Le rocher du corbeau

Pourquoi désigne-t on sous le nom de rocher du corbeau, un rocher qui domine le coll de la Quitta (col du renard) dans la vallée de Prats ? Le corbeau est un oiseau sinistre, et il faut qu’il ait laissé dans ces parages de tristes souvenirs. Ces souvenirs remontent à l’invasion des Arabes, qui provoqua l’émigration des chrétiens dans la montagne.

rocher du corbeau

Rocher du corbeau

Près des sources du Tech s’était réfugiée une famille de gens laborieux : le père et la mère cultivaient la terre; Guiselda leur fille, à peine âgée de quinze ans, allait garder les chèvres dans la montagne. Comme elle était très jolie, les bergers la recherchèrent. Et peu à peu elle devint coquette.

Guiselda se mirait un jour dans l’eau claire d’une fontaine, garnissant sa chevelure d’une couronne de pampre et son cou d’un collier de verdure, lorsqu’elle entendit une voix qui l’appelait. Elle se retourna croyant peut-être apercevoir le prince charmant qu’elle rêvait, mais elle ne vit qu’un corbeau haut perché sur un pic.

— « Guiselda I Guiselda ! » semblait crier l’oiseau.

Si les bêtes avaient le don de la parole, pensa la jeune fille, je croirais bien que ce corbeau m’appelle. Mais il n’aurait pas une voix aussi mélodieuse.

Comme elle s’approchait pourtant, le corbeau lui tint ce propos :

— « Belle Guiselda, ne sois pas étonnée d’entendre ma voix, tu sauras plus tard qui je suis. Tu seras un jour la femme d’un prince d’Orient. Je te vois reine, je te vois puissante, trônant dans un magnifique palais. »

Et le noir corbeau s’envola on croassant et avec un bruissement d’ailes qui glaça d’effroi la jeune fille confondue. Quelque temps après on annonçait l’arrivée des Arabes. Devant ces dévastateurs fuyaient les bergers et leurs troupeaux. Guiselda prit aussi la fuite avec ses parents, mais ne put résister aux fatigues de la marche; exténuée, à bout de forces, elle s’affaissa devant une grotte et se recommanda à la Vierge; tout à coups se fit entendre le bruit du galop d’un cheval : c’était un beau cavalier qui arrivait, bientôt suivi des terribles guerriers maures.

Le chef de la troupe mit pied à terre en apercevant Guiselda, lui offrit à boire et la ranima. Mais, vaincu par ses charmes, il l’emporta sur sa croupe en l’entourant des mille prévenances qu’un amoureux prodigue à sa belle.

Et la prédiction du corbeau se réalisa : aimée du chef maure, Guiselda fut conduite à Jaffa et devint la reine du harem. Elle eut pourtant à subir de dures épreuves et elle aurait bien donné sa royauté et ses bijoux pour revoir le Vallespir et sa chèvre Zilda.

La Vierge du Coral eut pourtant pitié d’elle et lui donna les moyens d’échapper au Sultan et de revenir dans le beau Roussillon.

Les vieux parents de la bergère disparue ne reconnurent plus Guiselda tant la douleur avait fait des ravages sur sa figure jadis si douce. Ce n’était plus, hélas, la belle paysanne que les bergers admiraient !

Elle revit pourtant avec un bonheur ineffable ses vieux parents, sa chèvre Zilda, les montagnes et les fleurs. Elle semblait peu à peu renaître à la vie lorsqu’elle entendit un jour une voix qui la fit tressaillir :

— Guiselda ! Guiselda !

La pâle Guiselda aperçut alors le maudit corbeau qui jadis lui avait annoncé une si funeste prédiction. Elle poussa un cri de terreur et tomba à genoux pour implorer la Vierge du Coral. A cette évocation le corbeau disparut bruyamment, tandis que Guiselda rendait le dernier soupir. Et on vit, parait-il, des anges emporter l’âme de la malheureuse fille.