La fille du roi de Chine

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La fille du roi de Chine

La fille du roi de Chine

Il y avait un roi qui avait un fils. Ce prince allait tous les jours à la chasse, dans la montagne. En chemin, il passait toujours devant la porte d’un berger. Les trois filles du berger se tenaient devant la porte. Au passage du prince, l’aînée disait :

  • Si le prince m’épousait, je lui tisserais un tapis si grand que lui et toute sa cour pourraient s’y asseoir, et il en resterait encore la moitié enroulée.

La cadette disait :

– Si le prince m’épousait, je lui cuisinerais des plats si délicieux qu’il n’en trouverait pas d’aussi bons dans le monde entier.

La benjamine disait :

– Si le prince m’épouse, je lui apporterai deux jumeaux, l’un à la tête d’or, l’autre aux ongles d’or.

Le prince les épouse toutes les trois.

Un jour, il dit :

  • Femme, où est ce tapis que tu devais tisser, tu ne nous montres pas ton talent ?
  • Fils de roi, dit l’aînée, mon père n’était qu’un gardien de troupeaux, nous n’avions, nous, ni brebis ni moutons, comment aurais-je pu avoir de la laine pour tisser des tapis ?

Le prince dit à la cadette :

  • J’ai invité mes vizirs à un grand repas, prépare tes petits plats !
  • Malheur ! Je ne suis qu’une fille de berger, je n’ai mangé que des bricoles, comment pourrais-je préparer un vrai repas ?

Il arriva que le prince partit à la guerre. Il resta longtemps à guerroyer.

Neuf mois, neuf jours, neuf heures et neuf minutes après son départ, la plus jeune des trois filles se coucha et mit au monde deux jumeaux, un garçon et une fille, le garçon aux cheveux d’or et la fille aux ongles d’or.

Ses sœurs furent jalouses. Elles firent écrire une lettre au prince, l’informant que leur sœur avait mis au monde deux chiots ; à lui de décider ce qu’il y avait à faire.

Le prince répond par courrier qu’on fasse disparaître les chiots, qu’on attache leur mère à la grille du parc, que les passants lui crachent dessus et qu’elle soit déshonorée.

Les sœurs attachent la malheureuse, lui accrochent une clochette autour du cou, l’enchaînent à la grille du parc, exposée aux crachats des passants.

Elles mettent les jumeaux dans une boîte, elles les baillonnent et les jettent à la rivière.

La boîte est entraînée par le courant jusqu’au bord de la mer.

Un vieillard et sa femme, qui habitaient là, retirent la boîte, et que voient-ils ? Une fille aux ongles d’or et un garçon à la tête d’or !

L’homme et la femme n’avaient pas d’enfants, ils élèvent ces petits, les voient grandir, puis ils meurent. Le garçon se procure un arc et des flèches, et va vivre dans la montagne avec sa sœur. Il chasse, rapporte le gibier, et tous deux se débrouillent ainsi.

Un jour, le prince, qui était rentré de guerre, va chasser dans la montagne. Il aperçoit une gazelle,il la poursuit en vain. Soudain, il voit un jeune homme aux cheveux d’or attraper la gazelle et l’emporter. Le prince en reste bouche bée. Il rentre au château bredouille. Il raconte son aventure aux deux sœurs.

Les sœurs se mordent les lèvres ; elles se disent :  » Pour sûr, c’est le fils de notre sœur ! que faire ?  » Elles trouvent une vieille bonne femme, elles lui racontent l’histoire, elles lui donnent une poignée de pièces d’or et lui disent :

  • Débrouille-toi pour trouver le domicile de ce garçon. Baratine-le et envoie-le dans un endroit d’où il ne puisse plus revenir.

La vieille prend son bâton et se met en route. Elle cherche longtemps en ahannant. Finalement, elle trouve le logis des jeunes gens. La jeune fille était seule. La vieille entre, toute essoufflée.

  • Bonjour, mon enfant !
  • Bonjour, mémère, sois la bienvenue !
  • Que le ciel te bénisse, ma petite chérie !
  • Chère mémère, comment es-tu arrivée ici ?
  • Mon enfant, je me suis perdue. Quand j’ai vu votre maison, je me suis dit :  » entrons, voyons qui est là.  » Pourquoi es-tu toute seule ? Tu ne t’ennuies pas ?
  • Comment ne m’ennuierais-je pas ? Mon frère va chasser dans la montagne, il revient le soir, je reste seule à la maison, je ne vois personne, nous sommes loin de tout village, personne ne nous ouvre sa porte.
  • Ah ! mon enfant, je vais te donner un bon conseil. Tu diras à ton frère qu’il aille chercher une branche de peuplier, qu’il la plante devant chez vous. Cette branche deviendra un arbre et se couvrira de feuilles, et quand le vent soufflera, tu entendras l’arbre chanter et tu te réjouiras. Ton jeune cœur ne s’ennuiera plus. La solitude est pénible, ma chérie.

Après le départ de la vieille, la fille s’assombrit. Ses yeux s’emplissent de larmes. Son frère rentre, il regarde sa sœur et s’étonne :

  • Que t’arrive-t-il, petite sœur ?
  • Tu es dehors toute la journée, par monts et par vaux, ton cœur est plein d’allégresse, moi je reste seule à la maison, je me sens malheureuse. Va me chercher une branche de peuplier, je la planterai devant chez nous, elle poussera, se couvrira de feuilles ; et quand le vent soufflera, je l’entendrai chanter, mon cœur se réjouira.

Le lendemain, le garçon se met en route. Il marche, il marche, il voit un vieillard assis à un carrefour.

  • Bonjour, pèpère, dit-il.
  • Bonjour, fils. Où vas-tu ?
  • Je vais essayer de rapporter une branche de peuplier à ma sœur. Elle veut la planter pour entendre le vent chanter quand elle aura grandi et sera couverte de feuilles.
  • Ah ! mon fils, toi et ta sœur avez été trompés. Il n’est pas facile de rapporter une branche de peuplier, nombreux sont ceux qui sont partis et ne sont pas revenus, c’est le chemin de  » l’aller sans retour « , écoute-moi et retourne sur tes pas !
  • Non, pépère, je suis venu, j’irai. Rien à faire.
  • Puisque tu y vas, ne prends pas cette route-ci, prends celle-là.
  • Au sommet de la côte se trouve la forêt de peupliers, casse une de leurs branches et sauve-toi. Les arbres te poursuivront de leurs cris :  » Au voleur ! au voleur ! « . Surtout ne te retourne pas : tu serais changé en statue.

Le garçon grimpe, grimpe, il arrive à la forêt de peupliers, il casse une branche et se sauve.

Les arbres derrière lui crient :  » Au voleur ! au voleur !  » Mais il ne se retourne pas.

Il apporte la branche à sa sœur. Il la plante. Elle devient arbre et branches et se couvre de feuilles. Au souffle du vent, les feuilles murmurent. La fille se réjouit.

Le garçon reprend son arc et ses flèches et retourne chasser.

Il rencontre encore une fois le prince, poursuivant une gazelle.

Le garçon fait s’enfuir la gazelle.

Le prince rentre bredouille au château, il raconte sa mésaventure aux deux sœurs, celles-ci se mordent les lèvres et se disent de nouveau :

  • Pour sûr, ce doit être le fils de notre sœur !

Elles rappellent la vieille et lui disent :

  • Que le diable t’emporte ! Le garçon est revenu. Voilà encore quelques pièces, tâche de baratiner la fille et que cette fois le garçon s’en aille et ne revienne plus !

La vieille prend son bâton et va en ronchonnant jusque chez la fille.

  • Bonjour, ma chère enfant. Je viens voir comment tu vas. Tu vas bien ?
  • Salut, petite mémère, sois la bienvenue ! Je te remercie mille fois de ton conseil. Mon frère m’a rapporté une branche de peuplier, il l’a plantée, elle est devenue arbre, s’est couverte de feuilles qui chantent au souffle du vent et me réjouissent le cœur. Je ne suis plus mélancolique comme avant. Mais tout de même, le murmure d’un arbre ne vaut pas la visite d’une personne.
  • Tu as bien raison, mon enfant. Mille peupliers ou mille chants d’oiseaux ne valent pas la présence d’une personne avec qui on puisse bavarder. Tu diras à ton frère qu’il aille chercher la fille du roi de Chine et qu’il l’épouse.

Quand il ira à la chasse, tu resteras avec ta belle-sœur, vous bavarderez, vous serez contentes, que le vent souffle ou pas . Allez, au revoir, je m’en vais !

La vieille sort. La fille s’assombrit. Ses yeux se remplissent de larmes. Quand son frère revient, il lui sourit.

  • Eh bien ! ma petite sœur, que se passe-t-il ? Pourquoi es-tu triste ?
  • Que m’importe le murmure des arbres, j’en ai assez. Va chercher la fille du roi de Chine, épouse-la, elle sera une amie pour moi et, quand tu iras à la chasse, nous bavarderons toutes les deux, je serai contente.

Pour l’amour de sa sœur, le garçon se met en route. Il marche, il marche, il rencontre encore une fois le même vieillard.

  • Salut, pépère !
  • Bonjour, mon fils , où vas-tu cette fois ?
  • Je vais chercher la fille du roi de Chine pour qu’elle soit la compagne de ma sœur, qu’elles bavardent toutes les deux et que ma sœur soit contente. Elle en a assez du murmure des arbres.
  • Hé, hé ! soupire le vieillard, ta sœur et toi êtes victime de la mégère. Fils, la fille du roi de Chine est une magicienne, tous les hommes qui l’ont approchée sont morts et enterrés. Ecoute-moi, n’y va pas, quel dommage, tu vas perdre la vie ! Ceux qui vont vers elle et qui l’appellent de loin  » Fille du roi de Chine !  » si elle répond : « chéri !  » resteront sains et saufs. Mais si elle dit :  » âme en peine  » les voilà transformés en pierre et enterrés !

– Tant pis, pépère, il faut que j’y aille ; que mon destin s’accomplisse !

Le garçon se remet en route, il marche longtemps, il arrive enfin dans la ville du roi de Chine.

Il va devant le portail de la fille et appelle :

  • Fille du roi de Chine !

Une voix lui répond de l’intérieur :

  • Ame en peine !

Le garçon se transforme en pierre, on l’emporte auprès des autres jeunes gens.

Au bout de trois jours, la fille du roi descend voir la tombe du garçon, elle tourne sept fois autour du cimetière, elle voit les cheveux d’or du garçon étalés sur la pierre tombale, et elle entend une voix s’élever de la tombe :  » Fille du roi de Chine ! « 

La fille crie sept fois :  » Chéri ! chéri ! « 

Sur l’ordre de Dieu, le garçon se ranime, il sort de la tombe et accompagne la fille chez elle. Cette fille était magicienne, elle avait été avertie qu’un garçon à tête d’or allait l’épouser.

Les jeunes gens se marient, emportent avec eux une grand quantité d’objets de valeur et rentrent à la maison. Ils se construisent un nid confortable, entouré d’un jardin où murmurent les peupliers. La fille du roi de Chine bavarde avec sa belle-sœur, dont le cœur se réjouit.

Le jeune homme se remet à aller chasser. Il prend son arc et ses flèches et va dans la montagne. Un jour, il rencontre le prince qui chassait aussi. Celui-ci, voyant le garçon aux cheveux d’or, le prend par la main et dit :

 » Par deux fois, tu m’as privé de mon gibier, mais je ne t’en veux pas. Je suis fils de roi, viens demain à la ville, demande le château, entre, n’aies pas peur, nous nous divertirons ensemble. « 

Le jeune homme raconte son entrevue à la fille du roi de Chine :

– Le prince m’a invité pour demain, dit-il, je ne pouvais pas refuser.

Le prince, de son côté, prévient ses deux épouses :

  • J’ai rencontré dans la montagne un garçon à tête d’or, je l’ai invité pour demain, préparez à boire et à manger, qu’on fasse la fête, vous verrez ses cheveux d’or, ça en vaut la peine…

Les femmes se mordent les lèvres, elles disent :

  • Nous n’avons pas eu de chance, c’est sûrement le fils de notre sœur, pourvu que nos manigances ne soient pas découvertes, nous serions obligées de partir !

Elles font creuser en secret un trou dans un coin du salon, qu’elles recouvrent d’un tapis.

Elles versent du poison dans l’assiette destinée au garçon.

La fille du roi de Chine dit à son mari :

  • Ecoute, emmène ton chien de chasse avec toi, suis-le, mets tes pas dans les siens. Quand on te servira à manger, donne d’abord une cuillerée à ton chien, s’il n’en mange pas, n’en mange pas non plus ! Si tu passes devant la grille du parc à laquelle est attachée une femme, une clochette au cou, exposée aux crachats des passants, surtout ne lui crache pas dessus ! cette femme est ta mère ; donne-lui une pomme et passe ton chemin.

Le jeune homme se rend chez le prince, il exécute scrupuleusement les recommandations de la fille du roi de Chine et s’en tire sain et sauf.

Avant de partir, il dit au prince :

  • Je vous en prie, venez à votre tour chez moi demain, avec votre cour, faire la fête.

Le prince, avec ses courtisans et son clergé, va chez le jeune homme. Ils boivent, ils mangent, ils s’enflamment à la vue du garçon aux cheveux d’or et de sa sœur aux ongles d’or.

Le prince, surtout, n’a d’yeux que pour eux !

La soirée s’achève. Tout le monde se retire ; le prince reste seul.

La fille du roi de Chine apporte alors un coq d’or, elle le pose sur la table devant le prince, dispose quelques grains de blé et dit :

  • Longue vie au prince ! J’ai une prière à vous adresser : veuillez ordonner à ce coq de manger ce blé.

Le prince dit :

  • Un coq d’or peut-il manger du blé ? Est-ce pensable ?
  • Ce n’est pas pensable qu’un coq d’or mange du blé. Est-ce pensable qu’une femme donne naissance à de chiots ? Tu as une fille aux ongles d’or, un garçon à tête d’or. Ta petite femme avait dit autrefois :  » si le prince m’épouse, je lui apporterai deux jumeaux, l’un à la tête d’or, l’autre aux ongles d’or.  » Tes deux autres femmes t’ont trompé jusqu’à ce jour. Leur pauvre sœur, attachée à la grille, la clochette au cou, est exposée aux crachats des passants !

Le prince se lève et va embrasser sa fille et son fils.

Il les ramène chez lui avec la fille du roi de Chine.

Il fait libérer sa petite femme, et ordonne que les deux grandes sœurs soient attachées à la queue d’un cheval et traînées à travers les rochers jusqu’à ce que mort s’ensuive.