Voici l’histoire du roi du désert noir. Lorsque 0’Conchubhair était roi d’Irlande, il demeurait à Râth-Cruachâin, il avait un fils unique, mais celui-ci, quand il fut grand, devint sauvage et le roi ne pouvait le corriger, car son fils avait sa volonté à lui pour toute espèce de choses.
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ToggleLe roi du désert noir
Un matin, une fois, il sortit:
Son chien sur ses talons
Sur son poing son faucon
Et monté sur son beau cheval noir,
et il alla devant lui, se chantant à lui-même une chanson, jusqu’à ce qu’il arrive à la hauteur d’un grand buisson qui croissait sur le flanc de la vallée. Un vieillard grisonnant était assis au pied du buisson, et lui dit :
– Fils du roi, si tu sais jouer aussi bien que tu sais chanter un air, j’aimerais à jouer avec toi.
Le fils du roi pensa qu’il avait affaire à un vieillard un peu fou; il descendit, jeta la bride sur une branche, et s’assit à côté du vieillard grisonnant. Celui-ci tira un paquet de cartes et demanda:
– Sais-tu jouer aux cartes?
– Je le sais, dit le fils du roi.
– Qu’allons-nous jouer? dit le vieillard grisonnant.
– Tout ce que tu voudras, dit le fils du roi.
– Très bien; si je gagne, il faudra que tu fasses pour moi tout ce que je te demanderai, et si tu gagnes, il faudra que je fasse pour toi tout ce que tu me demanderas, dit le vieillard grisonnant.
– Ça me va, dit le fils du roi.
Ils jouèrent une partie, et le fils du roi battit le vieillard grisonnant, alors celui-ci dit :
– Que désires-tu que je fasse pour toi, fils du roi?
– Je ne te demanderai pas de rien faire pour moi, dit le fils du roi, je crois que tu n’es pas capable de faire grand-chose.
– Cela ne fait rien, dit le vieillard, il faut me demander de faire quelque chose, je n’ai jamais perdu un gage que je n’aie pu payer.
Comme je l’ai dit, le fils du roi pensait qu’il avait affaire à un vieillard un peu fou et pour le satisfaire, il lui dit:
– Ôte sa tête à ma belle-mère et mets-lui une tête de chèvre pendant la durée d’une semaine.
– Je ferai cela pour toi, dit le vieillard grisonnant.
Le fils du roi partit monté sur son cheval,
Son chien sur ses talons
Sur son poing son faucon
Et monté sur son beau cheval noir,
et il se dirigea vers un autre endroit, sans plus penser au vieillard grisonnant jusqu’à ce qu’il arrive chez lui. Il trouva beaucoup de rires et de peines dans le château, les serviteurs lui racontèrent qu’un sorcier était entré dans la chambre où était la reine et qu’il lui avait mis une tête de chèvre à la place de sa tête.
– Par ma main, voilà une chose étonnante, dit le fils du roi, si j’avais été à la maison, je lui aurais coupé la tête avec mon épée.
Le roi avait un grand chagrin; il envoya chercher un sage conseiller et lui demanda s’il savait comment cela était arrivé à la reine.
– En vérité, je ne puis pas te le dire, dit-il, c’est de la magie.
Le fils du roi ne laissa pas voir qu’il en connaissait la cause, mais le lendemain matin il sortit,
Son chien sur ses talons
Sur son poing son faucon
Et monté sur son beau cheval noir,
il ne tira pas sur les rênes jusqu’à ce qu’il fût arrivé à la hauteur du grand buisson sur le flanc de la colline. Le vieillard grisonnant était assis là , sous le buisson, et il dit :
– Fils du roi, vas-tu faire une partie aujourd’hui?
Le fils du roi descendit et dit :
– Soit.
Là -dessus, il jeta la bride sur une branche et s’assit à côté du vieillard; celui-ci tira le jeu de cartes et demanda au fils du roi s’il avait ce qu’il avait gagné hier.
– Je l’ai exactement, dit le fils du roi.
– Nous allons jouer le même gage aujourd’hui, dit le vieillard grisonnant.
– Ça me va, dit le fils du roi. Ils jouèrent, et le fils du roi gagna.
– Que désires-tu que je fasse pour toi, cette fois-ci? dit le vieillard grisonnant.
Le fils du roi réfléchit et se dit à lui-même: «Je vais lui donner quelque chose de difficile à faire cette fois-ci », puis il dit:
– Il y a derrière le château de mon père un champ de pâture de sept acres; qu’il soit rempli de vaches demain matin sans qu’il y en ait deux de la même couleur, de la même taille ou du même âge.
– Ça sera fait, dit le vieillard grisonnant.
Le fils du roi partit, monté sur son cheval,
Son chien sur ses talons
Sur son poing son faucon,
et se rendit chez lui. Le roi était affligé au sujet de la reine, il y avait des médecins de tous les endroits d’Irlande, mais ils ne pouvaient lui faire aucun bien.
Au matin, le lendemain, le pâtre du roi sortit de bonne heure et vit le champ de pâture derrière. Le château, plein de vaches sans qu’il y en eût deux de la même couleur, du même âge ou de la même taille. Il entra et raconta cette merveille au roi.
– Va les chasser, dit le roi.
Le pâtre prit des hommes et alla avec eux chasser les vaches, mais il ne les avait pas plus tôt chassées d’un côté qu’elles revenaient de l’autre. Le pâtre revint trouver le roi et lui dit que tout ce qu’il y avait d’hommes en Irlande ne pourrait pas chasser les vaches qui étaient dans le champ de pâture.
– Ce sont des vaches enchantées, dit le roi.
Quand le fils du roi vit les vaches, il se dit à lui-même: «Je vais aller jouer aujourd’hui une autre partie avec le vieillard grisonnant. »
Il sortit ce matin-là ,
Son chien sur ses talons
Sur son poing son faucon
Et monté sur son beau cheval noir,
il ne tira pas sur la bride jusqu’à ce qu’il fût arrivé à la hauteur du grand buisson, sur le flanc de la vallée.
Le vieillard grisonnant était là avant lui et lui demanda s’il allait faire une partie de cartes.
– Soit, dit le fils du roi, mais tu sais bien que je suis capable de te battre au jeu de cartes.
– Jouons à un autre jeu, dit le vieillard grisonnant; as-tu jamais joué à la balle ?
– J’y ai joué certainement, dit le fils du roi, mais je trouve que tu es trop vieux pour jouer à la balle et, en plus de cela, nous n’avons pas ici d’endroit pour jouer.
– Si tu consens à jouer, je trouverai un endroit, dit le vieillard grisonnant.
– J’y consens, dit le fils du roi.
– Suis-moi, dit le vieillard grisonnant.
Le fils du roi le suivit à travers la vallée jusqu’à ce qu’ils arrivassent à une belle colline verdoyante, alors il tira une baguette magique, prononça des mots que le fils du roi ne comprenait pas et au bout d’un moment la colline s’ouvrit; ils entrèrent tous deux et ils traversèrent tout plein de belles salles jusqu’à ce qu’ils arrivassent à un jardin; il y avait dans ce jardin toutes sortes de choses plus belles les unes que les autres et au bout du jardin il y avait un endroit pour jouer à la balle; ils jetèrent en l’air une pièce d’argent pour savoir qui d’entre eux serait le premier à jouer; ce fut le vieillard grisonnant. Alors ils commencèrent et le vieillard ne s’arrêta pas qu’il n’eût gagné la partie. Le fils du roi ne savait quoi faire, enfin il demanda au vieillard ce qu’il voudrait qu’il fit pour lui.
– Je règne sur le désert noir, il faudra que tu me trouves moi et ma demeure, d’ici un an et un jour, ou bien c’est moi qui irai te trouver et tu perdras la vie.
Puis il conduisit dehors le jeune homme, par le même chemin qu’il avait pris pour entrer, la colline verdoyante se ferma sur eux et le vieillard grisonnant disparut de sa vue. Le fils du roi partit, monté sur son cheval,
Son chien sur ses talons
Sur son poing son faucon,
et plein de tristesse. Ce soir-là , le roi remarqua que son jeune fils était triste et troublé et quand celui-ci fut allé se coucher, le roi et tous les gens qui étaient dans le château l’entendirent pousser de gros soupirs et délirer.
Le roi était affligé de ce que la reine avait une tête de chèvre, mais il le fut sept fois davantage quand son fils lui raconta l’aventure qui lui était arrivée, depuis le commencement jusqu’à la fin. Il envoya chercher le sage conseiller et lui demanda s’il savait dans quel endroit demeurait le roi du désert noir.
– Je ne le sais certainement pas, dit celui-ci, mais aussi sûr que le chat a une queue, si le jeune héritier ne trouve pas ce sorcier, il perdra la vie.
Il y eut bien du chagrin dans le château du roi ce jour-là , la reine avait une tête de chèvre et le fils du roi allait partir à la recherche du sorcier sans qu’on sût s’il reviendrait jamais. Au bout d’une semaine, la reine perdit sa tête de chèvre et reprit sa propre tête; quand elle eut apprit comment la tête de chèvre lui était venue, elle entra dans une grande colère contre le fils du roi et elle dit:
– Qu’il ne revienne jamais, mort ou vif.
Au matin, un lundi, il dit adieu à son père et à ses parents, son sac de voyage fut attaché sur son dos et il partit,
Son chien sur ses talons
Sur son poing son faucon
Et monté sur son beau cheval noir,
il voyagea ce jour-là jusqu’à ce que le soleil fût couché derrière la colline et que la nuit noire fût tombée, sans savoir où il trouverait un abri. Il remarqua un grand bois à main gauche et il alla dans cette direction aussi vite qu’il le pouvait, espérant passer la nuit à l’abri des arbres ; il s’assit au pied d’un grand chêne, il ouvrait son sac de voyage pour prendre de la nourriture et de la boisson, lorsqu’il vit un grand aigle qui venait à lui.
– N’aie pas peur de moi, fils du roi, tu es le fils de 0 Conchubhair, roi d’Irlande ; je suis un ami, et si tu me donnes ton cheval pour fournir à manger à quatre petits que j’ai et qui ont faim, je te porterai plus loin que ne te porterait ton cheval, et il est possible que je te mette sur la trace de celui que tu cherches.
– Tu peux prendre mon cheval, et volontiers, dit le fils du roi, quoique je sois affligé de me séparer de lui.
– C’est bien, je serai là demain matin au lever du soleil.
Alors il ouvrit son grand bec, il saisit le cheval, serra ses deux côtés l’un contre l’autre, prit son vol et partit hors de vue. Le fils du roi mangea et but son content, mit son sac de voyage sous sa tête et ne fut pas long à s’endormir; il ne s’éveilla pas avant que l’aigle n’arrivât et lui dit :
– Il est temps pour nous de partir, nous avons une longue route devant nous, saisis ton sac et saute sur mon dos.
– Mais, hélas! dit celui-ci, il va falloir que je me sépare de mon chien et de mon faucon.
– Ne te fais pas de peine, dit l’aigle, ils seront ici avant toi quand tu reviendras.
Alors, il sauta sur son dos, l’aigle prit son vol et les voilà partis dans l’air. L’aigle lui fit traverser des collines et des vallées, une grande mer et des bois, en sorte qu’il pensait être à l’extrémité du monde; quand le soleil alla se coucher derrière les collines, l’aigle prit terre au milieu d’un grand désert et lui dit:
– Suis le sentier à main droite, il te conduira à la maison d’un ami, il faut que je retourne donner à manger à mes petits.
Il suivit le sentier, il ne fut pas long à arriver à la maison et il entra. Un vieillard grisonnant était assis dans un coin; il se leva et dit:
– Cent mille bienvenues à toi, fils de roi, qui viens de Râth Cruachâin de Connacht.
– Je ne te connais pas, dit le fils du roi.
– J’ai connu ton grand-père, dit le vieillard grisonnant, assiedstoi, il est probable que tu as soif et faim.
– Je n’en suis pas exempt, dit le fils du roi.
Le vieillard frappa ses deux mains l’une contre l’autre, et il vint deux serviteurs qui mirent sur la table du bÅ“uf, du mouton, du porc et force pain devant le fils du roi, et le vieillard lui dit :
– Mange et bois ton content : il est possible que tu ne retrouves pas de longtemps une telle occasion.
Il mangea et but autant qu’il en eut envie et il présenta ses remerciements. Alors, le vieillard dit :
– Tu vas à la recherche du roi du désert noir; va dormir maintenant et je vais parcourir mes livres pour voir si je puis te trouver la demeure de ce roi-là .
Alors il frappa dans ses mains, un serviteur vint et il lui dit:
– Conduis le fils du roi à sa chambre.
Il le mena à une belle chambre et celui-ci ne fut pas long à tomber endormi. Au matin, le lendemain, le vieillard vint et dit:
– Lève-toi, tu as une longue route devant toi; il va falloir que tu fasses cinq cents milles avant midi.
– Je ne pourrai pas le faire, dit le fils du roi.
– Si tu es bon cavalier, je te donnerai un cheval qui te fera faire cette route.
– Je ferai comme tu me le diras, dit le fils du roi.
Le vieillard lui donna force nourriture et boisson et quand il fut rassasié, il lui donna un petit bidet blanc et lui dit :
– Laisse au bidet la bride sur le cou, et quand il s’arrêtera, regarde en l’air et tu verras trois cygnes aussi blancs que la neige. Ce sont les trois filles du roi du désert noir : un des cygnes aura dans le bec une petite serviette verte, c’est la plus jeune des filles et il n’y a pas d’autre être vivant qu’elle qui puisse te conduire à la maison du roi du désert noir.
Quand le bidet s’arrêtera, tu seras près d’un lac, les trois cygnes prendront terre sur le bord de ce lac et se transformeront en trois jeunes femmes et elles entreront dans le lac en nageant et en dansant. Ne perds pas de l’œil la petite serviette verte et quand tu verras les jeunes femmes dans le lac, va, prends la serviette et ne t’en sépare pas ; va te cacher sous un arbre et quand les jeunes femmes sortiront, deux d’entre elles se transformeront en cygnes et partiront dans l’air, alors la plus jeune fille dira : «Je ferai tout au monde pour celui qui m’apportera ma serviette. » Parais, alors, et dis que tu n’as besoin que d’une chose, c’est qu’elle te conduise à la maison de son père et raconte-lui que tu es le fils d’un roi et que tu viens d’un pays puissant.
Le fils du roi fit en tout point ce que lui avait dit le vieillard et quand il eut donné la serviette à la fille du roi du désert noir, il lui dit:
– Je suis le fils de 0 Conchubhair, roi de Connacht, conduis moi vers ton père, depuis longtemps je suis à sa recherche.
– Ne préférerais-tu pas que je fisse quelqu’autre chose pour toi? dit-elle.
– Je n’ai pas besoin d’autre chose, dit celui-ci.
– Si je te montre la maison, ne seras-tu pas content? dit-elle.
– Je le serai, dit celui-ci.
– Maintenant, dit -elle, sur ton âme, ne raconte pas à mon père que c’est moi qui t’ai mené à sa maison et je serai une bonne amie pour toi, et fais semblant, dit-elle, d’avoir un grand pouvoir magique.
– Je ferai comme tu dis, dit celui-ci.
Alors elle se transforma en cygne et dit :
– Saute sur mon dos, mets tes mains sur mon cou et serre-moi bien dur.
Il fit ainsi, elle battit des ailes et le voilà parti à travers collines et vallées, à travers la mer et les montagnes, jusqu’à ce qu’il arrive à une grande terre, comme le soleil allait se coucher. Alors, elle lui dit:
– Est-ce que tu vois la grande maison là -bas? C’est la maison de mon père; porte-toi bien; toutes les fois que tu seras en danger, je serai à tes côtés, puis elle s’en alla.
Le fils du roi alla à la maison et que vit-il, assis sur un trône d’or? Le vieillard grisonnant qui avait joué aux cartes et à la balle avec lui.
– Je vois, fils de roi, dit celui-ci, que tu m’as trouvé avant un an et un jour; combien y a-t-il que tu as quitté la maison?
– Aujourd’hui matin, comme je sortais de mon lit, j’ai vu un arc-en-ciel, j’ai sauté dessus, je l’ai enfourché et je me suis laissé glisser jusqu’ici.
– Par ma main, c’est un beau tour d’adresse que tu as fait là , dit le vieux roi.
– Je pourrais faire bien plus merveilleux que cela si je voulais, dit le fils du roi.
– J’ai trois choses à te faire faire, dit le vieux roi, si tu peux les faire, tu auras à choisir une épouse parmi mes trois filles, et si tu ne peux pas les faire, tu perdras la vie comme l’ont perdue bon nombre de jeunes gens avant toi.
Puis il dit :
– Il n’y a à boire et à manger dans ma maison qu’une fois par semaine et nous en avons eu aujourd’hui matin.
– Ça m’est égal, dit le fils du roi, je puis jeûner, pendant un mois si j’y suis obligé.
– Il est probable que tu peux également rester sans dormir, dit le vieux roi.
– Je le peux sans aucun doute, dit le fils du roi.
– Aussi auras-tu un lit dur cette nuit, dit le vieux roi, viens avec moi que je te le montre.
Alors il le conduisit dehors et il lui montra un grand arbre fourchu et lui dit :
– Monte là -haut, dors dans la fourche et sois prêt au lever du soleil.
Il monta dans la fourche, mais aussitôt que le vieux roi fut à dormir, la jeune fille vint, l’emmena dans une belle chambre et l’y garda jusqu’à ce que le vieux roi fût sur le point de se lever, elle le ramena dans la fourche de l’arbre. Au lever du soleil le vieux roi vint à lui et dit :
– Lève-toi maintenant et viens avec moi que je te montre ce que tu as à faire aujourd’hui.
Il conduisit le fils du roi au bord d’un lac, il lui montra un vieux château et lui dit:
– Jette toutes les pierres du château dans le lac et que cela soit fait par toi avant que le soleil ne se couche ce soir, puis il partit.
Le fils du roi se mit à l’ouvrage, mais les pierres étaient serrées si dur les unes contre les autres qu’il ne put enlever une seule pierre et qu’il aurait pu travailler jusqu’aujourd’hui sans enlever une pierre du château.Il s’assit pour réfléchir à ce qu’il devait faire et il ne s’était pas écoulé grand temps, quand la fille du vieux roi vint à lui et dit :
– Quelle est la cause de ton chagrin ?
Il lui raconta la cause de son chagrin.
– Que cela ne t’afflige pas, c’est moi qui vais le faire, dit-elle.
Alors elle lui donna du pain, du bÅ“uf et du vin, elle tira une baguette magique, frappa un coup sur le vieux château et, au bout d’un moment, toutes les pierres étaient au fond du lac.
– Maintenant, dit-elle, ne raconte pas à mon père que c’est moi qui ai fait ton ouvrage.
Lorsque le soleil se coucha, le soir, le vieux roi vint, et dit:
– Je vois que tu as fait ton ouvrage de la journée.
– Oui, dit le fils du roi, je puis faire n’importe quoi.
Le vieux roi pensa que le fils du roi avait un grand pouvoir magique et lui dit :
– Voici ton ouvrage pour demain: c’est de tirer les pierres du lac et de reconstruire le château comme il était auparavant.
Il conduisit le fils du roi à la maison et lui dit :
– Va dormir là où tu étais la nuit dernière.
Quand le vieux roi fut allé dormir, la jeune fille vint, le conduisit à sa chambre et l’y garda jusqu’à ce que le vieux roi fût sur le point de se lever au matin; alors, elle le remit dans la fourche de l’arbre. Au lever du soleil, le vieux roi vint et dit :
– Il est temps de te remettre à l’ouvrage.
– Je ne suis pas pressé du tout, dit le fils du roi, puisque je sais que je puis faire exactement mon ouvrage de la journée.
Il se rendit alors au bord du lac, mais il ne put pas voir une pierre, tant l’eau était noire. Il s’assit sur un rocher, et Fionnghuala (Épaule blanche), c’était le nom de la fille du vieux roi, ne fut pas longue à arriver et dit:
– Qu’as-tu à faire aujourd’hui?
Il le lui raconta et elle dit :
– Ne t’afflige pas, je puis faire cet ouvrage-là pour toi.
Alors elle lui donna du pain, du bÅ“uf, du mouton et du vin, puis elle tira la baguette magique, elle en frappa l’eau du lac et au bout d’un moment, le vieux château fut rebâti comme il était la veille. Puis elle lui dit :
– Sur ton âme, ne raconte pas à mon père que j’ai fait l’ouvrage pour toi ou que tu me connais le moins du monde.
Le soir de ce jour-là , le vieux roi vint, et dit:
– Je vois que tu as fait l’ouvrage de la journée.
– Oui, dit le fils du roi, c’est là de l’ouvrage facile à faire.
Alors le vieux roi pensa que le fils du roi avait un pouvoir magique supérieur au sien et il dit:
– Tu n’as plus qu’une seule chose à faire.
Il le conduisit alors chez lui, et le mit à dormir sur la fourche de l’arbre ; mais Fionnghuala arriva, le transporta dans sa chambre, et au matin elle le reporta sur l’arbre.
Au lever du soleil, le vieux roi vint à lui, et lui dit:
– Viens avec moi que je te montre l’ouvrage de la journée.
Il mena le fils du roi à une grande vallée, lui montra une fontaine et lui dit:
– Ma grand-mère a perdu un anneau dans cette fontaine, trouve-le-moi avant que le soleil ne se couche ce soir.
Maintenant, la fontaine avait cent pieds de profondeur et vingt pieds de tour et elle était pleine d’eau et l’armée de l’enfer gardait l’anneau. Quand le vieux roi fut parti, Fionnghuala arriva et demanda:
– Qu’as-tu à faire aujourd’hui?
Il le lui raconta, et elle dit:
– Il est difficile, cet ouvrage-là , mais je ferai mon possible pour sauver ta vie.
Puis elle lui donna un bÅ“uf, du pain et du vin ; elle se transforma en plongeon et elle descendit dans la fontaine. Il ne s’écoula pas longtemps jusqu’à ce que, de la fontaine, il vit sortir de la fumée, des éclairs et un bruit semblable à un grand coup de tonnerre, et quiconque aurait entendu ce bruit-là aurait pensé que l’armée des enfers était en train de combattre. Au bout de quelque temps, la fumée se dissipa, les éclairs et le tonnerre cessèrent et Fionnghuala revint avec l’anneau; elle tendit l’anneau au fils du roi et elle dit:
– J’ai gagné la bataille, ta vie est sauvée; regarde, j’ai le petit doigt de la main droite brisé, mais il est possible que ce soit une heureuse chance qu’il ait été brisé.Quand mon père viendra, ne lui donne pas l’anneau mais menace-le bien fort, il te mènera alors choisir ta femme, et voici comment tu feras ton choix; nous serons, mes sÅ“urs et moi, dans une chambre; il y aura un trou à la porte et nous passerons toutes nos mains au dehors comme une grappe; tu passeras ta main par le trou, et la main que tu auras saisie quand mon père ouvrira la porte sera la main de celle que tu auras pour femme. Tu peux me reconnaître à mon petit doigt brisé.
– Je le puis, et tu es l’amour de mon creur, Fionnghuala !
Le soir de ce jour-là , le vieux roi vint et demanda.
– As-tu trouvé l’anneau de ma grand-mère ?
– Je l’ai trouvé en vérité, dit le fils du roi, l’armée de l’enfer était à le défendre, mais je les ai battus et j’en battrai sept fois autant. Ne sais-tu pas que je suis un Connacien ?
– Donne-moi l’anneau, dit le vieux roi.
– En vérité, je ne te le donnerai pas, dit celui-ci, j’ai combattu dur pour l’avoir, mais donne-moi ma femme, il faut que je m’en aille.
Le vieux roi le fit entrer et dit:
– Mes trois filles sont dans la chambre auprès de toi, la main de chacune d’elles est étendue, et celle que tu tiendras quand j’ouvrirai la porte sera celle de ta femme.
Le fils du roi passa la main par le trou qui était à la porte et choisit la main dont le petit doigt était brisé et la tint serrée dur jusqu’à ce que le vieux roi ouvrît la porte de la chambre.
– Voici ma femme, dit le fils du roi, donne-moi maintenant la dot de ta fille.
– Elle n’a pas de dot à recevoir, sinon un petit cheval brun pour vous conduire chez vous et ne revenez plus, morts ou vifs, au grand jamais.
Le fils du roi et Fionnghuala partirent, montés sur le petit cheval brun, et ils ne furent pas longs à arriver au bois où le fils du roi avait laissé son chien et son faucon. Ceux-ci y étaient avant lui, aussi bien que son beau cheval noir. Il renvoya alors le petit cheval bun, il fit monter Fionnghuala sur son cheval, il y sauta lui-même et
Son chien sur ses talons
Sur son poing son faucon,
il ne s’arrêta pas jusqu’à ce qu’il arrivât à Râth-Cruachâin. Il y fut très bien accueilli et ils ne furent pas longs à se marier, lui et Fionnghuala ; ils eurent une longue vie heureuse, mais c’est à peine si l’on peut trouver aujourd’hui quelque reste du vieux château de Râth-Cruachâin en Connaught.