils furent changés par moi en dures pierres.

Les pierres qui signalent leur tombe resteront à perpétuité. Leur nom sera une honte pour les provinces du Nord. C’est Leaca Raighne qu’on les appelle.

II y avait là cinq groupes de sept hommes qui n’avaient à eux tous que cinq noms. Toutes les armées battirent en retraite, tous, excepté trois hommes (?).

(Il y avait ) sept Cecht, sept Crota – en vérité – sept Cithach et sept Cithmor, sept Cithruadh – fière et brillante leur action – qui possédaient le secret de mystérieux sortilèges druidiques.

Ath an tsloigh (Le Gué de l’armée ) quelque peu au Nord de Maigh Raighne. Cent quarante hommes y périrent parmi les armées de Cormac – je ne le cache pas.

Deux cents quarante périrent à partir de ce gué en s’en allant vers l’Est (ceci n’est pas un mensonge ). Sur chaque chemin, pour le parti du Nord, ils ne trouvèrent pas de protection à Tara (?).

Mille quarante et huit hommes durant la poursuite, telles furent les pertes éprouvées par le parti du Nord combattant.

C’est une grande et sanglante action et qui fut accomplie en un seul jour. C’est là la plus grande expédition que guerrier ait jamais entreprise, la plus féconde en actions d’éclat.

Depuis Cenn Claire ce fut une route splendide jusqu’à Glenn Righ Righe dans le Nord. Fiacha aux nombreux bataillons et Mogh Corb au sabre rouge décidèrent qu’ils ne seraient pas satisfaits que Cormac ne fût devenu leur otage.

Du moment que le beau Cormac a refusé ce que Fiacha **** lui offrait, il ne recevra de lui que ce qu’il plaira à Fiacha, quoique celui-ci lui ait d’abord beaucoup offert.

Les Munstériens quittèrent ensuite Cnoc Raphann, et s’en retournèrent à leurs demeures et à leurs résidences respectives. Cormac de son coté s’en retourna à Tara.

122. Connla fut élevé près de Cormac, comme nous l’avons déjà dit, si bien qu’il devint habile au métier des armes et bon gentilhomme et qu’il était cité en modèle à toute l’Irlande, tant il excellait en tout. Il se prit d’amour pour une femme de Sidh Locha Gabar, et il l’outragea, malgré sa résistance. Celle-ci lui demanda comme une grâce de venir avec elle dans sa demeure magique: il n’y vint pas:  » Viens du moins « , dit-elle,  » et tourne ton visage vers la place forte qui est en face de toi, pour que la population (du Sidh) puisse te voir du moment que tu n’y vas pas en personne.  » Il vint avec elle et tourna son visage vers la demeure. La femme aussitôt raconta aux gens de l’autre rive l’outrage qu’on lui avait fait.

Ils demandèrent alors réparation à Connla. II refusa:  » Tu nous as déshonorés « , dirent-ils.  » Vous pouvez bien le dire « , dit-il.  » Nous te déshonorerons donc « , dirent-ils. Et tous projetèrent leur haleine sur lui, si bien qu’une éruption de gale chauve poussa sur lui, de la tête aux pieds, et cette éruption était abondante sur sa tête et son visage ; et il regretta, alors, son action.

123. Il s’en retourna, tout souillé et défait auprès de Cormac. Celui-ci jeta les yeux sur Connla, et éclata en gémissements.  » Qu’as-tu donc, Cormac, mon cher ami ? »  » J’ai que je ne puis supporter », dit Cormac, « de te voir dans un tel état, tant est grande l’affection que je te porte. Et de plus, c’est sur toi que je comptais pour venger mes griefs envers Fiacha, car je t’aurais assuré le trône de Munster « . « Ne connais-tu », dit Connla, « aucun remède qui puisse avoir raison de cette maladie?  » « Quoique j’en connaisse », dit Cormac,  » ce n’est rien que tu puisses obtenir.  » « Quoi donc? « , dit Connla. « Le sang d’un roi », dit Cormac,  » pour t’y baigner « .  » Qui est ce roi?  » dit Connla.  » Fiacha Muillethan « , dit Cormac, « est ce roi, et tu te rendrais coupable du meurtre d’un parent en le tuant. Mais si tu t’appliquais son sang, tu en recevrais la guérison. »  » J’aime mieux » dit Connla,  » que périsse un ami, plutôt que de rester moi-même dans cet état, si du moins je dois croire ce que tu me dis. »  » Je te jure le serment que jure mon peuple » dit Cormac, « que cela est vrai.  »  » J’irai donc le trouver ». dit Connla.

124. Il alla à Cnoc Raphann, à la résidence de Fiacha. Fiacha fut désolé de le voir dans cet état, il s’en affligea, et lui souhaita la bienvenue. Il s’efforça de le guérir, lui donna le tiers de sa confiance, un lit aussi haut que son propre lit; c’est Connla qui délivrait les messages qu’il envoyait ou recevait, et il recevait le salaire dû à ses offices de messager. Et ils furent longtemps ainsi: Connla sortait et rentrait souvent avec Fiacha.

Un jour ils allèrent sur le bord de la Suir et Fiacha désira se baigner, et il se dévêtit et laissa sa lance large, au fer brillant, entre les mains de Connla. Connla saisit la lance, et porta à Fiacha un coup tel que la lance le transperça. « Hélas! » dit Fiacha, « c’est une action affreuse contre un frère; c’est un grand meurtre, et ce crime est fait à l’instigation d’un ennemi. » Et il dit:  » Crime d’un ennemi, etc. ».

« Baigne-toi comme on te l’a dit », dit Fiacha,  » mais malgré cela tu n’en recevras aucun soulagement et tes ennemis s’en réjouiront. »

Ainsi périt tragiquement Fiacha. Ceci se passa à Ath Leathan, aujourd’hui Ath lsiul, c’est-à-dire Tuisiul (de la chute). C’est de là que vient le nom que le gué porte depuis lors, comme le dit le quatrain :

 » Ath Tusil (Gué de la chute) est le nom du gué,
tout le monde en connaît la raison.
Connla de Cnoc Den y fit tomber
le brave Fiacha Muillethan. »

Ceci n’apporta aucun soulagement à Connla, et c’est de faim et de gale qu’il mourut, car aucun membre de la famille d’Eogan ne le laissa entrer dans sa maison. Ils ne pensèrent pas que ce fût la peine d’exercer contre lui aucune autre vengeance.