La Fête de la Maison peu riche

Ci-dessous, l’histoire de La Conception de Cuchulainn de la branche rouge de la mythologie irlandaise, aussi appelée : La Fête de la Maison peu riche.

La Fête de la Maison peu riche

La Fête de la Maison peu riche

Dechtiré, soeur de Conchobar, s’enfuit un jour avec cinquante jeunes filles, sans demander la permission des Ulates ni de Conchobar; on ne trouva aucune trace, aucun indice, et on resta ainsi trois ans sans rien savoir d’elles. Elles vinrent alors sous forme d’oiseaux dans la plaine d’Emain; et là, elles dévorèrent tout, ne laissant pas un brin d’herbe sur la terre. Grand fut, à cette vue, le chagrin des Ulates. Ils attelèrent neuf chars pour poursuivre les oiseaux; car la chasse des oiseaux était en usage chez eux. Il y avait là Conchobar et Fergus, Amorgin et Blai Briuguig, Sencha et Bricriu.

Les oiseaux volèrent devant eux vers le sud, au delà de Sliab Fuait, par Ath Lethan, par Ath Garach et Mag Gossa, entre Fir Roiss et Fir Ardai. Puis la nuit tomba sur les guerriers d’Ulster; la troupe des oiseaux disparut : les Ulates dételèrent leurs chars. Fergus se mit en quête d’un abri, et arriva à une petite maison. Dans cette maison, il trouva un homme et une femme, qui lui souhaitèrent la bienvenue… « Tu viendras dans la maison avec tes compagnons, et ils seront les bienvenus. » Fergus sortit alors et les rejoignit; puis il les ramena tous avec lui, les hommes avec leurs chars, et ils entrèrent dans la maison.

Bricriu sortit ensuite, et entendit quelque chose, une plainte faible. Il entendit ce bruit, et ne sut ce que c’était. Il vint alors, guidé par le bruit, vers la maison, et la vit devant lui, grande, belle, magnifique. Il se dirige vers une porte qu’il remarque dans la maison, et jette un coup d’oeil à l’intérieur. Il aperçoit le maître de la maison. Celui-ci, jeune guerrier, beau, à l’air noble, lui adresse la parole. « Entre dans la maison, Bricriu, » lui dit-il; « pourquoi regardes-tu de ce côté? » — « Pour moi, certes, «dit la femme, « Tu es ici le bienvenu. » — « Pourquoi ta femme me salue-t-elle? » dit Bricriu. — « C’est à cause d’elle que je te souhaite, moi aussi, la bienvenue, » dit l’homme. « Est-ce qu’il ne vous manque personne à Emain? » — « Certes, si, «dit Bricriu. «Il nous manque cinquante jeunes filles, et depuis plus de trois ans. » — « Est-ce que tu les reconnaîtrais, si tu les voyais? » dit l’homme. — « Si je ne les reconnaissais pas, » dit Bricriu, « c’est que trois ans de plus ou de moins nous empêchent de reconnaître, ou nous font hésiter. » — « Cherche à les reconnaître, » répondit l’homme; «les cinquante jeunes filles sont dans cette maison ; cette femme qui est ici en mon pouvoir est leur maîtresse : son nom est Dechtiré. Ce sont elles qui, changées en oiseaux; sont allées à Emain Macha, pour engager les Ulates à venir ici. » La femme donna à Bricriu un manteau de pourpre à franges d’or; et il sortit pour aller rejoindre ses compagnons. Bricriu, pendant le trajet, songe ainsi dans son esprit : « Conchobar donnerait des trésors considérables pour retrouver les cinquante jeunes filles perdues. Je vais lui cacher que je les ai retrouvées avec sa soeur. Je dirai seulement que j’ai vu une maison avec de belles femmes, et rien de plus. » Conchobar demanda à Bricriu des nouvelles de son exploration. « Quelles nouvelles rapportes-tu, ô Bricriu? » — « Je suis arrivé à une maison brillante, belle (?) » répondit-il. « J’ai vu une reine, noble, gracieuse, d’allure vraiment royale, avec de belles boucles de cheveux; puis une troupe de femmes, belles, bien parées; et le maître de la maison, généreux et brillant. » — « C’est mon vassal, «dit Conchobar; « cet homme dépend de moi, il habite sur mon territoire. Que sa femme vienne cette nuit dormir avec moi. » Mais on ne trouva personne pour se charger de cette négociation, sinon Fergus. Celui-ci exposa la demande qu’on l’avait chargé de faire. On lui souhaita la bienvenue, et la femme vint le trouver : elle se plaignit d’être en mal d’enfant. Fergus revint dire à Conchobar qu’elle demandait un délai. Puis chacun des Ulates se mit au lit avec sa femme, et tous s’endormirent. Quand ils se réveillèrent, ils virent quelque chose : un petit enfant qui avait les traits (?) de Conchobar. « Prends cet enfant avec toi, Finnchoem, » dit Conchobar.

Finnchoem vit l’enfant auprès de Conchobar. « Mon coeur aime déjà ce petit enfant, » dit-elle ; « il sera pour moi un autre Conall le Triomphateur. » — « Il y a peu de différence entre eux, » dit Bricriu ; « cet enfant est fils de ta propre soeur Dechtiré : car c’est ici que sont les cinquante jeunes filles absentes d’Emain depuis trois ans. » Et alors Conchobar chanta ce qui suit :

Célèbre, puissante, quoique pauvre,
Bonne fut pour moi Dechtiré.
Elle me protégea avec mes sept chars.
Elle chassa le froid de mes chevaux.
Elle nous restaura avec tous les guerriers.
Puis un trésor nous est venu, Setanta.

« Prends l’enfant avec toi, Finnchoem, » répéta Conchobar à sa soeur. — « Ce n’est pas elle qui l’élèvera, » dit Sencha ; « c’est moi. Car je suis fort, je suis adroit, je suis habile au combat. Je suis un savant, je suis un sage, je ne suis pas oublieux. Je parle à n’importe qui devant le roi. Je veille sur sa parole. Je juge les combats du roi devant Conchobar victorieux. Je suis juge des Ulates ; mais ce n’est pas moi qui exécute mes décisions. Personne n’a le droit de me disputer la tutelle, sauf Conchobar. » — « Si c’est moi qui élève l’enfant, » dit Blai Briuguig, « il n’aura à souffrir ni négligence, ni manque de soins. Ce sont mes messagers qui accomplissent les désirs de Conchobar. Je convoque les guerriers de tout un royaume d’Irlande. Je puis les nourrir durant une semaine, ou même pendant dix jours. Je m’occupe de leurs affaires et de leurs querelles. Je secours leur honneur, je venge leurs insultes. » — « Quelle impudence, » répondit Fergus ; « *** c’est moi qui élèverai l’enfant. Je suis fort, je suis habile. Je suis le messager du roi. Personne ne peut lutter avec moi d’honneurs ni de richesses- Je suis endurci aux combats et à la guerre. Je suis bon ouvrier. Je suis digne d’avoir des pupilles. Je suis le protecteur do tous les malheureux. Je suis la terreur des forts, le soutien des faibles..» — « Eh, quoi? tu vas maintenant nous écouter, » dit Amorgen , « puisqu’enfin tu te tais. Je suis capable de nourrir mes pupilles comme des rois. On loue en moi les honneurs, la bravoure, le courage, la sagesse ; on vante mon bonheur, et mon âge , mon éloquence, mon éclat, la vaillance de ma race. Quoique guerrier, je suis poète. Je suis digne de la faveur du roi. Je triomphe de tous les guerriers combattant sur leurs chars. Je ne rends grâce à personne, qu’à Conchobar; je n’obéis à personne qu’au roi. » — «  *** Que Finnchoem, » dit Sencha, « garde l’enfant jusqu’à ce que nous soyons à Emain ; Morann prendra une décision à son sujet lorsque nous serons arrivés. » Les Ulates partirent alors pour Emain, Finnchoem ayant l’enfant avec elle. Et après leur arrivée, Morann prononça le jugement : « C’est à Conchobar,» dit-il, « de rendre l’enfant illustre : car il est proche parent de Finnchoem. A Sencha de lui enseigner la parole et l’éloquence; à Blai Briuguig de se charger de sa nourriture ; à Fergus de le porter sur ses genoux. Amorgin sera son tuteur; il sera élevé avec Conall le Triomphateur : Finnchoem, la mère de Conall, a deux mamelles. L’enfant sera loué de tous, conducteurs de chars et guerriers, rois et savants; car il sera aimé d’une foule d’hommes. Cet enfant vengera toutes vos injures; et il combattra sur vos gués; il combattra tous vos combats. » Et ainsi fut fait. Amorgin et Finnchoem emportèrent l’enfant, qui fut élevé dans la forteresse de Breth, dans la plaine de Murthemné. Fin.