Conchobar Mac Nessa

Première version du texte de Conchobar Mac Nessa (fac-similé du Livre de Leinster, publié par M. R. Atkinson, 1880). La version du texte contenue dans le Livre de Leinster est plus littéraire que celle qui figure dans le Livre de la Vache Brune.

Conchobar Mac Nessa

Conchobar Mac Nessa

Conchobar, fils de Ness [en irlandais Mac Nessal], fut un homme merveilleusement éminent. C’est l’opinion des Ulates [c’est-à-dire des habitants du royaume d’Ulster]. On l’appelle fils de Ness [Mac Nessal], du nom de sa mère. En effet, Ness, fille d’Echaid Salbé, roi de Munster, fut mère de Conchobar. Voici pourquoi elle reçut le nom de Ness. Son éducation fut confiée, par Echaid Salbé, à douze tuteurs. Assa, c’est-à-dire Facile, fut le nom qu’ils lui donnèrent d’abord, car elle était très facile à élever. Il y avait en Irlande, en ce temps-là, un guerrier cruel. Cathba, fils de Ross, était son nom. En effet, Cathba ne fut pas seulement druide, il fut guerrier. Une fois donc il alla faire une expédition guerrière dans le territoire de Munster. Alors il se rendit à la maison des tuteurs de la fille d’Echaid. En une seule nuit, il tua les douze tuteurs de la fille d’Echaid, et on ne sut pas qui était l’auteur de ce massacre. Alors la fille d’Echaid partit en guerre toute armée. Avec trois fois neuf compagnons, elle parcourut l’Irlande, et, voulant savoir qui avait massacré ses tuteurs, elle tuait les gens. Voici pourquoi elle les tuait tous : c’est parce qu’ils ne savaient pas le signalement des meurtriers de ses tuteurs ; et chacun disait : Cette femme-là ne sera pas facile [en irlandais Ni assal]; voilà pourquoi on l’appela Niassa [qui, dans la pensée de l’auteur, s’abrégea en Nessa, génitif de Ness, dans le surnom de Conchobar, fils de Ness, mac Nessal. Son expédition guerrière la conduisit dans le pays des Ulates. Là, un jour, elle alla seule se baigner. Au bain, elle rencontra le guerrier qui avait tué ses tuteurs, ce druide Cathba dont il a été question plus haut. La paix se fit entre eux… Puis vint l’affection mutuelle ; elle eut de lui un fils. Ce fils fut Conchobar, et son père était Cathba. Il était donc de haute naissance, ce Conchobar.

Il faut dire à quelle heure cette naissance arriva. L’heure où naquit le Christ, c’est l’heure où Conchobar naquit. Quatre prophètes l’annoncèrent sept ans d’avance. Ils prédirent qu’un enfant merveilleux naîtrait au même instant que le Christ, sur la pierre où naquit Conchobar, et que son nom serait illustre en Irlande.

La dignité de Conchobar fut grande sept ans après sa naissance. Ce fut alors qu’il devint roi d’Ulster. En voici la raison: Ness, fille d’Echaid Salbé, sa mère, n’était pas mariée. Fergus, fils de Ross, était roi d’Ulster ; il désira épouser Ness.  » Je n’y consentirai pas,  » dit-elle,  » sans douaire, et ce douaire sera un an de règne pour mon fils, afin que plus tard on appelle mon fils fils de roi.  » –  » Donne-lui ce qu’elle demande,  » dirent tous les Ulates.  » Tu resteras notre roi, quel que soit celui que l’on proclame et auquel on donne le nom de roi.  » Ainsi Ness épousa Fergus, et Conchobar fut proclamé roi d’Ulster. Ness prit possession de son douaire, avec son fils, avec le tuteur de son fils et avec sa famille. Fergus fut dépouillé au profit de Conchobar. Ness s’empara de l’or et de l’argent de Fergus, et le distribua aux guerriers d’Ulster au nom de son fils.

La fin du temps convenu arriva au bout d’un an. Fergus demanda à ses cautions de lui faire restituer la royauté.  » Nous en reparlerons entre nous,  » dirent les Ulates. Ils en délibérèrent dans une assemblée.  » Il fallait,  » pensaient-ils,  » que Fergus nous méprisât grandement pour nous donner en douaire.  » Au contraire, ils devaient de la reconnaissance à Conchobar pour ses beaux présents. Ils conclurent donc que Fergus avait perdu ce qu’il avait donné et que Conchobar garderait ce qu’il avait acquis. Voilà comment Fergus perdit la royauté et comment la dignité suprême, dans une des cinq grandes provinces d’Irlande, passa de Fergus à Conchobar, fils de Cathba.

Les Ulates rendirent un grand honneur à Conchobar. Voici en quoi cet honneur consista. Tout homme, en Ulster, donnait sa fille adulte à Conchobar pour dormir près de lui la première nuit, afin qu’il fût son époux. Il n’y eut pas sur terre homme qui fût plus sage ni qui rendît de meilleurs jugements que lui. Personne ne l’emportait sur lui, car jamais il ne rendit de faux jugements, et ses dons n’avaient pas de mesure. On ne pourrait dire combien était haute l’estime qu’on avait pour lui. Il n’y avait pas sur terre de héros plus fort. Il se lançait en avant au milieu du danger. Quittant la chambre des enfants royaux, il allait se placer en face des héros, des vieux guerriers et des braves, dans les combats et les batailles, sans croire au péril. Chaque homme d’Ulster lui donnait l’hospitalité une nuit et le faisait coucher avec sa femme cette nuit-là. Trois cent soixante- cinq hommes formaient le personnel de la maison de Conchobar. En d’autres termes, le nombre de jours qui est dans l’année est le nombre des hommes qui formaient le personnel de la maison de Conchobar. Il y avait association entre eux. Chaque nuit, un d’eux était chargé du repas. Celui qui avait présidé au repas une nuit redevenait président à son tour au bout d’un an. Ce repas n’était pas peu de chose : un cochon, un boeuf et une cuve [de bière] pour chaque homme. Il y avait, par exception, des hommes auxquels on ne donnait pas cela. Tel était Fergus, fils de Roeg, comme on raconte. C’était vraiment un homme de grande taille. Le septième de la personne de ce Fergus dépassait la personne entière de tout autre. On comptait sept pieds entre son oreille et sa bouche ; sept mains d’homme auraient tenu entre ses deux yeux, autant sur la longueur de son nez, autant sur la largeur de sa bouche. Pour lui mouiller la tête et la lui bien laver, on avait besoin d’eau plein une cuve où aurait tenu un grand sac d’orge ; il fallait sept mains d’hommes pour couvrir la trace de ses pieds…. et sept femmes pour prendre soin de lui si Flidas ne venait; il lui fallait par jour sept cochons, sept cuves de bière et sept boeufs pour le nourrir et le désaltérer; il avait la force de sept cents hommes ; on était obligé de le laisser diriger les repas de toute la maison pendant une semaine, à lui seul.

Mais c’était Conchobar lui-même qui prenait la direction des repas à la fête de Samain, à cause de la grande affluence. L’assemblée dont il avait à s’occuper à cette fête était forcément nombreuse, car tout homme d’Ulster qui ne venait pas la nuit de Samain à Emain, la capitale, perdait aussitôt l’esprit; le matin même on creusait sa fosse, et, sur la tombe, se dressait la pierre funèbre. Conchobar avait donc beaucoup à faire. L’usage était que les trois jours avant Samain et les trois jours après Samain, les Ulates étaient réunis et mangeaient dans le palais de Conchobar. Il était joli, ce palais; il comprenait trois corps de logis: le Rameau-Royal, le Château-Aux-Couleurs-Variées et le Rameau-Rouge. Dans le Rameau-Rouge, on conservait les têtes et les armes des ennemis vaincus ; dans le Rameau-Royal, on logeait les rois, et c’est à cause d’eux qu’on l’appelait royal; dans le Château-Aux-Couleurs-Variées étaient emmagasinés les lances, les boucliers et les épées des guerriers d’Ulster. Les couleurs variées qu’on y voyait étaient dues aux poignées d’or des épées, aux lances brillantes et vertes, garnies de cercles et d’anneaux d’or et d’argent, à l’or et à l’argent qui ornaient les champs et les bordures des boucliers, à l’éclat des pots et des cornes à boire.

Voici pourquoi les guerriers d’Ulster réunissaient leurs armes dans une maison spécialement destinée à cet objet : aucun des guerriers d’Ulster ne pouvait entendre une parole insultante sans vouloir immédiatement se venger; alors il se levait pour combattre, frappait sa tête et son bouclier contre la tête et le bouclier de son adversaire pour les briser, et la bataille se livrait dans la salle même du festin. Pour empêcher ces com bats, on avait réuni les armes dans le Château-Aux-Couleurs-Variées. Là était le bouclier de Conchobar, avec les quatre bordures d’or qui l’entouraient ; là les boucliers de Cûchulainn, de Conall le triomphateur, de Flidas, de Furbaidé, de Causeradé, d’Amorgen, de Condairé, de Nuadu, de Fergus, de Dubthach, d’Ergi, de Noisé, de Loégairé, de Cormac, de Sencha, de Celtchar et le reste. Nous arrêtons ici une énumération qui serait trop longue.

La dignité, l’éclat, la gloire et la célébrité des héros qui formaient la maison de Conchobar étaient grands.

Nous passons sous silence une foule d’hommes valeureux et de héros. Mais nous parlerons de Fergus, fils de Roeg. Il eut certes assez de bravoure, l’homme auquel arrivèrent les trois opprobres de Midé, à la bataille de Garg, lors de l’expédition faite pour enlever les vaches de Cûalngé. Irrité contre Conchobar, il frappa trois coups sur le sol ; ces coups firent jaillir trois collines, et ces collines dureront à jamais.

Nous ne dirons rien de bien des braves ; mais nous citerons Conall le triomphateur, fils d’Amorgen à la chevelure de fer. Il eut certes assez d’ardeur au combat. De l’heure où, pour la première fois, il prit la lance en main, il ne laissa jamais passer un jour sans blesser, une nuit sans tuer un habitant de Connaught, et il ne s’endormait pas sans avoir la tête coupée d’un habitant de Connaught sous son genou. Il n’y eut pas, en Irlande, terre de petit noble où Conall le triomphateur n’eût tué un homme. Ce fut Connall le triomphateur qui partagea le cochon de Mac Datho, remportant le prix de la bravoure devant les plus grands héros d’Irlande ; ce fut lui qui vengea les hommes d’Ulster, que les autres Irlandais ont tués ou tueront désormais.

Depuis que Conall le triomphateur eut pris la lance en main, personne ne l’égala, sauf le célèbre jeune homme dont tous les Irlandais escortent la marche triomphale: Cûchulainn, fils de Sualdam ; son grand- père était du pays des side (des dieux) ; le frère de son père, s’appelait Dolb. Ethné Ingubé, femme d’Elcmairé, du pays des side, était soeur de Sualdam. Dechtiré, fille de Cathba, était la mère de Cûchulainn [on se rappelle que Cathba était le druide, père de Conchobar dont Dechtiré était la soeur, par conséquent Cûchulainn était neveu du roi]. Les exploits de ce jeune homme furent très redoutables ; il était terrible, surtout quand il entrait en colère : la rapidité de ses pieds était étrange ; ses cheveux devenaient plus piquants qu’une pointe d’épine blanche; il y avait une goutte de sang sur chacun de ses cheveux; un de ses yeux rentrait dans sa tête, l’autre sortait de la longueur d’un pied ; il ne reconnaissait plus ni la beauté ni l’amitié ; il frappait également derrière son dos et devant sa face. Il dépassait tous les hommes d’Irlande par les talents militaires qu’il avait rapportés des enseignements de Scathach Buana en Grande-Bretagne… [Suit une liste des tours de force que savait faire Cûchulainn: le jeu du chat, le jeu de la pomme, le saut du saumon, etc … ]

Il serait trop long d’énumérer ici les hommes qui composaient la maison de Conchobar ; il serait aussi trop long de décrire son palais. Son palais contenait trois fois cinquante chambres, et trois couples étaient logés dans chacune de ces chambres ; le palais et les chambres étaient construits en if rouge, bandé de bon cuivre. La chambre de Conchobar était à rez-de-chaussée, entourée de façades de bronze dont les parties supérieures étaient d’argent, surmontées d’oiseaux d’or, et dans les têtes de ces oiseaux brillaient des pierres précieuses. Au-dessus de Conchobar s’élevait une verge d’argent surmontée de trois pommes d’or ; de cette verge il donnait des avertissements à la foule; quand il agitait sa verge ou quand il élevait lui-même la voix, la foule se taisait: il aurait jeté une aiguille par terre, on en aurait entendu le bruit, tant était grand le silence respectueux! Trente guerriers pouvaient boire ensemble dans la chambre de Conchobar. La cuve de Gerg, dite  » boisson de charbon,  » 0l n-guala, était sur le sol du palais, toujours pleine; on l’avait amenée de la vallée de Gerg, quand Gerg fut tué par Conchobar.

Il y avait dans le palais de Conchobar un homme qui devait faire un jour de grands préparatifs ; c’était Bricriu, fils de Carbad 0ll. Neuf fils de Carbad 0ll se trouvaient dans le palais ; c’étaient: Glainé et Gormainech, Mané, Min, Scoth et Ailill, Dureis et Ret, enfin Bricriu, Bricriu l’homme venimeux et à la mauvaise langue. Dans son coeur, le poison ne manquait pas. Quand ses pensées perverses s’agitaient secrètement dans son esprit, un bouton rouge qu’il avait sur le front grandissait et devenait plus gros que le poing d’un homme, en sorte que s’adressant au roi:  » Mon bouton,  » disait-il,  » a livré bataille cette nuit, ô Conchobar »

Il y avait donc beaucoup de gens merveilleux dans le palais de Conchobar, roi d’Ulster.


Seconde rédaction du même récit (Manuscrit Stowe, 992, fin du XIVe siècle, à la Bibliothèque de l’Académie royale d’Irlande à Dublin).

Il y eut un roi en Ulster: c’était Eochu Salbuidhé, fils de Loeg. Il lui naquit une fille ; c’était: Ness, fille d’Eochu Salbuidhé, et douze tuteurs reçurent cette fille pour l’élever. Assa [ » facile « ] fut son nom d’abord, car elle était d’un caractère facile, et douce à élever. C’est en ce temps-là qu’un héros vint du sud de l’Ulster pour faire une expédition héroïque à travers l’Irlande et trois fois neuf hommes composaient sa troupe : Cathba, le druide à la grande renommée, était le nom de ce héros. Ainsi donc, il était homme de grande science, habile druide, brave héros, et il tirait son origine d’Ulster, bien qu’il en fût absent.

Or donc, Cathba arriva dans un désert avec ses trois neuvaines d’hommes. Voici qu’il vint dans le même désert un autre héros avec trois autres neuvaines d’hommes. Alors ils se mirent aussitôt à se battre les uns contre les autres, en sorte qu’ils furent fatigués, et ils firent la paix à la fin : car ils auraient tous succombé, s’ils n’avaient pas fait la paix, puisqu’ils étaient en nombre égal. Puis Cathba et ses gens, ainsi que l’autre héros et ses gens, se rendirent en Ulster et tuèrent les douze tuteurs de la jeune fille, car ceux-ci étaient tous dans une maison en train de festoyer ; personne ne put s’échapper, à l’exception de la jeune fille, et on ne sut pas qui avait accompli ce meurtre. Aussitôt, avec de grands cris, elle alla trouver son père. Le père lui dit qu’il ne pourrait la venger, puisqu’on ne savait qui avait accompli le meurtre. Elle en fut très courroucée.

Puis, la jeune fille partit en expédition héroïque, avec une troupe de trois fois neuf hommes, pour venger ses tuteurs. Alors elle frappait et dévastait chaque territoire successivement. Assa [ » facile « ] avait été son nom jusqu’à ce moment, parce qu’elle était douce. Nihassa [ » difficile « ] fut alors son nom par la suite, à cause de la rudesse (andsatu = an-assatu) de sa bravoure et de son intrépidité. Elle avait coutume de demander l’histoire des héros à chaque étranger qu’elle rencontrait pour savoir s’il connaissait le nom de l’homme qui avait tué ses tuteurs.

Une fois donc, elle fut dans un désert, et ses gens préparèrent à manger. Alors elle alla seule en avant et explora le désert comme elle avait coutume d’explorer chaque désert où elle allait. Comme elle était là, elle vit une source de lac pure et belle au milieu du désert. Alors elle entra dans l’eau pour se baigner et laissa son arme et son vêtement sur la terre. Or, Cathba vint explorer le même désert, et il arriva à la source où la jeune fille était en train de se baigner. Cathba alors vint se placer entre elle, son vêtement et son arme, puis il tira son épée et la leva au-dessus de la tête de la jeune fille. –  » Epargne-moi donc,  » s’écria Ness. –  » Accorde- moi mes trois demandes,  » répondit Cathba. –  » Tu les obtiendras,  » reprit Ness. –  » Ce qui m’est venu à l’esprit est de te mettre sous ma protection,  » dit Cathba,  » c’est-à-dire qu’il y aura paix entre nous, alliance entre nous et que tu seras ma seule femme pour longtemps.  » –  » Cela vaut mieux pour moi que d’être tuée par toi, puisque je n’ai point mon arme,  » dit la jeune fille. Ils se réunirent ensuite eux et leurs gens dans un

seul endroit. Puis Cathba, au moment favorable, alla en Ulster et chez le père de Ness. Celui-ci leur fit bon accueil et leur donna une terre. C’était Raith Cathbad, dans le pays des Pictes, dans le voisinage du fleuve qui porte le nom de Conchobar, en Crich Rois.

Or une très grande soif s’empara de Cathba pendant une nuit. Alors Ness alla lui chercher à boire à travers tout le château et ne trouva rien à lui donner. Puis elle alla jusqu’au Conchobar, c’est-à-dire au fleuve, filtra de l’eau dans la coupe à travers son voile, et l’apporta ensuite à Cathba. –  » Allumons une lumière,  » dit Cathba,  » pour voir l’eau.  » Or il y avait deux vers dans l’eau. Alors Cathba tira son épée et la leva sur la tête de sa femme pour la tuer. –  » Bois donc toi-même,  » dit Cathba,  » ce que tu voulais me faire boire à moi, ou bien tu mourras si tu ne bois pas cette eau.  » Alors Ness boit deux gorgées d’eau et avale un ver à chaque gorgée. Puis elle fut grosse le temps que toute femme est grosse, et c’était de ces vers qu’elle était grosse, au dire de quelques-uns. Mais Fachtna Fathachl [roi d’Ulster] était l’amant de Ness, et ce fut lui qui la rendit grosse, ce ne fut pas Cathba, le noble druide.

Cathba alla une fois s’entretenir avec le roi, c’est-à-dire avec Fachtna Fathach, fils de Rudraigé, et il arriva avec sa femme à Mag Inis. Les douleurs prennent Ness en voyage. –  » Si cela était en ton pouvoir ô femme,  » dit Cathba,  » ne mets pas au monde avant demain l’enfant qui est dans ton sein, car alors ton fils sera roi d’Ulster ou de l’Irlande entière, et son nom restera en Irlande à jamais: c’est en effet à l’anniversaire du même jour que naîtra l’enfant illustre dont la gloire et la puissance se sont étendues sur le monde, c’est-à-dire Jésus-Christ, fils du Dieu toujours vivant.  » –  » Je ferai la chose à l’heure dite,  » répondit Ness ;  » et à moins que l’enfant ne sorte par mon côté, il ne sortira point par ailleurs jusqu’à ce que ce moment arrive. « 

C’est alors que Ness alla à la prairie qui était sur la rive du fleuve qui portait le nom de Conchobar ; elle s’assit sur une pierre qui était sur le bord du fleuve, et ainsi lui vinrent les douleurs de l’enfantement. C’est alors aussi que Cathba prédit en ces vers la naissance de Conchobar; il parla comme il suit:

0 Ness, tu es en danger!
Que chacun se lève devant ton accouchement
On ne trouve rien pour calmer ta douleur
Belle est la couleur de ta main;
0 fille deochu Buidhé!
Ne te lamente pas, ô femme
Il sera le chef de centaines d’hommes et des armées
Du monde, ton fils.

Ils auront la même prospérité et le même avantage
Et lui et le roi du monde.
Chacun les louera
Jusqu’au jour du jugement.
La même nuit ils naîtront.
Les héros n’oseront point les attaquer;
Comme otage ils ne seront point pris,
Ni lui, ni le Christ.

En Mag-Inis tu l’enfanteras
Sur la pierre, dans la prairie.
Glorieuse sera son histoire.
Il sera, lui, le roi plein de grâce,
Il sera, lui, le chien d’Ulster,
Qui prendra les otages des héros.
Grande sera la honte,
S’il tombe…

Conchobar sera son nom,
Pour quiconque l’appellera.
Rouges seront ses armes,
Et il se distinguera dans le grand carnage.
Alors il trouvera la mort,
En vengeant le Dieu digne de pitié.
Visible sera la trace de son épée,
Sur la plaine en pente de Laim.

Il ne sera pas le fils de Cathba,
L’homme beau et industrieux.
Cependant il est aimé de moi,
Parce que…
Il sera le fils de Fachtna Fathach.
Comme le sait Scathach,
Il prendra des otages bien souvent
Au nord et au sud. 0 Ness

0 Ness, tu es en danger!
Que chacun se lève devant ton accouchement
On ne trouve rien pour calmer ta douleur
Belle est la couleur de ta main
0 fille deochu Buidhé !
Ne te lamente pas, ô femme
Il sera le chef de centaines d’hommes et des armées
Du monde, ton fils.

C’est alors que Ness mit au monde l’enfant qui était dans son sein, c’est-à-dire l’enfant illustre, renommé, l’enfant promis dont la gloire se répandit sur l’Irlande ; et la pierre sur laquelle il naquit subsiste encore : c’est en face d’Airgdig, à l’ouest. Voici ensuite comment naquit ce fils : il avait un ver dans chaque main, il tomba à la renverse dans le fleuve qui s’appelle Conchobar ; le flot passa sur lui jusqu’à ce que Cathba parvint à le saisir. On lui donna son nom d’après le nom du fleuve, on l’appela Con chobar, fils de Fachtna. Cathba prit l’enfant sur son sein, rendit grâces pour sa naissance, et fit une prophétie sur lui, en chantant le poème que voici

Bienvenu l’hôte qui est arrivé ici,
Comme on vous l’a annoncé,
Lejeune fils du noble Cathba
Il sera une puissance pleine de grâce.

Lejeune fils du noble Cathba
Et de Ness la forte
Dominera par sa puissance les collines de l’Irlande.
Mon fils, mon petit enfant

Mon fils, mon petit enfant,
Bientôt ornement du monde
Il sera un roi plein de grâce
Il sera poète, il sera généreux.

Il sera poète, il sera généreux
Il sera le chef des guerriers sur la mer,
Et de ma troupe sur la rive,
Mon petit chat, tête chérie !

Bienvenu l’hôte qui arrive ici,
Comme on vous l’a annoncé,
Lejeune fils du noble Cathba
Il sera une puissance pleine de grâce.

Cet enfant fut ensuite élevé par Cathba; c’est pourquoi il fut appelé Conchobar, fils de Cathba. Après cela, Conchobar devint roi d’Ulster par le droit de sa mère et de son père, car Fachtna Fathach, fils de Rudraighé, roi d’Irlande, était son père, et ce fut lui qui engendra Conchobar à la place de Cathba. Et c’est par la force de la valeur et de la magie’ de cet homme, c’est-à-dire de Cathba, que fut gagnée sur Ailill et Medb la célèbre et terrible bataille de Forgarach et Ilgarach, quand les vaches de Cualngé furent enlevées de la province d’Ulster. Fin.