Histoire des porcs de Mac Datho

Voici l’histoire des porcs de Mac Datho, de la branche rouge de la mythologie irlandaise.

Les porcs de Mac Datho

Les porcs de Mac Datho

Il y avait en Leinster un roi illustre; son nom était Mac Dathô. Il avait un chien qui gardait le Leinster entier; il s’appelait Ailbé et l’Irlande était pleine de sa renommée. On vint de la part d’Ailill et de Mève demander le chien. En même temps arrivaient aussi des messagers de Conor fils de Ness pour demander le même chien. On leur fit bon accueil à tous et on les introduisit dans l’hôtel. C’était le sixième hôtel qu’il y avait en Irlande en ce temps-là : l’hôtel de Daderga en Cuala, l’hôtel de Forgall le Rusé, l’hôtel de Mac Daré en Brefné, l’hôtel de Da Choca en Westmeath, l’hôtel de Blai Briuga en Ulster. L’hôtel avait sept portes, et sept chemins y passaient; il contenait sept foyers et sept chaudrons; un boeuf et un cochon dans chaque chaudron. Quiconque passait sur le chemin mettait la fourchette dans le chaudron, et quoi qu’il attrapât du premier coup, il ne recommençait pas.

On amena donc les messagers dans la chambre de Mac Dathô pour connaître sa volonté avant le festin. Ils présentèrent leur requête.

 » C’est pour demander ton chien que nous sommes venus, de la part d’Ailill et de Mève, dirent les messagers de Connaught, et on donnera sur-le-champ soixante vaches laitières, un char et deux chevaux les meilleurs de Connaught, et autant au bout d’un an, en outre.

– C’est pour demander ton chien que nous sommes venus, dirent les messagers d’Ulster, de la part de Conor, et Conor n’est pire ni comme ami ni pour donner des objets précieux et du bétail, et on donnera autant au bout de l’année et il en résultera une bonne amitié. « 

Mac Dathô garda un grand silence, en sorte qu’il fut trois jours sans boire, ni manger ni dormir, se tournant d’un côté sur l’autre. Alors sa femme lui dit :  » Voilà longtemps que tu jeûnes; tu as de la nourriture et tu n’en manges pas. Qu’est-ce que tu as ?  » Il ne répondit pas à la femme; alors la femme dit :

L’insomnie est tombée
sur Mac Dathô, dans sa maison.
Il a eu une affaire sur laquelle il méditait,
bien qu’il n’en parle à personne.

Il se tourne et se détourne de moi contre la muraille,
le héros fénian aux violents exploits;
sa femme prudente remarque
que son époux est sans sommeil.

L’HOMME. – Crimthand neveu de Nar a dit :
Tu ne donneras pas ton secret aux femmes ;
secret de femme n’est pas bien caché
on ne confie pas de bien à un esclave.

LA FEMME. – Que dirais-tu à une femme
s’il ne te manquait rien ?
Ce qui ne vient pas à ton esprit
vient à l’esprit de quelque autre.

L’HOMME. – Le chien de Mesroida Mac Dathô,
c’est un mauvais jour qu’il lui est venu;
beaucoup de beaux hommes tomberont pour l’amour de lui
dans le combat; on n’en pourra compter le nombre.

Si ce n’est pas à Conor qu’il est donné
il est sûr que l’affaire sera chaude;
ses armées ne laisseront pas beaucoup de vaches ni de terres.

Si c’est un refus pour Ailill,
il soulève la plaine de Fal contre la tribu ;
le fils de Maga nous emmènera;
aucune plaine ne sera vide de cendre.

LA FEMME. – Je te donne un conseil
qui n’a pas de mauvaise conséquence pour nous ;
donne-leur le chien à tous deux,
peu importe qui tombera à cause de lui !

L’HOMME. – Le conseil que tu donnes
c’est lui qui me délivre de souci;
Ailbé, Dieu l’a envoyé ;
on ne sait par qui il a été amené.

Là-dessus, il se leva et se secoua :  » Que ce soit bien, dit-il, pour nous et pour les hôtes qui sont venus !  » Ceux-ci restent avec lui trois jours et trois nuits. Il appelle à part les messagers de Connaught :  » J’ai eu un grand souci et une longue hésitation avant de voir clair : j’ai accordé le chien à Ailill et à Mève; qu’ils viennent le chercher en grande pompe ; ils auront à boire et à manger, ils emmèneront le chien et on les accueillera bien.  » Les messagers de Connaught le remercient de sa réponse.

Puis il alla trouver les messagers d’Ulster :  » J’ai donc accordé, dit-il, après hésitation, le chien à Conor. Qu’il en soit fier ! Que viennent le chercher en foule les braves d’Ulster ! Ils emporteront les présents et ils seront les bienvenus.  » Les messagers d’Ulster remercient.

Or ce fut le même jour qu’ils se rencontrèrent, ceux de l’Est et ceux de l’Ouest. Aucun ne manqua, et deux provinces d’Irlande arrivèrent le même jour et furent à la porte de l’hôtel de Mac Dathô. Il sortit lui-même et leur souhaita la bienvenue :  » Nous ne sommes pas préparés à vous recevoir, dit-il, ô jeunes gens; cependant, salut à vous ! Entrez dans la cour.  » Ils entrèrent tous dans l’hôtel : une moitié de la maison fut pour les Connaciens et l’autre moitié pour les Ulates. La maison n’était pas petite; il y avait sept portes et cinquante lits d’une porte à l’autre. Au repas, ce ne furent pas des visages d’amis que l’on eut dans la maison. Beaucoup se querellèrent les uns les autres. C’est dans les trois cents ans avant la naissance de Jésus-Christ qu’eut lieu cette bataille.

Pour eux donc, on tua le cochon de Mac Dathô. Trois vingtaines de vaches l’avaient nourri pendant sept ans. C’est de poison qu’il avait été nourri, car c’est lui qui fut cause du massacre des hommes d’Irlande. On leur apporta le cochon, que quarante boeufs traînaient, sans compter en outre d’autres choses à manger. Mac Dathô lui-même servait.  » Salut à vous, dit-il; il n’y a rien de pareil à ce que sont les boeufs et les cochons en Leinster. Ce qui manque sera tué pour vous demain.

– Il est bien, le cochon, dit Conor.

– Il est bien, dit Ailill, Comment va-t-on partager le cochon, ô Conor ? dit Ailill. – Comment ? dit Bricré fils de Carbad, du haut de la salle, là où sont les plus braves guerriers d’Irlande ! Mais en raison de leurs exploits et de leurs combats ! Auparavant, chacun aura donné plus d’un coup sur le nez de son camarade

– Soit, dit Aillill.

– C’est juste ! dit Conor, nous avons ici des garçons qui ont gardé la frontière.

– Tes garçons seront utiles ce soir, ô Conor, dit un vieux guerrier, chef de Luachra Conalad à l’Ouest. Il y a beaucoup de boeufs gras que vous m’avez laissés, et les routes de Luachra Dedad derrière vous !

– Plus gras était le boeuf que tu as laissé chez nous, ton propre frère Cruachné fils de Ruadlom, des coteaux de ConaJad.

– Ce n’était pas mieux, dit Lugaid fils de Curoi, que de laisser le grand Loth fils de Fergus fils de Lété à Echbel fils de Deda, en Temair Lochra.

– Quelle sorte d’homme pensez-vous qu’il est ? dit Celtchair fils d’Uthechar; j’ai tué Conganchness fils de Deda, et je lui ai coupé la tête. « 

Il leur arriva enfin qu’un seul homme força les hommes d’Irlande à se retirer devant lui; c’était Cêt, fils de Maga. Il éleva ses armes au-dessus des armes de l’armée; il prit un couteau à la main et s’installa près du cochon. Qu’on trouve donc, dit-il, parmi les hommes d’Irlande quelqu’un pour soutenir la lutte contre moi ou qu’on me laisse partager le cochon ! « 

Il plongea les Ulates dans le silence.  » Tu vois, Loégairé, dit Conor.

– Il ne sera pas dit, dit Loégairé, que Cêt partage le cochon à notre nez.

– Attends un peu, ô Loégairé, que je te parle, dit Cêt. C’est l’usage chez vous, en votre Ulster, dit Cêt, que chaque fils qui chez vous prend les armes, c’est chez nous qu’est son premier but. Tu es venu à la frontière, nous nous y sommes rencontrés; tu as laissé la roue, le char et les Chevaux ; tu t’es sauvé avec un javelot par le corps ; – tu n’obtiendras pas le cochon de cette façon-là.  » Loégairé s’assit alors.

 » Il ne sera pas vrai, dit un beau et grand guerrier qui s’était levé de son lit, que Cêt partage le cochon à notre nez.

– Qui est-ce ? dit Cêt.

– C’est un meilleur guerrier que toi, dit chacun, Oengus fils de Main-de-danger d’Ulster.

– Pourquoi appelle-t-on ton père Main-de-danger ? dit Cêt. Pourquoi donc ? je le sais, dit Cet. Je suis allé à l’Est une fois. On crie sur moi, chacun arrive; arrive ton père. Il me lança un grand coup de javelot. Je lui lance alors le même javelot, en sorte qu’il lui coupa la main, qui resta par terre. Qu’est-ce qui mettrait son fils à lutter avec moi ?  » Oengus alla s’asseoir.

 » Soutenir la lutte encore ? dit Cêt, ou que je partage le cochon ? – Il ne sera pas vrai que tu le découperas le premier, dit un beau et grand guerrier d’Ulster.

– Qui est-ce ? dit Cêt. – C’est Eogan, fils de Durthacht, dit chacun, le roi de Fernmag.

– Je t’ai vu déjà, dit Cêt.

– Où m’as-tu vu?  » dit Eogan.

– A la porte de ta maison, quand je razziais tes vaches. On criait sur moi dans le pays. Tu es arrivé au cri. Tu m’as lancé un javelot qui fut arrêté par mon bouclier. Je te lance le même javelot; il te traverse la tête et te fait sortir l’oeil de l’orbite. Les hommes d’Irlande te voient avec un seul oeil. C’est moi qui t’ai enlevé l’autre de la tête. « 

Eogan alors s’assit.

 » Servez donc, Ulates, la lutte encore ! dit Cêt.

– Tu ne feras pas les parts maintenant, dit Munremur, fils de Gergend.

– Est-ce Munremur ? dit Cêt. C’est moi qui ai le dernier nettoyé mon javelot, ô Munremur, dit Cêt. Il n’y a pas trois jours que j’ai rapporté de ton pays les têtes de trois guerriers autour de la tête de ton fils aîné.  » Munremur alors s’assit.

 » La lutte encore ! dit Cêt.

– Tu l’auras, dit Mend, fils de Salcholcan.

– Qui est-ce ? dit Cêt.

– Mend, dit chacun.

– Quoi donc ? dit Cêt, un fils de rustres à sobriquets lutter avec moi ! mais c’est à moi que ton père doit ce nom : c’est moi qui, de mon glaive, lui ai coupé le talon, en sorte qu’il n’a rapporté qu’un seul pied. Qu’est-ce qui mettrait en face de moi le fils d’un estropié ? « 

 » La lutte encore ! dit Cêt.

– Tu l’auras, dit un grand guerrier grisonnant et laid.

– Qui est-ce? dit Cêt. – Celtchair, fils d’Uthechar, dit chacun.

– Un moment, ô Celtchair, dit Cêt, si tu n’es pas pressé de me frapper. je suis venu, ô Celtchair, jusqu’à la porte de ta maison. On criait sur moi. Tout le monde arriva. Tu es arrivé aussi. Tu allas dans un défilé où tu me rencontras. Tu me lanças un javelot. Je t’en lançai un autre qui te perça la cuisse et le haut des testicules. Tu as une maladie de vessie depuis ce temps-là, et dans la suite tu n’as plus engendré de fils ni de fille. Qu’est-ce qui te mettrait en face de moi ?  » Celtchair s’assit.

 » La lutte encore ! dit Cêt.

– Tu l’auras, dit Cuscraid le bègue de Macha, fils de Conor.

– Qui est-ce ? dit Cêt.

– Cuscraid, dit chacun; il a l’étoffe d’un roi à cause de sa beauté.

– Il ne te rernercie pas, dit le garçon.

– C’est bien, dit Cêt. C’est chez nous d’abord que tu es venu pour ton premier exploit, ô garçon; nous nous sommes rencontrés à la frontière; tu y laissas le tiers des tiens et c’est ainsi que tu revins sans pouvoir émettre correctement une parole du haut de la tête, car le javelot t’avait blessé la veine du cou, en sorte que l’on t’appelle Cuscraid le bègue depuis ce temps-là.  » Et ainsi il jeta l’opprobre sur la province entière.

Mais, au moment où il s’activait auprès du cochon, le couteau à la main, on vit entrer Conall Cernach qui d’un bond fut au milieu de la maison. Les Ulates firent grand accueil à Conall.

Conor enleva de sa tête son casque et l’agita.  » Nous désirons faire nos parts, dit Conall; qui vous fait le partage ?

– On l’a accordé à l’homme qui fait les parts, dit Conor, c’est-à-dire à Cêt, fils de Maga.

– Est-il vrai, ô Cêt, dit Conall, que c’est toi qui partages le cochon ?  » Alors Cêt dit :

Salut Conall, coeur de pierre,
flamme ardente et vive, éclat de glace ;
coeur rouge de colère, dans une poitrine de héros ;
couvert de cicatrices, vainqueur au combat,
tel je vois le fils de Findchôem.

Et Conall dit

Salut, Cêt premier fils de Maga, rendez-vous de héros,
coeur de glace, fin de danger,
vaillant conducteur du combat, flot belliqueux,
beau taureau querelleur, Cêt fils de Maga !
Illustre sera notre rencontre, illustre, notre séparation ;
on les racontera en Fer-Brot;
on en témoignera en Fer-Manach.
Les héros verront un violent combat de lions ;
homme sur homme, dans la maison, cette nuit !

 » Écarte-toi du cochon ! dit Conall.

– Qu’est-ce qui peut t’y mener ? dit Cêt.

– Tu as raison, dit Conall, de demander à te battre avec moi. Je te livrerai un combat singulier, ô Cêt, dit-il. J’en jure le serment de ma tribu; depuis que j’ai pris un javelot en main, il ne m’est pas arrivé souvent de dormir sans la tête d’un Connacien sous la mienne et sans avoir blessé un homme chaque jour et chaque nuit.

– C’est vrai, dit Cêt, tu es un meilleur guerrier que moi. Si c’étai Anluan qui fût dans la maison, il te livrerait combat sur combat. C’est un malheur qu’il ne soit pas dans la maison ! – Il y est « , dit Conall en tirant de sa ceinture la tête d’Anluan, et il la jeta sur la poitrine de Cêt, en sorte qu’un flot de sang monta à ses lèvres. Il s’écarta du cochon et Conall s’assit à côté.

 » Qu’on vienne lutter, cette fois-ci !  » dit Conall. On ne trouva pas parmi les Connaciens de guerrier qui tînt devant lui. On fit un rempart de boucliers à bosse en cercle autour de lui, car il y eut de mauvaises disputes dans la maison et de mauvais coups par de mauvaises gens. Ensuite Conall alla partager le cochon, mais il mit le bout de la queue dans sa bouche jusqu’à ce qu’il fût arrivé à faire les parts; il suça cette queue qui faisait la charge de neuf hommes et n’en laissa rien. Il ne donna aux Connaciens que les deux jambes sous la gorge. Les Connaciens trouvèrent maigre leur part. Ils se lèvent, les Ulates aussi se lèvent, et chacun se jeta sur l’autre.

Il y eut là des coups sur l’oreille, en sorte que le tas qui s’élevait sur le sol était aussi haut que le pignon de la maison et que des ruisseaux de sang coulaient par les portes. Les troupes firent irruption par les portes et jetèrent une grande clameur, en sorte que beaucoup de sang coulait au milieu de la cour, chacun massacrant l’autre. C’est là que Fergus déracina un grand chêne qui était dans la cour. Les combattants font irruption hors de la cour. Le combat se livre à la porte de la cour.

Alors sortit Mac Dathô, avec son chien en main, et il le lâcha parmi eux pour voir quel parti choisirait son intelligence de chien. Le chien choisit les Ulates et se mit à massacrer les Connaciens et il mit en déroute les Connaciens. On dit que dans les champs d’Ailbé le chien saisit le timon du char sous Ailill et sous Mève. Alors Ferloga, cocher d’Ailill et de Mève, l’atteignit; son corps tomba d’un côté; sa tête resta au timon du char. On dit que c’est de là que vient le nom de Plaine d’Ailbé (Ailbé était le nom du chien).

La déroute passa au sud par la Brèche de Mugna Senrôiré, par le gué de Midibiné en Mastin, le long de la crête de Criach que l’on appelle aujourd’hui Kildare ; du fort d’Imgain dans le bois de Gaiblé au gué de Mac Lugna, le long de la crête de Damaigé, par le pont de Cairpré. Au gué de la Tête du chien, en Bilé, la tête du chien tomba du char. En traversant la lande de Midé à l’ouest, Ferloga, le cocher d’Ailill se jeta dans la bruyère et il sauta dans le char derrière Conor et lui tira la tête en arrière :  » Remercie de te faire quartier, ô Conor, dit-il.

– Choisis à ta volonté, dit Conor.

– Ce ne sera pas grand-chose, dit Ferloga. Emmène-moi avec toi à Emain Macha et que chaque soir les femmes à marier et les filles nubiles d’Ulster chantent un choeur autour de moi en disant:  » Ferloga, mon bien-aimé !  » Il fallut le faire, car on n’osait refuser à cause de Conor, et Ferloga, au bout d’un an, fut laissé à Athlone avec, de la part de Conor, deux chevaux à brides d’or.