L’or Noir

La Sardaigne est, avec quelques massifs des Alpes et de l’Apennin calabrais, la terre la plus ancienne de l’Italie : elle existe presque seule à l’ère primaire (570-225 millions d’années) ; complètement émergée à l’ère tertiaire (65-2 millions d’années), elle ne fait jusqu’au Quaternaire (à partir d’il  y a 2 millions d’années)  qu’un bloc avec la Corse. Elle regorge de l’or noir du néolithique : l’obsidienne.

Or noir du néolithique : l’obsidienne

On suppose parfois que les deux îles seraient les restes d’un vaste continent (l’Atlantide ? la Tyrrhénide ?) de l’ère secondaire, englouti à l’ère tertiaire ; quelques fossiles trouvés en Sardaigne (l’éléphant nain commun aux îles de la Méditerranée, ou le macaque trouvé aussi en Espagne et à Gibraltar) et un animal vivant (le mouflon commun avec la Corse, la Crète et Chypre)  font penser que la Méditerranée a pu être une région de grands et petits lacs entre lesquels se promenaient librement les animaux.

On voit sur la carte 2 que la plaine du Campidano (sud-ouest) correspond à un fossé ouvert au Secondaire et peu à peu comblé par les sédiments qui laissent subsister de nombreux étangs ; c’est la région la plus riche (agriculture, mines, salines, pêche).

Or noir du néolithique obsidienne

 

Extrait de : Geografia 1, Ed.Scolastiche Mondadori, 1994

On peut penser que, il y a environ 20 millions d’années, il y aurait eu un seul bloc « sud-provençal », avant l’apparition de la Méditerranée actuelle, et que la Corse et la Sardaigne se seraient peu à peu détachées du bloc et écartées comme deux branches d’un compas avec Gênes comma axe de rotation. Les preuves sont abondantes, par exemple, roches et coulées volcaniques identiques dans les Maures, L’Esterel, la Corse et la Sardaigne.

Il semble que la faune, la flore et le type humain sardes aient été stables (boeuf, chien, sanglier, renard, mouflon, cerf encore existants, tandis que petits crocodiles, éléphants, ours, singes … ne se trouvent plus qu’à l’état fossile) et aient gardé depuis les origines les mêmes caractéristiques, dont leur taille basse : permanence expliquée par le fait que la nature et le sol – rudes et arides – n’ont pas pu être modifiés par l’homme et que donc homme et nature sont restés inchangés au cours de l’histoire.

Ce n’est qu’à partir des années ‘60 de notre siècle que l’agriculture a pu gagner de nouvelles terres. La Sardaigne est la seconde île de la Méditerranée en superficie (24.089 km2, 7,5% de l’Italie physique) ; sa situation géographique en fait une région de transition, rencontre de paysages italiens, ibériques et africains, au croisement de l’importante voie longitudinale entre les bassins occidental et oriental de la Méditerranée, dans une position stratégique et militaire  qui y fit converger et se fondre des éléments culturels et ethniques très différents, dans une configuration qui marque encore l’île et en fait une sorte de « musée naturel pour l’ethnographie sud-européenne » (G. Lilliu).

L’ancienne Ichnusa (de iknos = plante du pied) ou Sandaliòtis  ou Sardò  des Grecs, qui la comparèrent à une empreinte de pied humain (d’où la légende chrétienne postérieure qui y vit une trace du pied de Dieu lors de la création du monde), est l’île la plus lointaine de toutes les côtes. La configuration de ses 1896 kms de côtes contribue paradoxalement à l’isoler des grands courants des principales civilisations méditerranéennes : rocheuses pour les 3/4, et constituées  de plages bordées de dunes, avec peu de ports naturels, à l’exception de Cagliari, tourné au Sud vers l’Afrique.

Le contour est plus varié au Sud et à l’Ouest, où l’isobathe (ligne d’égale profondeur) se maintient régulièrement à 200 m. à environ 20 m. de la rive, tandis que la côte Est connaît des sauts de 1.000 m. à moins de 15 kms de distance, ce qui explique que les premières présences humaines soient plus denses à l’Ouest et au Sud, dont l’intérieur comporte par ailleurs des étangs ou lagunes et des espaces de plaines plus fertiles.

Les côtes ont donc peu favorisé une colonisation et un peuplement de la Sardaigne du type de ceux qu’ont connus la Sicile et la Grande-Grèce, mais des occupations ayant pour but une simple domination politico-militaire et une exploitation des richesses agricoles et minières du Campidano. L’intérieur de l’île n’est pas plus favorable : le massif granitique continental primitif a été peu à peu morcelé par fractures successives qui ont fragmenté le paysage en une série de montagnes séparées par des fosses ou des conques comblées par des effusions trachytiques (laves, et présence d’obsidienne) puis par des dépôts calcaires ou marneux.

Ainsi la fosse de 100 kms qui constitue le Campidano est remplie par des alluvions quaternaires. Cette formation dessine un ensemble d’une quinzaine de massifs anciens à surface arrondie, séparés par des hauts plateaux et des plaines correspondant à des lignes de fractures tectoniques.

Cette morphologie de l’île a favorisé le développement de petites unités ethniques à caractère cantonal, à l’intérieur du village, voire de clans ou de groupes familiaux vivant dans les frontières naturelles des montagnes dans une multiplicité de milieux culturels sans cohésion politique et morale, ce qui facilita l’action des envahisseurs à toute époque.

Ces petites unités se fixent de préférence, à l’époque nuragique, entre 500 et 600 mètres et à 25-30 kms de la mer, sur les plateaux d’où elles pouvaient dominer et surveiller l’environnement. Seules les cultures prénuragiques avaient préféré les plaines alluviales et les bords des cours d’eau ou les grottes carsiques à moins de 600 m. et moins de 25 kms de la mer.

Cette culture de haut plateau peu propre à l’agriculture (qui correspond aux civilisations de fleuve et de plaine = 1/5 de la surface de l’île) favorise par contre le développement de l’élevage et d’une civilisation pastorale belliqueuse, sur des terres favorables à l’herbe et au maquis, garrigue, lande ou steppe prédésertique, dont la diversité entraînait une pratique de transhumance et de nomadisme pastoral dans les terres de l’intérieur impropres à l’agriculture. Même dans les zones de plaine et  de collines, à la différence des grandes civilisations de la Grèce et du Moyen-Orient, la civilisation agricole n’atteignit jamais le stade de la civilisation urbaine, sinon sur les côtes.

Or noir du néolithique obsidienne

Un autre élément constitutif de la culture sarde est la richesse du sous-sol en minéraux qui fut sans doute une des causes principales de la venue de l’homme sur l’île, à la recherche de l’obsidienne (« l’or noir » de l’Antiquité) utilisée de l’âge de la Pierre à l’âge du Fer pour fabriquer armes et outils. Plus tard furent exploités les métaux : argent, plomb, cuivre des régions les plus ouvertes à la mer (Campidano) et qui attiraient donc facilement les navigateurs.

C’est de cette présence des mines que provint le caractère industriel de la civilisation nuragique et la vocation à la guerre qui caractérisa ces peuples de bergers.