Aventures de Cormac

Voici les aventures de Cormac, du cycle historique irlandais.

les aventures de Cormac

Les aventures de Cormac

Un jour, Cormac mac Airt, roi suprême d’Irlande, était dans sa forteresse de Tara. Il vit dans la prairie qui en dépendait un jeune homme qui tenait à la main une branche merveilleuse ; neuf pommes d’or y étaient suspendues. Quand on agitait cette branche, les pommes s’entre-choquant produisaient une musique étrange et douce. Personne ne pouvait l’entendre sans oublier à l’instant ses chagrins et ses maux. Puis tous, hommes, femmes et enfants, s’endormaient.

« Cette branche t’appartient-elle? demanda Cormac au jeune homme.

– Oui, certes, répondit celui-ci.

– Veux-tu la vendre? reprit Cormac.

– Oui, dit le jeune homme,. Je n’ai jamais rien eu qui ne fût à vendre.

– Quel prix en exiges-tu ? dit Cormac.

– Je te l’apprendrai après, répliqua le jeune homme.

– Je te donnerai ce que tu jugeras à propos, répondit Cormac, Et suivant toi, que te dois-je?

– Ta femme, ton fils et ta fille.

– Tu les auras tous les trois, répliqua le roi.

Le jeune homme lui donna la branche, et ils entrèrent tous deux dans le palais. Cormac y trouva réunis sa femme, son fils et sa fille.

« Tu as là un bien joli bijou, lui dit sa femme.

– Ce n’est pas étonnant, répondit Cormac, je le paie un gros prix. »

Et il raconta le marché qu’il avait fait.

« Nous ne croirons jamais, répondit sa femme, qu’il y ait en ce monde un trésor que tu préfères à nous trois.

– Il est vraiment trop dur, s’écria la fille de Cormac, que mon père nous ait échangés contre une branche ! »

La femme, le fils et la fille étaient tous les trois dans la désolation. Mais Cormac secoua la branche. A l’instant ils oublièrent leur affliction, ils allèrent joyeux au-devant du jeune homme, et partirent avec lui.

Bientôt la nouvelle de cet événement étrange se répandit dans Tara d’abord, puis dans toute l’Irlande. On aimait beaucoup la reine et ses deux enfants; il s’éleva un immense cri de douleur et de regret. Mais Cormac secoua sa branche ; aussitôt les plaintes cessèrent, et le chagrin de ses sujets fit place à la joie.

Une année s’écoula. Cormac éprouva le désir de revoir sa femme, son fils et sa fille. Il sortit de son palais, prit la direction où il les avait vus s’engager.

Un nuage magique l’enveloppa ; il arriva dans une plaine merveilleuse. Là s’élevait une maison, et une foule immense de cavaliers étaient réunis à l’entour. Leur occupation était de couvrir cette maison de plumes d’oiseaux étrangers. Quand ils avaient couvert une moitié de la maison, les plumes leur manquaient pour terminer ce travail, et ils partaient pour aller chercher les plumes nécessaires à l’achèvement de leur tâche. Mais pendant leur absence, les plumes qu’ils avaient posées disparaissaient, soit qu’elles fussent enlevées par le vent, soit par toute autre cause. Il n’y avait donc pas de raison pour que leur travail fût jamais achevé. Cormac les regarda longtemps, puis perdit patience.

« Je vois bien, dit-il, que vous faites cela depuis le commencement du monde, et que vous continuerez jusqu’à ce que le monde finisse. »

Il poursuivit sa route. Après avoir vu plusieurs autres choses curieuses, il arriva dans une maison où il entra. Il y trouva un homme et une femme de grande taille, et dont les vêtements étaient de diverses couleurs. Il les salua; eux, comme il était tard, lui proposèrent l’hospitalité pour la nuit. Cormac accepta.

L’hôte apporta lui-même un cochon tout entier, qui devait servir pour le repas, et une bûche énorme, qui, fendue en plusieurs morceaux, devait le cuire. Cormac prépara le feu et mit dessus un quartier de cochon.

« Raconte-nous une histoire, dit l’hôte à Cormac, et, si elle est vraie, lorsque tu l’auras terminée, le quartier de cochon sera cuit.

– Commence toi-même, répondit Cormac, ta femme parlera ensuite ; mon tour viendra après.

– Tu as raison, répliqua l’hôte, Voici mon histoire. Ce cochon est un des sept que je possède ; et de leur chair je pourrais nourrir le monde entier. Quand un d’eux est tué et mangé, je n’ai qu’à mettre ses os dans l’étable, et le lendemain je le retrouve vivant. »

L’histoire était vraie, car aussitôt qu’elle fut finie, le quartier de cochon se trouva cuit. Cormac mit un second quartier de cochon sur le feu ; la femme prit la parole.

« J’ai sept vaches blanches, dit-elle; et tous les jours je remplis sept cuves de leur lait. Si les habitants du monde entier se réunissaient dans cette plaine, j’aurais assez de lait pour les rassasier. »

L’histoire était vraie, car, aussitôt qu’elle fut terminée, on constata que le quartier de cochon était cuit.

« Je vois, dit Cormac, que vous êtes Manannan et sa femme. C’est Manannan qui possède les cochons dont tu viens de parler, et c’est de la Terre Promise qu’il a ramené sa femme et les sept vaches.

– Ton tour est venu de raconter une histoire, reprit le maître de la maison. Si elle est vraie, quand elle sera finie le troisième quartier sera cuit. »

Cormac raconta comment il avait acquis la branche merveilleuse aux neuf pommes d’or et à la musique enchanteresse ; comment il avait en même temps perdu sa femme, son fils et sa fille. Quand il eut terminé son récit, le quartier de cochon était cuit.

« Tu es le roi Cormac, lui dit son hôte. Je le reconnais à ta sagesse; le repas est prêt, mange.

– Jamais, répondit Cormac, je n’ai dîné en compagnie de deux personnes seule ment. »

Manannan ouvrit une porte et fit entrer la femme, le fils et la fille de Cormac. Le roi fut bien heureux de les revoir; eux éprouvèrent la même joie que lui.

« C’est moi qui te les ai pris, dit Manannan, c’est moi qui t’ai donné la branche merveilleuse. Mon but était de te faire venir ici. »

Cormac ne voulut pas commencer le repas avant d’avoir l’explication des merveilles qu’il avait vues sur son chemin. Manannan la lui donna; il lui expliqua, par exemple, que les cavaliers qui couvrent une maison de plumes et recommencent indéfiniment leur travail sans jamais en voir l’achèvement sont les gens de lettres qui cherchent la fortune, croient la trouver, et ne l’atteindront jamais : en effet, chaque fois qu’ils rentrent chez eux apportant de l’argent, ils apprennent qu’on a dépensé tout celui qu’à leur départ ils avaient laissé à la maison.

Enfin Cormac, sa femme et ses enfants se mirent à table. Ils mangèrent. Quand il fut question de boire, Manannan présenta une coupe.

« Cette coupe, dit-il, a une propriété particulière. Quand on dit devant elle un mensonge, elle se brise, et si ensuite on dit la vérité, les morceaux se rejoignent.

– Prouve-le, s’écria Cormac.

– C’est bien facile, reprit Manannan. La femme que je t’ai enlevée a eu depuis ce temps un nouveau mari. »

Aussitôt la coupe se brisa en quatre morceaux.

« Mon mari a menti, » répondit la femme de Manannan.

Elle disait la vérité : à l’instant, les quatre morceaux de la coupe se rejoignirent sans qu’il restât aucune trace de l’accident.

Après le repas, Cormac, sa femme et ses enfants allèrent se coucher. Quand ils se réveillèrent le lendemain, ils étaient dans le palais de Tara, capitale de l’Irlande, et Cormac y trouva près de lui la branche merveilleuse, la coupe enchantée, même la nappe qui couvrait la table sur laquelle il avait mangé la veille dans le palais du dieu Manannan.