Voici l’histoire de l’Exil des fils de Usnech, de la branche rouge de la mythologie irlandaise.
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ToggleExil des fils de Usnech
Pourquoi les fils d’Usnech s’exilèrent-ils ? Ce n’est pas difficile.
Les Ulates étaient à boire chez Fédelmid, fils de Dall, conteur de Conor. La femme de Fédelmid, en outre, y était pour servir la compagnie, et elle était grosse. Les cornes et les parts circulaient à la ronde et la gaîté de l’ivresse se manifestait. Quand il fut temps de se coucher, la femme alla à son lit. Comme elle traversait la maison, l’enfant, dans son sein, cria, de telle sorte qu’on l’entendit dans toute la cour. A ce cri, tous les gens se jetèrent les uns sur les autres et s’entassèrent tête contre tête dans la maison. Alors Sencha fils d’Ailill les interpella : » Ne bougez pas, dit-il; qu’on nous amène la femme pour qu’on sache d’où vient ce bruit. » Alors on leur amena la femme. Son mari Fédelmid dit
Quel bruit violent gronde
et tempête dans ton sein mugissant ?
bruit qui est venu aux oreilles ?
entre tes deux côtés fortement enflés,
grande frayeur il produit ;
mon coeur est cruellement blessé.
Alors, on l’envoya à Cathba, car celui-ci était un savant :
Que Cathba au beau visage entende !
ô grand diadème de prince magnifique, grandi
par des charmes de druide.
Ce n’est pas à moi que sont les belles paroles,
l’éclat de la science,
car la femme ne sait pas
ce qui est dans son sein,
ce qui a crié dans le creux de son sein.
Alors Cathba dit :
Dans le creux de ton sein
cria une femme aux boucles blondes,
aux superbes yeux gris bleu;
de digitale sont ses joues pourpre foncée.
A la couleur de la neige nous comparons <
le trésor de ses dents sans défaut;
ses lèvres sont éclatantes comme l’écarlate;
femme pour qui il y aura bien des meurtres
parmi les guerriers ulates.
Dans ton sein gronde et crie
une femme à la belle chevelure longue;
pour elle des héros lutteront ;
nombre de grands roi la demanderont; <
elle sera entraînée à l’ouest avec de grandes troupes
secrètement hors de la province de Conor.
Ses lèvres seront écarlates,
autour de ses dents de perles ;
de grandes reines seront jalouses
de sa beauté souveraine sans défaut.
Puis Cathba mit la main sur le sein de la femme et, sous la main, l’enfant s’agita. » En vérité, dit-il, c’est une fille qui est là, son nom sera Deirdré et il y aura du mal à cause d’elle. » La fille naquit ensuite et Cathba dit :
Deirdré, tu détruiras beaucoup ;
bien que tu aies un beau visage à l’illustre blancheur.
Les Ulates souffriront en ton temps,
ô noble fille de Fédelmid !
Un malheur arrivera plus tard,
à cause de toi, ô femme brillante;
c’est en ton temps qu’aura lieu, écoute,
l’exil des trois grands fils d’Usnech.
C’est en ton temps qu’un acte de violence
sera accompli en Emain ;
on regrettera longtemps après de n’avoir plus
la protection du grand fils de Roeg.
C’est par toi, ô femme, qu’arrivera
l’exil de Fergus hors d’Ulster;
et un fait sur lequel on pleurera,
le meurtre de Fiachna, fils de Conor.
C’est par ta faute, ô femme, qu’arrivera
le meurtre de Gerreé, fils d’Illadan,
et un fait de non moindre importance,
le massacre d’Eogan, fils de Durthacht.
Tu feras un acte haïssable, violent,
par ressentiment contre le grand roi des Ulates ;
en quelque endroit que soit ta tombe
il y aura une fameuse histoire, ô Deirdré !
Ô Deirdré!
» Que l’on tue la fille! dirent les jeunes guerriers.
– Non pas, dit Conor. Qu’on me l’apporte demain, dit Conor, et on l’élèvera d’après mes ordres, et elle sera la femme qui vivra avec moi. «
Les Ulates n’osèrent pas le contredire. Ainsi fut fait. Elle fut élevée chez Conor et devint la plus jolie fille qu’il y eût en Irlande. C’est dans un château à part qu’elle fut élevée, pour qu’aucun homme d’Ulster ne la vît jusqu’au moment où elle dormirait avec Conor, et on ne laissa personne entrer dans la maison, sauf sa nourrice et Leborcham à qui on ne pouvait s’attaquer, car elle était sorcière.
Une fois, le tuteur de la jeune fille écorchait un veau sur la neige, dehors, en hiver, pour le lui servir, quand il vit un corbeau qui buvait le sang sur la neige. Alors elle dit à Leborcham : » Le seul homme que j’aimerais serait celui qui aurait sur lui ces trois couleurs-là : la chevelure comme le corbeau, la joue comme le sang et le corps comme la neige.
– Dignité et bonheur à toi! dit Leborcham; il n’est pas loin de toi, il est dans la maison près de toi : c’est Nôisé, fils d’Usnech.
– Je ne serai pas bien portante, dit-elle, que je ne l’aie vu. «
Cette fois-là, Nôisé était seul sur le mur du rempart d’Emain à chanter. Elle était harmonieuse la voix des fils d’Usnech. Toute vache et tout animal qui l’entendait donnait deux tiers de lait en plus. Tout homme qui l’entendait éprouvait un sentiment de paix et de joie. Leur adresse aux armes était grande. Toute la province d’Ulster aurait eu beau se réunir autour d’eux en un seul endroit, s’ils s’étaient adossés tous les trois les uns aux autres, elle n’aurait pas remporté la victoire sur eux, à cause de la supériorité de et de leur défense. Ils étaient aussi rapides que pour poursuivre le gibier et tuaient les daims à la course.
Comme Nôisé était dehors tout seul, Deirdré s’échappa et passa près de lui, mais il ne la reconnut pas.
» Elle est belle, dit-il, la génisse qui passe près de nous.
– Il faut, dit-elle, de grandes génisses là où il n’y a pas de taureaux.
– Tu as, avec toi, le taureau de la province, dit-il, le roi d’Ulster.
– Je voudrais choisir entre vous deux, dit-elle, et je voudrais avoir un jeune petit taureau comme toi.
– Non pas « , dit-il.
Aussitôt elle s’élance sur lui et le prend par les deux oreilles. » Voici deux oreilles de honte et de moquerie, dit-elle, si tu ne m’emmènes pas avec toi.
– Éloigne-toi de moi, ô femme, dit-il.
– je serai à toi « , dit-elle.
Aussitôt il fit entendre sa voix. Quand les Ulates entendirent la voix, chacun se jeta sur l’autre.
Les fils d’Usnech sortirent pour retenir leur frère. » Qu’est-ce qui t’arrive ? dirent-ils; il ne faut pas que les Ulates s’entre-tuent par ta faute ! » Alors il leur raconta ce qui lui était arrivé.
» Cela tournera mal, dirent les jeunes gens. Quoi qu’il en soit, tu ne seras pas exposé à la honte, tant que nous serons en vie. Nous irons avec elle dans un autre pays. Il n’y a pas en Irlande de roi qui ne nous accueille. » Ils tinrent conseil. Ils partirent cette nuit-là; ils avaient trois cinquantaines de guerriers, trois cinquantaines de femmes, trois cinquantaines de chiens, trois cinquantaines de valets et Deirdré avec eux.
Ils passèrent un long temps en service aux alentours, mais on essaya souvent de les mettre à mort chez des rois d’Irlande, par la malice et la ruse de Conor, d’Esruaid au sud ouest jusqu’à Benn Étair au nord-est, et en sens inverse. Cependant les Ulates les chassèrent en Écosse et ils s’établirent dans un désert. Quand le gibier de la montagne leur manqua, ils s’en prirent aux bestiaux des hommes d’Écosse. Alors ceux-ci vinrent un jour pour les exterminer, mais les fils d’Usnech allèrent trouver le roi d’Écosse, qui les prit à son service et à la solde duquel ils se mirent. Ils construisirent leurs maisons dans la prairie; c’était pour la fille qu’ils avaient fait les maisons, pour que personne ne la vît, de crainte qu’on ne les tuât à cause d’elle.
Une fois donc, l’intendant du roi vint, un matin de bonne heure, faire le tour de leur maison, et il vit le couple endormi. Il alla ensuite éveiller le roi.
» Nous n’avons pas trouvé, dit-il, jusqu’ici, une femme digne de toi. Il y a auprès de Nôisé fils d’Usnech une femme digne du roi de l’Occident. Que l’on tue Nôisé sur l’heure et que la femme dorme avec toi ! dit l’intendant.
– Non, dit le roi, mais va lui faire ma cour, chaque jour, secrètement. » Ainsi fut fait. Mais tout ce que l’intendant lui disait, elle le racontait aussitôt à son mari, la nuit. Comme il n’en pouvait rien obtenir, il ordonna aux fils d’Usnech d’aller à des combats dangereux et des expéditions difficiles, pour qu’ils y fussent tués. Mais ils sortirent sains et saufs de toutes les batailles, et ces tentatives ne purent rien sur eux.
Les hommes d’Écosse, sur le conseil de l’intendant, se rassemblèrent pour les tuer. Elle le raconta à Nôisé. » Partez d’ici, dit-elle, car si vous ne vous en allez pas cette nuit, vous serez tués demain. » Ils partirent cette nuit-là et s’en furent dans une île de la mer.
Cela fut raconté aux Ulates. » Il est malheureux, ô Conor, dirent les Ulates, que les fils d’Usnech tombent en pays ennemi par la faute d’une mauvaise femme. Il vaudrait mieux qu’on les accompagnât et qu’on les tuât et qu’ils vinssent dans leur pays, que de succomber chez des ennemis.
– Qu’ils viennent donc, dit Conor, et que des cautions aillent à leur rencontre ! » On leur porte cette nouvelle.
» Volontiers, dirent-ils, on ira et que Fergus, Dubthach et Cormac fils de Conor viennent nous cautionner ! » Ceux-ci vinrent et ils se prirent les mains dès leur débarquement.
On discuta pour savoir si l’on inviterait, sur le conseil de Conor, Fergus à boire de la bière, car les fils d’Usnech avaient dit qu’ils ne prendraient aucune nourriture en Irlande avant d’avoir mangé chez Conor. Alors Fiacha fils de Fergus alla avec eux, tandis que Fergus et Dubthach restaient et les fils d’Usnech arrivèrent à la prairie d’Emain. C’est là aussi que vint Eogan, fils de Durthacht, roi de Fernmag, pour faire sa paix avec Conor, car il était brouillé avec lui depuis longtemps. C’est lui qui fut chargé de tuer les fils d’Usnech, et des soldats de Conor l’accompagnaient pour les empêcher d’arriver jusqu’au roi.
Les fils d’Usnech étaient debout au milieu de la prairie et les femmes assises sur la muraille d’Emain. Eogan arriva en examinant la prairie, mais le fils de Fergus se plaça à côté de Nôisé. Eogan lui souhaita la bienvenue d’un coup pénétrant de grand javelot, qui lui traversa le dos. Aussitôt le fils de Fergus s’élança, mit les deux mains sur Nôisé et le mit sous lui, en sorte qu’il était sur lui. Et c’est ainsi que fut frappé Nôisé, à travers le fils de Fergus. Ensuite on tua à travers la prairie, en sorte que personne n’échappa à la pointe des javelots ou au tranchant des glaives, et Deirdré fut amenée devant Conor, les mains liées derrière le dos.
On raconta cela ensuite à Fergus, à Dubthach et à Cormac.
Ils arrivèrent et firent aussitôt de grands exploits : Dubthach tua Mané fils de Conor, et Fiachna fils de Fédelm fille de Conor; Fergus tua Pied-Fort, fils de Pied-Large, et son frère. Conor s’en offensa et un combat s’engagea entre eux pendant un jour entier; trois cents Ulates y succombèrent. Dubthach tua les filles d’Ulster et, avant le matin, Fergus brûla Emain. Puis ils allèrent chez Ailill et Mève, car ils savaient que ce couple les accueillerait. Trente centaines, tel était le nombre de ces exilés; jusqu’à la fin de seize années, ils ne cessèrent de causer aux Ulates plainte et terreur, mais chaque nuit ceux-ci criaient et tremblaient.
Elle fut un an auprès de Conor, et de tout ce temps-là, on ne vit pas sa bouche sourire; elle ne mangea ni ne dormit son content et elle ne leva pas la tête de dessus ses genoux. Quand les jongleurs lui étaient amenés, voici ce qu’elle disait :
Quelque beaux que soient à vos yeux les héros
qui marchent vers Emain;
plus noblement marchaient vers leur maison
les trois fils héroïques d’Usnech.
Nôisé, avec un hydromel de belles noisettes ;
je le lavais auprès du feu ;
Ardan, avec un cerf ou un porc exquis;
Audlé avec un fagot sur son grand dos.
Quelque doux que soit pour vous l’hydromel exquis,
que boit le fils de Ness le batailleur,
j’avais auparavant sur la rive
nourriture abondante et plus douce.
Quand le noble Nôisé avait arrangé
la viande à cuire sur le bois, noble table
toute nourriture était plus douce mille fois
que procurait le fils d’Usnech.
Quelque harmonieux que soient pour vous chaque mois
les flûtistes et les cornistes,
voici ce que j’avoue aujourd’hui
j’ai entendu une musique bien plus harmonieuse.
Harmonieux sont pour le roi Conor
les flûtistes et les cornistes ;
plus harmonieuse est pour moi
la voix des fils d’Usnech.
Son de vague, la voix de Nôisé
était une harmonie à écouter toujours ;
la voix de médium d’Ardam était bonne,
et la voix haute d’Andlé, hors de sa hutte.
De Nôisé on a fait la tombe ;
triste fut la protection ;
ceux par qui il a été élevé
ont distribué le breuvage de poison dont il est mort.
Chère Berthân, jolie campagne
riche en hommes quoique montagneuse,
il est triste que je ne me lève pas aujourd’hui
pour attendre le fils d’Usnech.
Cher esprit ferme, juste, <
cher guerrier, grand, modeste ;
après avoir traversé le bois de Fâl,
cher entretien au petit matin.
Cher oeil bleu aimé des femmes,
dur pour les ennemis ;
après le tour de la forêt, notre réunion,
chère voix haute à travers l’obscurité du bois.
je ne dors plus;
mes ongles ne sont plus de pourpre ;
la joie ne vient plus à mes veilles,
depuis que ne viennent plus les fils d’Usnech.
Je ne dors pas
la moitié de la nuit, dans mon lit ;
mon esprit se lance parmi les multitudes,
outre que je ne mange ni ne ris.
De joie aujourd’hui je n’ai pas un moment;
dans l’assemblée d’Emain où vont les nobles ;
ni paix, ni plaisir, ni repos,
ni grande maison, ni belle parure.
Quelque beaux…
Quand Conor cherchait à la calmer, elle disait
0 Conor, que veux-tu ?
Tu m’as causé chagrin et larmes ;
quant à moi, tant que je reste en vie,
ton amour pour moi ne sera pas très grand.
Celui qui fut pour moi le plus beau sous le ciel,
et celui qui fut si cher,
tu me l’as enlevé; c’est grand dommage,
que je ne le voie qu’avec ma mort.
Disparue (tristesse pour moi)
la forme sous laquelle paraissent les fils d’Usnech,
tertre noir de jais sur un corps blanc,
qui sera bien connu dans la foule des femmes.
Deux joues de pourpre plus belles qu’une prairie,
lèvres rouges, cils noirs comme le scarabée,
dents couleur de perles,
comme la noble teinte de la neige.
Il m’était bien connu, son clair vêtement,
parmi les guerriers d’Écosse;
son manteau de belle pourpre pour l’assemblée,
avec sa bordure d’or rouge.
Sa tunique de satin, grand trésor
où avaient été cent mains, doux nombre ;
pour la broder, (il est évident),
[il y eut] cinquante onces de laiton.
Un glaive à poignée d’or dans sa main ;
deux javelots gris à la terrible pointe ;
un bouclier à bordure d’or jaune,
– et sur lui une bosse d’argent.
Le beau Fergus nous a fait grand tort
en nous faisant franchir la mer ;
il a vendu son honneur pour de la bière,
ses hauts faits se sont écroulés.
Si sur la plaine se trouvaient
les Ulates en présence de Conor,
je les donnerais tous, sans conteste,
pour le visage de Nôisé fils d’Usnech.
Ne brise pas aujourd’hui mon cœur ;
bientôt j’attendrai ma tombe prématurée,
Le chagrin est plus fort que la mer,
le sais-tu, ô Conor ?
ô Conor…
» Qui hais-tu le plus de ceux que tu vois ? dit Conor.
– Toi, certes, dit-elle, et Eogan fils de Durthacht.
– Tu seras une année chez Eogan « , dit Conor.
Il la remit aux mains d’Eogan. Le lendemain, ils allèrent à l’assemblée de Tara. Elle était dans le char derrière Eogan. Elle s’était promis qu’elle ne verrait pas deux époux sur terre en même temps.
» Eh bien, ô Deirdré, dit Conor, tu as l’oeil d’une brebis entre deux béliers, entre moi et Eogan. «
Il y avait un grand bloc de rocher devant elle. Elle se jeta, la tête contre le bloc, en sorte qu’elle s’y brisa la tête et mourut.
Voilà l’Exil des fils d’Usnech, l’Exil de Fergus, et le meurtre des fils d’Usnech et de Deirdré.