Voici l’histoire du cycle mythologique irlandais que l’on appelle La mort tragique des Enfants de Lir.
Contenus
ToggleCHAPITRE I
Bove Derg élu Roi des Dedannans
Après la bataille de Tailltenn, les Dedannans des cinq provinces d’Erin se réunirent en un lieu d’assemblée, afin d’examiner leur état, et de choisir un roi. Car leurs seigneurs disaient qu’il était préférable pour eux d’avoir un roi au-dessus de tous, que d’être divisés, comme ils étaient, desservant divers seigneurs et princes.
Alors, de ceux qui espéraient obtenir la souveraineté pour eux-mêmes, les seigneurs suivants étaient les plus nobles, à savoir: Bove Derg, le fils du Dagda, son frère Angus, de Bruga sur la Boyne, qui, cependant, n’avait pas de désir ardent de devenir roi, préférant rester ce qu’il était; Ilbrec de Assaroe; Lir de Shee Finnaha et Midir le Hautain de Bri-Leth.
Donc les seigneurs allèrent au conseil, exceptés les cinq nommés ci-dessus, et la décision à laquelle ils arrivèrent fut d’élire Bove Derg, le fils du Dagda, roi de l’ensemble du peuple Dedannan. Lorsque l’élection fut portée à la connaissance de tous, aucun de ceux qui étaient déçus ne prit l’affaire à coeur, hormis le seul Lir de Shee Finnaha. Et quand Lir constata que les seigneurs avaient choisi Bove Derg, il fut grandement offensé, et aussitôt quitta l’assemblée en colère, sans prendre congé de quiconque, et sans montrer aucun signe de respect ou d’obéissance au nouveau roi.
Lorsque les seigneurs apprirent cela, ils furent irrités, et ils déclarèrent qu’ils le suivraient jusqu’à Shee Finnaha, et le tueraient par la lance et par l’épée, et brûleraient sa maison, parce qu’il ne prêtait pas obéissance au roi qu’ils avaient élu en conseil souverain.
Mais Bove Derg ne leur permit pas de le faire. « Cet homme, dit-il, va défendre son territoire, et beaucoup seront tués, et je n’en suis pas moins votre roi, bien qu’il ne se soit pas soumis à moi. »
Les choses restèrent ainsi pour longtemps. Mais enfin un grand malheur arriva à Lir, car sa femme mourut après une maladie de trois jours. Cela pesa lourdement sur lui, et son coeur était plein de regrets après elle. Sa mort, d’ailleurs, fut un grand événement à l’époque, et il en était beaucoup parlé à travers Erin.
Quand la nouvelle arriva à la demeure de Bove Derg, où les seigneurs des Dedannans étaient alors assemblés, le roi dit:
« Comme la femme de Lir est maintenant décédée, mon amitié lui serait utile, s’il était disposé à l’accepter. Car j’ai dans ma maison trois jeunes filles, les plus belles et les plus instruites dans tout Erin, à savoir, Eve, Eva, et Alva, mes propres enfants adoptifs, et les filles de Allil de Ara. «
Les Dedannans convinrent de cela, et dirent que leur roi avait parlé avec sagesse et vérité.
Des messagers furent donc envoyés à Lir, et on leur indiqua de lui dire:
« Si tu es prêt à te soumettre au roi, il te donnera pour femme une de ses trois enfants adoptifs, et tu auras son amitié pour toujours. »
Il plaisait à Lir de contracter cette alliance, et en conséquence, il partit le lendemain de Shee Finnaha avec une compagnie de cinquante chars; et ils ne s’arrêtèrent ni ne se détournèrent jusqu’à ce qu’ils atteignent le palais de Bove Derg, sur le bord du Grand Lac . Leur arrivée apporta beaucoup de joie et de bonheur au roi et à sa maisonnée, car bien que Lir ne se fût pas d’abord soumis à Bove Derg, c’était un homme bon, et il était très aimé du roi lui-même et de tous ses sujets. Aussi Lir et ses partisans reçurent-ils un accueil bienveillant, et on leur fournit tout le nécessaire, et ils furent bien servis cette nuit-là.
Le lendemain, les trois filles de Allil d’Ara s’assirent sur la même couche que la reine leur mère nourricière, et le roi dit à Lir:
« Fais ton choix parmi les trois jeunes filles, et quelle que soit celle que tu choisiras, elle sera ta femme. »
« Elles sont toutes belles, déclara Lir, et je ne peux dire laquelle surpasse les autres, aussi vais-je prendre l’aîné, car elle doit être la plus noble des trois. »
Alors le roi dit: « Eve est l’aîné, et elle te sera donnée si c’est ton désir. »
Alors Lir choisit Eve pour sa femme, et ils se marièrent le jour même.
Lir séjourna une quinzaine de jours dans le palais du roi, puis il repartit avec sa femme pour sa propre maison, Shee Finnaha, où il fêta son mariage par un grand festin de noces royales.
CHAPITRE II
Les Enfants de Lir
Avec le temps, l’épouse de Lir lui donna deux enfants en même temps, une fille et un fils, dont les noms étaient Finola et Aed. Une seconde fois, elle mit au monde deux jumeaux, deux fils, qui furent appelés Ficra et Conn, et elle mourut en leur donnant naissance. Cela fut source de grande douleur pour Lir, et il serait presque mort de chagrin, si seulement son esprit n’avait été détourné de sa tristesse par son grand amour pour ses quatre petits enfants.
Quand les nouvelles de la mort d’Eve arrivèrent à la demeure de Bove Derg, le roi fut dans une profonde douleur, et les gens de sa maison poussèrent trois grands cris de lamentation pour elle. Et quand leur deuil fut terminé, le roi dit:
« Nous pleurons pour notre enfant nourricier, à la fois pour son propre compte et pour l’amour de l’homme de bien auquel nous l’avions donnée, car nous sommes reconnaissants pour son alliance et son amitié. Mais notre relation ne sera pas terminée, et notre alliance ne sera pas rompue, car je vais lui donner sa soeur pour femme, mon deuxième enfant adoptif, Eva. »
Des messagers furent envoyés à Lir à Shee Finnaha, pour lui parler de cela, et il y consentit. Ainsi, après quelque temps, il vint à la maison du roi pour l’épouser, et ils furent unis; et il l’emmena chez lui dans sa propre maison.
Les quatre enfants grandirent sous la garde d’Eva. Elle les soignait avec tendresse et son amour pour eux augmentait chaque jour. Ils dormaient près de leur père, et il se levait souvent de son lit à l’aube, et allait à leur lit, pour parler avec eux et les caresser.
Le roi, Bove Derg, les aimait presque autant que leur père. Il allait plusieurs fois chaque année à Shee Finnaha pour les voir, et il avait l’habitude de les ramener souvent dans son palais, où il les gardait aussi longtemps qu’il le pouvait à chaque fois, et il se sentait toujours triste quand il les renvoyait chez eux.
A cette époque, également, les Dedannans avaient l’habitude de célébrer la Fête du Temps dans la maison de leurs seigneurs, à tour de rôle, et quand la fête se déroula à Shee Finnaha, ces enfants firent les délices et la joie des Dedannans. Car nulle part on ne pouvait trouver quatre enfants aussi beaux, de sorte que ceux qui les voyaient étaient toujours ravis par leur beauté et leur douceur, et ne pouvaient s’empêcher de les aimer de tout leur coeur.
CHAPITRE III
Les quatre Enfants de Lir sont transformés en quatre cygnes blancs par leur belle-mère
Alors, quand Eva vit que les enfants de Lir recevaient tant d’attention et d’affection de la part de leur père, et de tous les autres qui venaient chez lui, il lui sembla qu’elle était négligée à leur profit, et un dard venimeux de jalousie entra dans son coeur, ce qui tourna son amour en haine, et elle commença à avoir des sentiments d’inimitié amère pour les enfants de sa soeur.
Sa jalousie l’empoisonna tant qu’elle feignit la maladie, et s’alita pendant près d’un an, remplie de fiel et ourdissant des méfaits, et, au bout de ce temps, elle commit un acte mauvais et cruel de trahison sur les enfants de Lir.
Un jour, elle ordonna que ses chevaux soient attelés à son char, et elle partit pour le palais de Bove Derg, emmenant les quatre enfants avec elle.
Finola ne voulait pas partir, car il lui avait été révélé dans un rêve sombre que Eva tenait à quelque acte terrible de fratricide, et elle savait bien que sa belle-mère avait l’intention de les tuer, elle et ses frères, ce jour-là, ou d’une autre manière d’attirer la ruine sur eux. Mais elle n’était pas en mesure d’éviter le sort qui l’attendait.
Quand ils furent allés assez loin de Shee Finnaha sur leur chemin vers le palais, Eva essaya de convaincre ses gens de tuer les enfants. « Tuez-les, et vous serez récompensés avec toutes les richesses de ce monde que vous pouvez désirer, car leur père ne m’aime plus, et il m’a négligée et abandonnée à cause de son grand amour pour ces enfants. »
Mais ils entendirent ses propos avec horreur, et refusèrent, en disant: « Nous n’allons pas les tuer. Effrayant est l’acte que tu as envisagé, Ô Eva, et un malheur t’arrivera sûrement rien même que pour avoir songé à les tuer».
Puis elle prit l’épée pour les tuer elle-même, mais sa faiblesse de femme l’en empêcha, et elle ne fut pas en mesure de les frapper.
Alors ils avancèrent une fois de plus, et voyagèrent jusqu’à ce qu’ils arrivent au bord du lac Darvra, où ils s’arrêtèrent, et les chevaux furent dételés.
Elle conduisit les enfants au bord du lac, et leur dit d’aller se baigner, et dès qu’ils furent entrés dans l’eau claire, elle les frappa un à un avec une baguette druidique, et les transforma en quatre beaux cygnes blancs comme neige. Et elle leur adressa ces mots:
« Allez à votre domicile, vous cygnes, sur les vagues de Darvra; Avec les oiseaux bruyants commence votre vie de tristesse: Vos amis pleureront votre sort, mais aucun ne pourra vous sauver; Car j’ai prononcé les mots terribles du destin. »
Après cela, les quatre enfants de Lir tournèrent leurs visages vers leur belle-mère, et Finola parla :
« Mauvais est l’acte que tu as commis, Eva; ton amitié pour nous a été une amitié de trahison, et tu as causé notre ruine sans raison. Mais l’acte sera vengé, car la puissance de ta sorcellerie n’est pas plus grande que la puissance druidique que nos amis utiliserons pour te punir, et le destin qui t’attend est pire que le nôtre. »
Notre belle-mère nous a aimés il y a longtemps;
Notre belle-mère a maintenant forgé notre malheur:
D’un coup de baguette magique et par de terribles paroles,
Elle nous a changé en beaux oiseaux blancs comme neige;
Et nous vivrons sur les eaux pour l’éternité,
Par les tempêtes chassés de rivage en rivage.
Finola parla de nouveau et dit: « Dis-nous maintenant combien de temps nous serons sous forme de cygnes, de sorte que nous sachions quand nos misères seront arrivées à leur terme. »
« Il aurait mieux valu pour vous que vous n’ayez pas posé cette question, dit Eva, mais je vais vous dire la vérité, comme vous l’avez demandée. Trois cents ans sur le calme lac Darvra, trois cents ans sur la mer de Moyle, entre Erin et Alban, trois cents ans à Irros Domnann et à Inis Glora sur la mer de l’Ouest. Jusqu’à l’union de Largnen, le prince du nord, avec Decca, la princesse du sud, jusqu’à le Taillkenn vienne en Erin, apportant la lumière d’une foi pure et jusqu’à ce que vous entendiez le son de la cloche chrétienne. Et ni par votre propre pouvoir, ni par le mien, ni par la puissance de vos amis, vous ne pourrez être libérés jusqu’à ce que le moment soit venu. »
Alors Eva se repentit de ce qu’elle avait fait, et elle dit: « Puisque je ne peux vous donner aucune autre réparation, je vais vous permettre de garder votre propre langue gaélique, et vous serez capable de chanter une douce et plaintive musique de fées, qui surpassera toutes les musiques du monde, et qui endormira tous ceux qui l’écouteront. En outre, vous conserverez votre raison humaine, et vous ne serez point dans la douleur à cause de votre forme de cygne. »
Et elle chanta ce lai:
Éloignez-vous de moi, vous cygnes gracieux;
Les eaux sont maintenant votre domicile:
Votre palais est la grotte de nacre,
Votre couche la crête de la vague de cristal,
Et votre manteau l’écume à la blancheur de lait!
Éloignez-vous de moi, ô cygnes blancs comme neige
Avec votre musique et la parole gaélique:
Le Darvra cristallin , la Moyle hivernale,
Les rives houleuses de l’île de Glora;
Trois cents ans sur chacun!
Lir le Victorieux , votre père malheureux,
Ses bien aimés en vain il appellera;
Son coeur lourd est une bogue pleine de sang,
Sa maison est sans joie pour toujours,
Et sa colère sur moi fondra!
À travers les cycles de chagrin et de peur du temps
Si nulle langue ne peut dire notre angoisse ;
Jusqu’à ce que la Foi verse ses rayons célestes,
Jusqu’à ce que vous entendiez l’hymne de louange du Taillkenn,
Et la voix de la cloche chrétienne!
Puis, ordonnant que ses chevaux soient attelés à son char, elle partit vers l’ouest, laissant les quatre cygnes blancs nager sur le lac.
Notre père guettera et pleurera en vain;
Jamais il ne nous verra revenir.
Quatre beaux enfants, heureux à la maison;
Quatre cygnes blancs sur l’écume plumeuse;
Et nous vivrons sur les eaux pour l’éternité,
Par les tempêtes chassés de rivage en rivage.
CHAPITRE IV
Les quatre cygnes blancs du lac Darvra.
Quand Eva parvint à la maison de Bove Derg, les seigneurs lui souhaitèrent la bienvenue, et le roi lui demanda pourquoi elle ne lui avait pas amené les enfants de Lir.
« Parce que, répondit-elle, Lir ne t’aime plus, et il ne veut pas te confier ses enfants, de crainte que tu ne leur nuise. »
Le roi fut très étonné et troublé par cela, et il dit: « Comment cela peut-il être? Car j’aime ces enfants bien plus que je n’aime les miens. »
Mais il imagina dans son esprit que Eva avait tramé quelque trahison à leur égard. Il envoya des messagers rapides vers le nord pour Shee Finnaha, s’enquérir des enfants, et demander qu’ils lui soient envoyés.
Quand les messagers eurent porté leur message, Lir fut surpris, et il demanda: « Les enfants n’ont-ils pas atteint le palais avec Eva? »
Ils répondirent: « Eva est arrivée seule, et elle a dit au roi que vous avez refusé de laisser les enfants venir. »
Lir eut le coeur triste et douloureux lorsqu’il entendit cela, et alors il fut persuadé que Eva avait anéanti ses quatre beaux enfants. Aussi, tôt le lendemain matin, son char fut-il attelé pour lui, et il partit avec sa suite pour le palais du roi, et ils voyagèrent à toute vitesse jusqu’à ce qu’ils arrivent à la rive du lac Darvra.
Les enfants de Lir virenr approcher la cavalcade, et Finola dit ces paroles:
Je vois une troupe magique de guerriers,
De la crête là-bas, venir vers le rivage ;
Je les vois descendre dans la vallée,
Leurs chars courbés avançant lentement;
Je vois leurs boucliers et les mailles dorées,
Leurs lances et leurs casques étincelant intensément.
Ah! je connais bien ce fier équipage;
Je connais trop bien leurs pensées aujourd’hui:
La troupe Dedannan et le royal Lir;
Quatre enfants roses ils recherchent:
Trop tôt, hélas! ils nous trouveront ici,
Quatre cygnes neigeux comme des enfants parlant!
Allons, chers frères, approchons de la côte,
Pour accueillir la troupe mystérieuse de Lir.
Oh, lamentable bienvenue ! lamentable jour,
Qui n’apportera jamais de brillant lendemain!
Malheureux père, condamné pour toujours
A pleurer notre destin dans la douleur sans espoir!
Lorsque Lir approcha de la rive, il entendit les oiseaux parler, et, empli d’étonnement, il leur demanda comment il se faisait qu’ils aient voix humaine.
« Sache, Lir, dit Finola, que nous sommes tes quatre enfants, qui ont été changés en cygnes et condamnés par la sorcellerie de notre belle-mère, la soeur de notre propre mère, Eva, à cause de sa jalousie funeste. »
Lorsque Lir et son peuple entendirent cela, ils poussèrent trois longs cris douloureux de chagrin et de lamentation.
Après un temps, leur père leur demanda: « Est-il possible de vous rendre vos formes premières?
« Ce n’est pas possible », répondit Finola; « aucun homme n’a le pouvoir de nous libérer jusqu’à ce que Largnen du nord et Decca du sud soient unis. Trois cents ans nous serons sur le lac Darvra, trois cents ans sur les courants de la mer de Moyle, trois cents ans sur la mer de Glora à l’ouest. Et nous n’allons pas reprendre notre forme humaine avant que Taillkenn ne vienne avec sa foi pure en Erin, ni avant que nous n’entendions la voix de la cloche chrétienne. »
Et de nouveau, le peuple poussa trois grands cris de douleur.
« Puisque vous avez conservé votre langage et votre raison, dit Lir, venez à terre, et vous vivrez à la maison, vous entretenant avec moi et mon peuple. »
« Nous ne sommes pas autorisés à quitter les eaux du lac, et nous ne pouvons plus vivre avec notre peuple. Mais la méchante Eva nous a permis de conserver notre raison humaine, et notre langue gaélique, et nous avons aussi le pouvoir de chanter la musique plaintive des fées, si douce que ceux qui nous écoutent ne voudraient jamais connaitre d’autre bonheur. Reste avec nous ce soir, et nous chanteront notre musique pour vous. »
Lir et son peuple restèrent sur la rive du lac et les cygnes chantèrent leur lente musique des fées, qui était si douce et si triste, que le peuple, alors qu’il écoutait, tomba dans un calme et doux sommeil.
À la lueur de l’aube le lendemain matin, Lir se leva, et il dit adieu à ses enfants pour moment, pour partir chercher Eva.
Le moment est venu pour moi de partir:
Plus jamais, hélas! mes chers enfants,
Vos sourires roses n’égaieront mon coeur,
Ni la lumière la maison sombre de Lir.
Sombre fut le jour où la première fois j’emmenai
Cette Eva vivre chez moi!
Dur a été le coeur de la femme qui a opéré
Ce sort cruel et malin!
Je me couche pour me reposer, en vain;
Car pendant la nuit infinie sans sommeil,
Mes petits adorés, tels qu’en eux-mêmes,
Se tiennent toujours là, devant mes yeux.
Finola, autrefois ma fierté et ma joie;
Le sombre Aed, aventureux et audacieux;
Le brillant Ficra, aimable, garçon espiègle;
Et le petit Conn, avec ses boucles d’or;
Attachés aux rives couvertes de roseaux de Darvra,
Par le pouvoir magique mauvais d’Eva:
Oh, enfants, enfants, jamais plus
Mon coeur ne connaitra une heure de paix!
Lir alors s’en alla, et voyagea vers sud-ouest jusqu’à ce qu’il arrive au palais du roi, où il fut accueilli, et Bove Derg commença à lui reprocher, en présence d’Eva, de n’avoir pas amené les enfants.
« Hélas, dit Lir, ce n’est pas par moi que les enfants ont été empêchés de venir. Mais Eva, votre enfant nourricier, la soeur de leur mère, par un tour félon les a métamorphosés par sa sorcellerie en quatre blancs cygnes sur le lac de Darvra.
Le roi fut confondu et affligé par ces nouvelles, et quand il regarda Eva, il sut par son visage que ce que Lir lui avait dit était vrai, et il commença à le lui reprocher d’une voix rude et pleine de colère.
« Le tour méchant que tu as commis, dit-il, sera pire pour toi que pour les enfants de Lir, car leur souffrance parviendra à une fin, et ils seront enfin heureux. »
De nouveau, il lui parla plus férocement qu’avant, et il lui demanda quelle forme parmi toutes les autres, sur la terre ou au-dessus de la terre, ou sous la terre, elle avait le plus en horreur, et dans laquelle elle redoutait le plus d’être métamorphosée.
Et elle, qui était obligé de répondre sincèrement, déclara: « Un démon de l’air ». « C’est l’apparence que tu prendras, dit Bove Derg, et comme il parlait, il la frappa avec une baguette magique druidique, et la métamorphosa en démon de l’air. Elle ouvrit ses ailes, et s’envola avec un cri vers les hauteurs et loin à travers les nuages, et elle est encore un démon de l’air, et elle doit rester un démon de l’air, jusqu’à la fin des temps.
Puis Bove Derg et les Dedannans se rassemblèrent sur la rive du lac, et campèrent là, car ils souhaitaient rester avec les oiseaux, et écouter leur musique. Les Milésiens accoururent et installèrent là un campement de la même manière, car les historiens disent qu’aucune musique qui ait jamais été entendue en Erin ne pourrait être comparée avec le chant de ces cygnes.
Et ainsi les cygnes passèrent leur temps. Pendant la journée ils s’entretenaient avec les hommes d’Irlande, aussi bien les Dedannans que les Milésiens, et discutèrent avec amour avec leurs amis et compagnons nourriciers, et la nuit ils chantaient leur musique lente et douce des fées, la plus agréable qui ait jamais été entendue par les hommes, de sorte que tous ceux qui l’écoutaient, même ceux qui étaient dans le chagrin, la maladie ou la douleur, oubliaient leurs peines et leurs souffrances, et tombaient dans un doux sommeil, d’où ils se réveillaient heureux et radieux.
Ainsi ils continuèrent, les Dedannans et les Milésiens, dans leurs campements, et les cygnes sur le lac, durant trois cents ans. Et au bout de ce temps, Finola dit à ses frères :
« Savez-vous, mes chers frères, que nous sommes arrivés à la fin de notre séjour ici, et qu’il ne nous reste plus que cette nuit à passer sur le lac Darvra? »
Lorsque les trois fils de Lir entendirent cela, ils furent en grande détresse et chagrin, car ils étaient presque aussi heureux sur le lac Darvra, entourés de leurs amis, et à converser avec eux au jour le jour, que si ils avaient été dans la maison de leur père en leurs propres formes naturelles, alors qu’ils devraient désormais vivre sur la mer sombre et tempétueuse de Moyle, loin de toute société humaine.
Tôt le lendemain matin, ils arrivèrent au bord du lac, pour parler à leur père et à leurs amis pour la dernière fois, et leur dire adieu, et Finola chanta ce lai:
I
Adieu, adieu, notre cher père!
La triste heure dernière est venue:
Adieu, Bove Derg! adieu à tous,
Jusqu’au jour terrible de la malédiction!
Nous quittons les amis et les paysages bien-aimés,
Pour une maison de chagrin et de douleur;
Et ce jour de malheur
Doit venir et finir,
Avant que nous ne nous rencontrions de nouveau!
II
Nous vivrons pendant des siècles sur l’orageuse Moyle,
Dans la solitude et la peur;
Les douces paroles d’amis aimants
Nous ne les entendrons plus jamais.
Quatre joyeux enfants il y a longtemps;
Quatre cygnes blancs comme neige aujourd’hui;
Et sur la mer sauvage de Moyle
Nos couvertures seront
Les embruns froids et salés.
III
Là-bas, sur le fleuve brumeux du temps,
Quand trois cents ans auront passés
Trois cents de plus dans la tempête et le froid,
Sur les rivages désolés de Glora;
Jusqu’à ce que la noble Decca soit l’épouse de Largnen;
Jusqu’à ce que Nord et Sud s’unissent;
Jusqu’à ce que les hymnes soient chantés,
Et que les cloches sonnent,
A l’aube de la lumière de la foi pure
IV
Levez-vous, mes frères, des flots de Darvra,
Sur les ailes du vent du sud;
Nous laissons père et amis aujourd’hui
Derrière nous dans la douleur incommensurable.
Ah! triste, la séparation, et triste notre vol
Vers le coeur tempétueux de Moyle;
Car le jour de malheur
Doit venir et finir,
Avant que nous ne nous rencontrions de nouveau!
Les quatre cygnes alors déployèrent leurs ailes, et s’élevèrent au-dessus de la surface de l’eau à la vue de tous leurs amis, jusqu’à ce qu’ils atteignent une grande hauteur dans l’air. Puis, après s’être reposer en regardant vers le bas pendant un moment ils volèrent tout droit vers le nord, jusqu’à ce qu’ils aient atteint la mer de Moyle entre Erin et Alban.
Les hommes d’Irlande furent affectés par leur départ, et ils firent une loi, et proclamèrent dans tout le pays, que personne ne devait tuer un cygne dans Erin à partir de ce jour.
CHAPITRE V
Les quatre cygnes blancs sur la mer de Moyle
Quant aux enfants de Lir, misérable était leur refuge et mauvaise leur situation sur la mer de Moyle. Leur coeur était tordu de douleur pour leur père et leurs amis, et quand ils regardaient vers les côtes abruptes, rocheuses, qui s’étendaient au loin, et voyaient la grande mer obscure et sauvage autour d’eux, ils étaient envahis par la peur et le désespoir. Ils commencèrent aussi à souffrir du froid et de la faim, de sorte que toutes les épreuves qu’ils avaient endurées sur le lac Darvra ne semblaient rien comparées à leur souffrance sur le courant marin de Moyle.
Et c’est ainsi qu’ils vécurent, jusqu’à ce qu’une nuit une grande tempête s’abatte sur la mer. Quand elle vit le ciel rempli de nuages noirs et menaçants, Finola s’adressa à ses frères:
« Chers frères, nous nous somme mal préparés pour cette nuit, car il est certain que la tempête qui vient nous séparera, et maintenant nous devons choisir un lieu de réunion, ou il se pourrait que nous ne nous revoyions plus. »
Et ils répondirent: « Chère soeur, tu parles vrai et sagement, choisissons donc Carricknarone, car c’est un rocher que nous connaissons très bien. »
Et ils choisirent Carricknarone comme lieu de réunion.
Minuit arriva, et avec lui le début de la tempête. Un vent sauvage et brutal balaya la mer sombre, les éclairs zébrèrent [le ciel], et les grandes vagues se levèrent, et leur violence et leur grondement augmentèrent.
Les cygnes furent rapidement dispersés sur les eaux, de sorte que pas un seul d’entre eux ne sut dans quelle direction les autres avaient été chassés. Durant toute cette nuit, ils furent ballottés par les vents rugissants et les vagues, et c’est avec beaucoup de difficultés qu’ils préservèrent leurs vies.
Vers le matin la tempête s’apaisa, et la mer redevint calme et lisse, et Finola nagea vers Carricknarone. Mais elle ne trouva aucun de ses frères là-bas, elle ne put voir aucune trace d’eux quand elle regarda tout autour du sommet de la roche surplombant le large front de la mer.
Alors elle est fut terrifiée, car elle pensait ne plus jamais les revoir, et elle commença leur lamentation plaintive en ces termes:
L’angoisse crève-coeur et le malheur de cette vie
Je ne suis plus en mesure de les supporter:
Mes ailes sont engourdies par ce gel sans pitié;
Mes trois petits frères sont dispersées et perdus;
Et je suis abandonnée ici au désespoir.
Mes trois petits frères, plus je ne les verrai
Jusqu’à ce que les morts se relèvent de la tombe:
Comme je les abritais souvent de mes ailes et de ma poitrine,
Et j’apaisais leurs chagrins et berçais leur repos,
Tandis que la nuit ténébreuse tombait autour de nous !
Ah, où sont mes frères, et pourquoi ai-je vécu,
Cette dernière affliction la pire à connaitre ?
Que reste-t-il maintenant sinon une vie de désespoir?
Car, hélas! Je ne suis plus en mesure de supporter
Cette angoisse crève-coeur et ce malheur.
Peu après, elle regarda à nouveau sur la mer, et elle vit Conn venir vers le rocher, avec sa tête basse, et ses plumes toutes trempées par les embruns de sel, et elle l’accueillit avec un coeur joyeux.
Peu de temps après, Ficra apparut, mais il était si affaibli par la pluie et le froid et les privations, qu’il était à peine capable d’atteindre l’endroit où Finola et Conn se tenaient, et quand ils lui parlèrent, il ne put prononcer un seul mot en retour. Alors Finola les mit tous deux sous ses ailes, et elle dit :
« Si Aed était là maintenant, tout serait gai pour nous. »
En peu de temps ils virent Aed venir vers eux, la tête haute, les plumes toutes sèches et radieux; et Finola lui fit un accueil joyeux. Elle le mit ensuite sous les plumes de sa poitrine, tandis que Conn et Ficra restaient sous ses ailes, et elle leur dit:
« Mes chers frères, bien que vous puissiez juger cette nuit très mauvaise, nous en aurons beaucoup comme elle à partir de maintenant. »
Ainsi ils vécurent pendant longtemps sur la mer de Moyle, éprouvant des difficultés de toute sorte, jusqu’à ce qu’une nuit d’hiver un grand vent, la neige et un givre très rigoureux ne viennent sur eux, tels que rien de ce qu’ils avaient subi ne pouvait être comparé à la détresse de cette nuit-là. Finola prononça ces paroles:
Notre vie est une vie de malheur;
Nul abri ni repos, nous ne trouvons:
Que la neige se rue âprement;
Que froid est ce vent hivernal!
Des embruns glacés de la mer,
Du vent du sombre nord-est,
Je protége mes trois frères,
Sous mes ailes et ma poitrine.
Notre belle-mère nous a envoyés ici,
Et nous connaissons bien la détresse :
Dans le froid et la faim et la peur;
Notre vie est une vie de malheur!
Une autre année se passa sur la mer de Moyle, et une nuit de janvier, un gel terrible s’abattit sur la terre et la mer, de sorte que les eaux furent gelées et devinrent un solide plancher de glace tout autour d’eux. Les cygnes restèrent sur Carricknarone toute la nuit, et leurs pieds et leurs ailes furent pris dans la glace, de sorte qu’au matin ils durent batailler dur afin de quitter leur place, et ils laissèrent la peau de leurs pieds, les pennes de leurs ailes et les plumes de leurs poitrines accrochées à la roche.
« Triste est notre condition, cette nuit, mes frères bien-aimés, déclara Finola, il nous est interdit de quitter la mer de Moyle, et pourtant nous ne souffrirons pas l’eau salée, car si elle entre dans nos plaies, je crains que ne mourions de douleur. »
Et elle dit ce lai:
Notre sort est déplorable ici aujourd’hui;
Nos corps nus et gelés,
Trempés par les embruns aigres et saumâtres,
Et déchirés sur cette colline rocailleuse!
Cruel le coeur jaloux de notre belle-mère
Qui nous bannit de la maison;
Transformés en cygnes par l’art magique,
Pour ramer l’écume de l’océan
Ce jour d’hiver sombre et neigeux,
Notre bain est le vaste océan;
Au rayon brûlant d’été qui assoiffe,
Notre boisson est la marée saumâtre.
Et là, au milieu de rochers escarpés, nous demeurons,
Dans cette baie tempétueuse;
Quatre enfants liés par un enchantement;
Notre sort est déplorable aujourd’hui!
Ils furent toutefois contraints de nager sur le courant de Moyle, tout blessés et déchirés qu’ils aient été, car si la saumure était âpre et amère, ils ne pouvaient l’éviter. Ils restèrent autant qu’ils le pouvaient au plus près de la côte, jusqu’à ce qu’après un long moment les plumes de leurs poitrines et de leurs ailes croissent de nouveau, et que leurs blessures soient guéries.
Après cela, ils vécurent là un grand nombre d’années, visitant parfois les rives d’Erin, et parfois les caps d’Alban. Mais ils revenaient toujours à la mer de Moyle, car elle était destinée à être leur demeure jusqu’à la fin de trois cents ans.
Un jour, ils arrivèrent à l’embouchure de la Bann, sur la côte nord d’Erin, et regardant vers l’intérieur, ils virent une imposante troupe de cavaliers approchant directement du sud-ouest. Ils étaient montés sur des chevaux blancs et vêtus de vêtements de couleurs vives, et comme ils remontaient vers le rivage leurs armes brillaient au soleil.
« Ne connaissez-vous cette cavalcade là-bas ? » demanda Finola à ses frères.
« Nous ne les connaissons pas, répondirent-ils, mais il est probable que c’est un groupe de Milésiens, ou peut-être une troupe de notre propre peuple, les Dedannans.
Ils nagèrent vers la rive, pour savoir qui étaient les étrangers, et les cavaliers de leur côté, quand ils virent les cygnes, les reconnurent aussitôt, et se dirigèrent vers eux jusqu’à ce qu’ils soient à portée de voix.
En fait, c’était un groupe de Dedannans, et les seigneurs qui les commandaient étaient les deux fils de Bove Derg, le roi Dedannan, à savoir Aed à l’Esprit-Vif, et Fergus le Joueur d’Échecs, avec un tiers de l’Armée Féerique . Ils avaient été pendant longtemps à la recherche des enfants de Lir le long des côtes septentrionales d’Erin, et maintenant qu’ils les avait trouvés, ils étaient joyeux, et eux et les cygnes se saluèrent avec de tendres expressions d’amitié et d’amour. Les enfants de Lir demandèrent [des nouvelles] des Dedannans, et notamment de leur père Lir, et de Bove Derg, et de tout le reste de leurs amis et relations.
« Ils vont tous bien, répondit le chef, et eux et les Dedannans en général, sont désormais réunis dans la maison de votre père, à Shee Finnaha, célébrant la Fête du Temps, plaisamment et agréablement. Leur bonheur serait en effet complet, si ce n’est que vous n’êtes pas avec eux, et qu’ils ne savent pas où vous êtes allés depuis que vous avez quitté le lac Darvra.
« Misérable a été notre vie depuis ce jour, dit Finola, et aucune langue ne peut dire la souffrance et la douleur que nous avons endurées sur la mer de Moyle.
Et elle chanta ces paroles:
Ah, heureux est le foyer lumineux de Lir aujourd’hui,
Avec l’hydromel, la musique, les lais des poètes:
Mais sombre et froide la demeure de ses enfants,
À jamais jetés sur l’écume saumâtre.
Nos plumes torses sont minces et légères
Quand le vent vif souffle dans la nuit hivernale:
Pourtant souvent nous étions vêtus, il y a très longtemps,
De manteaux de pourpre et de fourrures neigeuses.
Sur le sombre courant de Moyle notre nourriture et notre vin
sont herbes marines sableuses et saumure amère:
Pourtant souvent nous festoyions dans les temps anciens,
Et buvions l’hydromel au goût de noisette dans des gobelets d’or.
Nos lits sont des roches dans les grottes trempées;
Notre berceuse le grondement des vagues:
Mais de riches et douces couches autrefois nous avions,
Et des harpistes nous berçaient chaque nuit pour nous endormir.
Solitaires nous nageons sur le courant houleux,
Par le gel et la neige, par la tempête et la pluie:
Hélas pour les jours où autour de nous venaient
Les seigneurs et les princes et les amis que nous aimions!
Mes petits frères jumeaux sous mes ailes
Se tiennent serrés, quand le vent du nord pique amèrement,
Et Aed se blottit tout près de ma poitrine;
Ainsi, côté à côte dans la nuit nous reposons.
Les tendres baisers de notre père, les embrassades de Bove Derg,
La lumière du visage divin de Mannanan,
L’amour d’Angus, tous, tous sont perdus;
Et nous vivons, sur les flots pour l’éternité!
Après cela, ils se dirent adieu, car il n’était pas permis aux enfants de Lir de rester loin du courant de Moyle. Dès qu’ils se furent séparés, la Cavalcade Féerique retourna à Shee Finnaha, où ils rapportèrent aux seigneurs Dedannan tout ce qui s’était passé, et décrivirent la situation des enfants de Lir. Et les seigneurs répondirent :
« Il n’est pas en notre pouvoir de les aider, mais nous sommes heureux qu’ils soient vivants, et nous savons qu’à la fin l’enchantement sera brisé, et qu’ils seront libérés de leurs souffrances. »
Quant aux enfants de Lir, ils retournèrent à leur demeure, sur la mer de Moyle, et ils y restèrent jusqu’à ce qu’ils aient atteint le terme des années.
CHAPITRE VI
Les quatre cygnes blancs sur la mer Occidentale
Et quand leurs trois cents années furent achevées, Finola dit à ses frères « Il est temps pour nous de quitter ce lieu, car notre temps ici est venu à sa fin. »
L’heure est venue, l’heure est venue;
Trois cents ans ont passé:
Nous quittons cette demeure sombre et triste,
Et nous volons vers l’ouest, enfin!
Nous quittons pour toujours le courant de Moyle;
Sur le vent clair et froid nous allons;
Trois cents ans autour de l’île de Glora,
Où soufflent les tempêtes hivernales!
Nul demeure abritée, ni lieu de repos,
Du souffle coléreux de la tempête:
Fuyez, frères, fuyez, vers l’ouest lointain,
Car l’heure est enfin venue!
Ainsi, les cygnes quittèrent-ils la mer de Moyle, et s’envolèrent vers l’ouest, jusqu’à ce qu’ils atteignent Irros Domnann et la mer autour de l’île de Glora. Ils y restèrent pendant longtemps, souffrant beaucoup des tempêtes et du froid, et en rien mieux lotis qu’ils ne l’étaient sur la mer de Moyle.
Il arriva qu’un jeune homme nommé Ebric, de bonne famille, le propriétaire d’une parcelle de terre située le long du rivage, remarque les oiseaux et entende leurs chants.
Il prenait beaucoup de plaisir à écouter leur musique plaintive, et il descendait sur le rivage presque tous les jours, pour les voir et pour converser avec eux, de sorte qu’il vint à beaucoup les aimer, et qu’ils l’apprécièrent eux aussi. Ce jeune homme raconta à ses voisins l’histoire des cygnes qui parlaient, si bien que la nouvelle s’en répandit au loin, et c’est lui qui mit en forme le récit, après l’avoir entendu des cygnes eux-mêmes, et le raconta tel qu’il est raconté ici.
Encore une fois leurs peines recommencèrent, et décrire ce qu’ils souffrirent sur la grande mer de l’Ouest ne serait que redire à nouveau l’histoire de leur vie sur la Moyle. Mais une nuit particulière survint, il gela si fort que toute la surface de la mer, de Irros Domnann à Achill, gela sur une très grande épaisseur et la neige était poussée par un vent de nord-ouest. En cette nuit il sembla aux trois frères qu’ils ne pourraient supporter leurs souffrances plus longtemps, et ils commencèrent à se plaindre fortement et pitoyablement. Finola tenta de les consoler, mais elle n’était pas en mesure de le faire, car ils se lamentait encore plus, et puis elle se mit à se lamenter avec les autres.
Après un moment, Finola leur parla en disant: « Mes chers frères, croyez dans le grand et splendide Dieu de vérité, qui fit la terre avec ses fruits, et la mer, avec ses merveilles, mettez votre confiance en Lui, et Il vous enverra de l’aide et du réconfort. »
« Nous croyons en Lui », dirent-ils.
« Et moi aussi, dit Finola, je crois en Dieu, qui est parfait en tout, et qui connaît toutes choses. »
Et à l’heure prédestinée, ils eurent tous la foi, et le Seigneur du ciel leur envoya aide et protection, de sorte que ni le froid ni la tempête ne les frappa à partir de ce moment, tant qu’ils séjournèrent sur la mer de l’Ouest.
Ils continuèrent donc [à vivre] sur Irros Domnann, jusqu’à ce qu’ils se soient acquittés de leur temps prévu là-bas. Et Finola s’adressa aux fils de Lir « Mes chers frères, la fin de notre temps ici est venue, nous allons maintenant aller visiter notre père et notre peuple. »
Et ses frères furent heureux quand ils entendirent cela. Alors, ils s’élevèrent avec légèreté de la surface de la mer, et volèrent vers l’est avec une espérance pleine de joie, jusqu’à ce qu’ils atteignent Shee Finnaha. Mais quand ils se posèrent, ils trouvèrent la place déserte et solitaire, ses salles étaient toutes en ruines et couvertes de hautes herbes et de forêts d’orties, pas de maisons, pas de feu, aucune trace de présence humaine.
Alors les quatre cygnes se réunirent, et ils poussèrent trois lugubres cris de douleur.
Et Finola chanta ce lai:
Que veut dire ce triste, ce terrible changement,
Qui dessèche mon coeur de malheur?
La maison de mon père toute triste et solitaire,
Ses salles et ses jardins envahis par les mauvaises herbes,
Un terrible et étrange renversement!
Pas de héros conquérant, pas de chiens pour la chasse,
Nul bouclier en rang sur ses murs,
Nul gobelet d’argent brillant, nulle joyeuse cavalcade,
Pas d’assemblées de jeune gens ou de nobles demoiselles,
Pour égayer ses salles désolées!
Présage de tristesse que la maison de notre jeunesse
totalement en ruine, abandonnée, et nue.
Hélas pour le chef, le doux et courageux;
Sa gloire et ses chagrins font silence dans la tombe,
Et il nous reste à vivre dans le désespoir!
D’océan en océan, d’âge en âge,
Nous avons vécu l’accomplissement des temps;
une vie telle que les hommes n’en entendirent la pareille,
Dans la souffrance et le chagrin notre sort fut scellé,
Par le crime impitoyable de notre belle-mère!
Les enfants de Lir restèrent cette nuit-là dans les ruines du palais, la maison de leurs ancêtres, où ils avaient eux-mêmes été nourris, et plusieurs fois pendant la nuit, ils chantèrent leur triste, douce musique de fée.
Tôt le lendemain matin ils quittèrent Shee Finnaha, et volèrent vers l’ouest vers Inis Glora, où ils se posèrent sur un petit lac. Là, ils se mirent à chanter si doucement que tous les oiseaux des environs se réunirent autour d’eux en troupe sur le lac, et sur sa rive, pour les écouter, de sorte que le petit lac fut appelé le lac des Troupes d’Oiseaux.
Pendant la journée, les oiseaux s’envolaient ordinairement vers des points éloignés de la côte pour se nourrir, tantôt pour Iniskea de la grue solitaire, désormais appelée Achill, et parfois vers le sud jusqu’aux rochers de la mer de Bonn, et vers de nombreuses autres îles et des promontoires le long du rivage de la mer de l’Ouest , mais ils revenaient à Inis Glora tous les soirs.
Ils vécurent de cette manière jusqu’à ce que Saint-Patrick vienne en Erin avec la foi pure, et jusqu’à ce que Saint Kemoc vienne à Inis Glora.
La première nuit que Kemoc passa sur l’île, les enfants de Lir entendirent sa cloche à l’heure des mâtines, tintant faiblement dans le lointain. Et ils frissonnèrent grandement, et s’élancèrent, et coururent comme des fous, car le son de la cloche était étrange et terrible pour eux, et ses accords les remplissaient d’une grande crainte. Les trois frères furent plus effrayés que Finola, de sorte qu’ils la laissèrent quasiment seule, mais après un moment ils vinrent à elle, et elle leur demanda :
« Savez-vous, mes frères, quel est ce son ? »
Et ils répondirent: « Nous avons entendu une voix faible, apeurée, mais nous ne savons pas ce qu’elle est. »
« C’est la voix de la cloche chrétienne, déclara Finola, et maintenant la fin de notre souffrance est proche, car cette cloche est le signal que nous allons bientôt être libérés de notre enchantement, et libérés de notre vie de souffrance, car Dieu l’a voulu. »
Et elle chanta ce lai:
Ecoutez, ô cygnes, la voix de la cloche,
La cloche douce dont nous avons rêvé durant des années;
Ses notes flottant sur la brise de la nuit disent
Que la fin de notre longue vie de douleur est proche!
Ecoutez, ô cygnes, les célestes accords;
C’est le tintement de la douce cloche de l’anachorète aux mâtines:
Il est venu pour nous libérer du chagrin, de la douleur,
Des rivages froids et orageux où nous séjournons!
Ayez foi dans le glorieux Seigneur du ciel;
Il va nous libérer des sorts druidiques d’Eva:
Soyez reconnaissants et heureux, car notre liberté est proche,
Et écoutez avec joie la voix de la cloche!
Puis ses frères se calmèrent, et les quatre cygnes restèrent à écouter la musique de la cloche, jusqu’à ce que le clerc ait achevé ses mâtines.
« Chantons notre musique maintenant », dit Finola.
Et ils chantèrent un grave, doux et plaintif accord de musique de fées, pour louer et remercier le Roi, Haut et grand, du ciel et de la terre.
Kemoc entendit la musique de l’endroit où il se trouvait, et il écouta avec un grand étonnement. Mais après moment, il lui fut révélé que c’étaient les enfants de Lir qui chantait cette musique, et il fut heureux, car il était venu pour les chercher.
Lorsque le matin se leva, il vint à la rive du lac, et il vit les quatre cygnes blancs nageant sur l’eau. Il leur parla, et leur demanda s’ils étaient les enfants de Lir.
Ils répondirent: « Nous sommes en effet les enfants de Lir, et nous fûmes métamorphosés en cygnes il y a longtemps par notre belle-mère méchante ».
« Je remercie Dieu de vous avoir trouvés, dit Kemoc, car c’est pour vous que je suis venu sur cette petite île de préférence à toutes les autres îles d’Erin. Venez maintenant jusqu’à la terre, et ayez confiance en moi; car c’est dans ce lieu que vous êtes destinés à être libérés de votre enchantement. »
Ils vinrent alors, remplis de joie par les paroles du clerc, à la côte, et se placèrent sous sa garde. Il les conduisit à sa propre maison, et envoya chercher un ouvrier habile, il lui fit faire deux étincelantes et fines chaînes d’argent, et il plaça une chaîne entre Finola et Aed, et l’autre chaîne il la plaça entre Ficra et Conn.
Ils vécurent ainsi avec lui, écoutant ses enseignements au jour le jour, et se joignant à ses dévotions. Ils faisaient la joie et le plaisir du clerc et il les aimait, de tout son coeur, et les cygnes étaient si heureux que la mémoire de toutes les souffrances qu’ils avaient subies au cours de leur longue vie sur les eaux ne leur causait maintenant ni douleur ni détresse.
CHAPITRE VII
Les Enfants de Lir retrouvent leur forme humaine et meurent
Le roi qui régnait sur le Connaught à cette époque était Largnen, le fils de Colman, et sa reine était Decca, la fille de Firmin, roi de Munster, les mêmes roi et reine dont Eva avait parlé dans sa prophétie de longs siècles auparavant.
lors, il fut rapporté à la reine Decca des récits concernant ces merveilleux cygnes doués de parole , et toute leur histoire lui fut narrée, de sorte que avant même de les voir, elle ne put s’empêcher de les aimer, et elle fut saisie d’un fort désir de les posséder elle-même. Alors, elle alla trouver le roi, et le supplia d’aller voir Kemoc et d’obtenir les cygnes. Mais Largnen dit qu’il ne voulait pas les demander à Kemoc. Sur quoi, Decca s’indigna, et elle déclara qu’elle ne dormirait pas une nuit de plus dans le palais avant d’avoir obtenu les cygnes pour elle. Alors, elle quitta le palais sur-le-champ, et partit vers le sud, vers la maison de son père.
Largnen, quand il découvrit qu’elle était partie, envoya à la hâte après elle, disant qu’il essaierait de se procurer les cygnes, mais les messagers n’arrivèrent pas à elle jusqu’à ce qu’elle ait atteint Killaloe. Toutefois, elle retourna avec eux au palais, et dès qu’elle fut arrivée, le roi envoya demander à Kemoc qu’il envoie les oiseaux à la reine, mais Kemoc refusa de les donner.
Cela mit Largnen très en colère, et il partit immédiatement pour la maison du clerc. Dès qu’il fut arrivé, il demanda au clerc s’il était vrai qu’il avait refusé de donner les cygnes à la reine. Et quand Kemoc répondit que c’était bien vrai, le roi, très irrité, alla jusqu’à l’endroit où les cygnes se tenaient, et, saisissant les deux chaînes d’argent, une dans chaque main, il écarta les oiseaux de l’autel, et se tourna vers la porte de l’église, avec l’intention de les amener par la force à la reine, tandis que Kemoc le suivait, alarmé par la peur qu’ils ne soient blessés.
Le roi avait à peine avancé, quand soudain les vêtements de plumes blanches s’évanouirent et disparurent, et les cygnes retrouvèrent leur forme humaine, Finola se transforma en une femme extrêmement âgée, et les trois fils en trois faibles vieillards, aux cheveux blancs, décharnés et ridés.
Lorsque le roi vit cela, il s’élança avec terreur, et quitta aussitôt les lieux sans prononcer un seul mot, tandis que Kemoc lui faisait des reproches et le fustigeait amèrement.
Quant aux enfants de Lir, ils se tournèrent vers Kemoc, et Finola dit:
« Venez, clerc béni, et baptisez-nous sans tarder, car notre mort est proche. Vous nous pleurerez après, Kemoc, mais en vérité, vous n’êtes pas plus attristé à vous séparer de nous que nous ne le sommes à nous séparer de vous. Creusez notre tombe ici et enterrez-nous ensemble, et comme j’ai souvent abrité mes frères quand nous étions cygnes, placez-nous ainsi dans la tombe : Conn près de moi à ma droite, Ficra à ma gauche, et Aed devant moi. »
Venez, clerc béni, avec le livre et la prière
Baptisez-nous et confessez-nous nous ici:
Hâtez-vous, clerc, hâtez-vous car l’heure est venue,
Et la mort finalement est proche!
Creusez notre tombe profonde, profonde,
Près de l’église que nous avons tant aimée;
Cette petite église, où nous avons entendu en premier
La voix de la cloche Chrétienne.
Comme souvent dans la vie mes chers frères
Je consolais près de moi jusqu’au sommeil
Ficra et Conn sous mes ailes,
Et Aed devant ma poitrine;
Ainsi, placez-les tous deux de chaque côté
Tout proches, comme l’amour qui me lie;
Placez Aed aussi proche devant ma face,
Et enlacez leurs bras autour de moi.
Ainsi, reposerons nous pour l’éternité,
Mes chers frères et moi:
Hâtez-vous, clerc, hâtez-vous, baptisez et confessez,
Car la mort finalement est là!
Puis les enfants de Lir furent baptisés, et ils moururent immédiatement. Et quand ils moururent, Kemoc leva les yeux, et voici, il eut la vision de quatre beaux enfants, avec de lumineuses ailes d’argent, et les visages rayonnant de joie. Ils le regardèrent un moment, mais tout en le regardant, ils disparurent vers le haut, et il ne les vit plus. Et il fut rempli de contentement, car il savait qu’ils étaient allés au ciel, mais quand son regard redescendit sur les quatre corps gisant devant lui, il devint triste et pleura.
Et Kemoc fit creuser une large tombe près de la petite église, et les enfants de Lir furent enterrés ensemble, comme Finola l’avait demandé, Conn à sa main droite, Ficra à sa gauche, et, devant son visage Aed. Et il éleva un tumulus sur eux, et dressa une pierre tombale au-dessus, avec leurs noms gravés en Ogam, après quoi il poussa une lamentation pour eux, et leurs rites funéraires furent accomplis.
Jusqu’ici, nous avons raconté l’histoire affligeante de la destinée des enfants de Lir.